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-Oui, oui! C'est ici, entrez!

Mais on les détrompa. Le blessé qui se trouvait couché au fond de la carriole, était le maréchal De Mac-Mahon, la fesse gauche à demi emportée, et que l'on ramenait à la Sous-Préfecture, après lui avoir fait un premier pansement, dans une petite maison de jardinier. Il était nu-tête, à moitié dévêtu, les broderies d'or de son uniforme salies de poussière et de sang. Sans parler, il avait levé la tête, il regardait, d'un air vague. Puis, ayant aperçu les trois femmes, saisies, les mains jointes devant ce grand malheur qui passait, l'armée tout entière frappée dans son chef, dès les premiers obus, il inclina légèrement la tête, avec un faible et paternel sourire. Autour de lui, quelques curieux s'étaient découverts. D'autres, affairés, racontaient déjà que le général Ducrot venait d'être nommé général en chef. Il était sept heures et demie.

-Et l'empereur? demanda Henriette à un libraire, debout devant sa porte.

-Il y a près d'une heure qu'il est passé, répondit le voisin. Je l'ai accompagné, je l'ai vu sortir par la porte de Balan... Le bruit court qu'un boulet lui a emporté la tête.

Mais l'épicier d'en face se fâchait.

-Laissez donc! des mensonges! Il n'y a que les braves gens qui y laisseront la peau!

Vers la place du collège, la carriole qui emportait le maréchal, se perdait au milieu de la foule grossie, parmi laquelle circulaient déjà les plus extraordinaires nouvelles du champ de bataille. Le brouillard se dissipait, les rues s'emplissaient de soleil.

Mais une voix rude cria de la cour:

-Mesdames, ce n'est pas dehors, c'est ici qu'on a besoin de vous!

Elles rentrèrent toutes trois, elles se trouvèrent devant le major Bouroche qui avait déjà jeté dans un coin son uniforme, pour revêtir un grand tablier blanc. Sa tête énorme aux durs cheveux hérissés, son mufle de lion flambait de hâte et d'énergie, au- dessus de toute cette blancheur, encore sans tache. Et il leur apparut si terrible qu'elles lui appartinrent du coup, obéissant à un signe, se bousculant pour le satisfaire.

-Nous n'avons rien... Donnez-moi du linge, tâchez de trouver encore des matelas, montrez à mes hommes où est la pompe...

Elles coururent, se multiplièrent, ne furent plus que ses servantes.

C'était un très bon choix que la fabrique pour une ambulance. Il y avait là surtout le séchoir, une immense salle fermée par de grands vitrages, où l'on pouvait installer aisément une centaine de lits; et, à côté, se trouvait un hangar, sous lequel on allait être à merveille pour faire les opérations: une longue table venait d'y être apportée, la pompe n'était qu'à quelques pas, les petits blessés pourraient attendre sur la pelouse voisine. Puis, cela était vraiment agréable, ces beaux ormes séculaires qui donnaient une ombre délicieuse.

Bouroche avait préféré s'établir tout de suite dans Sedan, prévoyant le massacre, l'effroyable poussée qui allait y jeter les troupes. Il s'était contenté de laisser près du 7e corps, en arrière de Floing, deux ambulances volantes et de premiers secours, d'où l'on devait lui envoyer les blessés, après les avoir pansés sommairement. Toutes les escouades de brancardiers étaient là-bas, chargées de ramasser sous le feu les hommes qui tombaient, ayant avec elles le matériel des voitures et des fourgons. Et Bouroche, sauf deux de ses aides restés sur le champ de bataille, avait amené son personnel, deux majors de seconde classe et trois sous-aides, qui sans doute suffiraient aux opérations. En outre, il y avait là trois pharmaciens et une douzaine d'infirmiers.

Mais il ne décolérait pas, ne pouvant rien faire sans passion.

-Qu'est-ce que vous fichez donc? Serrez-moi ces matelas davantage!... On mettra de la paille dans ce coin, si c'est nécessaire.

Le canon grondait, il savait bien que d'un instant à l'autre la besogne allait arriver, des voitures pleines de chair saignante; et il installait violemment la grande salle encore vide. Puis, sous le hangar, ce furent d'autres préparatifs: les caisses de pansement et de pharmacie rangées, ouvertes sur une planche, des paquets de charpie, des bandes, des compresses, des linges, des appareils à fractures; tandis que, sur une autre planche, à côté d'un gros pot de cérat et d'un flacon de chloroforme, les trousses s'étalaient, l'acier clair des instruments, les sondes, les pinces, les couteaux, les ciseaux, les scies, un arsenal, toutes les formes aiguës et coupantes de ce qui fouille, entaille, tranche, abat. Mais les cuvettes manquaient.

-Vous avez bien des terrines, des seaux, des marmites, enfin ce que vous voudrez... Nous n'allons pas nous barbouiller de sang jusqu'au nez, bien sûr!... Et des éponges, tâchez de m'avoir des éponges!

Madame Delaherche se hâta, revint suivie de trois servantes, les bras chargés de toutes les terrines qu'elle avait pu trouver. Debout devant les trousses, Gilberte avait appelé Henriette d'un signe, en les lui montrant avec un léger frisson. Toutes deux se prirent la main, restèrent là, silencieuses, mettant dans leur étreinte la sourde terreur, la pitié anxieuse qui les bouleversaient.

-Hein? ma chère, dire qu'on pourrait vous couper quelque chose!

-Pauvres gens!

Sur la grande table, Bouroche venait de faire placer un matelas, qu'il garnissait d'une toile cirée, lorsqu'un piétinement de chevaux se fit entendre sous le porche. C'était une première voiture d'ambulance, qui entra dans la cour. Mais elle ne contenait que dix petits blessés, assis face à face, la plupart ayant un bras en écharpe, quelques-uns atteints à la tête, le front bandé. Ils descendirent, simplement soutenus; et la visite commença.

Comme Henriette aidait doucement un soldat tout jeune, l'épaule traversée d'une balle, à retirer sa capote, ce qui lui arrachait des cris, elle remarqua le numéro de son régiment.

-Mais vous êtes du 106e! Est-ce que vous appartenez à la compagnie Beaudoin?

Non, il était de la compagnie Ravaud. Mais il connaissait tout de même le caporal Jean Macquart, il crut pouvoir dire que l'escouade de celui-ci n'avait pas encore été engagée. Et ce renseignement, si vague, suffit pour donner de la joie à la jeune femme: son frère vivait, elle serait tout à fait soulagée, lorsqu'elle aurait embrassé son mari, qu'elle continuait à attendre d'une minute à l'autre.

À ce moment, Henriette, ayant levé la tête, fut saisie d'apercevoir, à quelques pas d'elle, au milieu d'un groupe, Delaherche, racontant les terribles dangers qu'il venait de courir, de Bazeilles à Sedan. Comment se trouvait-il là? Elle ne l'avait pas vu entrer.

-Et mon mari n'est pas avec vous?

Mais Delaherche, que sa mère et sa femme questionnaient complaisamment, ne se hâtait point.

-Attendez, tout à l'heure.

Puis, reprenant son récit:

-De Bazeilles à Balan, j'ai failli être tué vingt fois. Une grêle, un ouragan de balles et d'obus!... Et j'ai rencontré l'empereur, oh! très brave... Ensuite, de Balan ici, j'ai pris ma course...

Henriette lui secoua le bras.

-Mon mari?

-Weiss? mais il est resté là-bas, Weiss!

-Comment, là-bas?

-Oui, il a ramassé le fusil d'un soldat mort, il se bat.