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Cette déclaration tranquille stupéfia le colonel qui était cependant un homme aguerri. Décidément, ce couple de paysans français n’était pas ordinaire.

Enhardi par le prologue de sa Blanche, Francis Macheprot enchaîna :

— Mais attention, mon colonel, y a terroriss et terroriss. Mathieu, la bricole ça ne l’intéresse pas : abattre un agent, foutre une bombe dans un grand magasin, c’est à la portée du premier connard venu et, Dieu merci, not’ garçon vise plus haut. Lui, son objection, c’est le tout grand terroriss ; l’international, quoi ! Genre M. Carlos, pas çui qui chante Oasis Oasis, l’autre ! Carrément l’opération commando, comme on dit. Quand y m’a fait part, j’y ai dit « Mon gars, dans la vie, faut toujours voir grand. Avant de te lancer : fais tes classes ! On va te choisir une bonne école où on t’enseignera le baobab du métier, paraît qu’existe des instituts en Libye qui forment au terroriss aussi bien que l’École hôtelière de Lausanne à la restauration. Alors je m’ai renseigné et je m’ai laissé dire que votre établissement représentait le stop niveau de ce qui se fait en la matière, mon colonel. Si vous voudriez bien nous indiquer les conditions d’admitance… Je suppose que les étrangers n’ont pas droit à une bourse, n’est-ce pas ?

De plus en plus éberlué, Gamel ! Il caressa ses formidables moustaches d’ogre pour se donner une contenance.

— Mais, fit-il, vous faites erreur, nous n’avons rien à voir ici avec le terrorisme.

Macheprot cligna de l’œil.

— Plaisantez pas, mon colonel. Je veux bien que vous fussiez lié par le secret d’État, mais entre nous y a pas de gêne à avoir. Bon, oublions le mot, puisqu’y vous taquine et appelons votre école une caserne. Vous serait-il possible, en témoignage de ce qu’on a fait pour votre agent Kader Houcel, de nous prendre le petit ? Ne serait-ce qu’un stage d’un an, j’suis sûr que ça porterait ses fruits. Ensuite toutes les portes s’ouvriraient devant lui. A coups de bombes au besoin.

Comprenant qu’il avait affaire à des presque demeurés obstinés jusqu’au délire, Gamel Dâr Hachid demanda à Francis Macheprot de noter les coordonnées de son rejeton sur une fiche et promit de contacter Mathieu incessamment. Après quoi il prétexta un rendez-vous d’état-major et congédia le couple. Dans l’antichambre, le panier noir leur fut restitué. Ils quittèrent la caserne d’une allure guillerette.

La place accablée de soleil (comme il serait écrit dans une œuvre d’inspiration purement littéraire) était presque déserte. Les Macheprot se dirigèrent vers la rue la plus proche où, dans une zone d’ombre précaire, les attendait une voiture. Ils y prirent place. Le chauffeur s’arracha à sa somnolence, glissa le chapelet de prière, qu’il égrenait distraitement, dans la poche de sa blouse grise et démarra sans un mot.

Il conduisit les Macheprot а l’aéroport où ils s’enregistrèrent sur le vol Swissair 229 qui décollait à 15 h 20.

A 16 heures, le conseil du mercredi groupant tous les responsables des centres entraînement de Tri-poli et de Benghazi se réunit dans le bureau du colonel Gamel Dâr Hachid pour une conférence de routine. L’aréopage se composait d’une dizaine de personnes officiers supérieurs, conseillers spéciaux, délégués du pouvoir central.

Gamel qui présidait la séance parcourut la petite assemblée d’un regard dominateur, les pouces fichés à l’intérieur de son ceinturon de cuir.

— Je crois que tout le monde est là, dit-il, satisfait, nous allons pouvoir commencer.

Ce furent ses ultimes paroles et il est intéressant de constater que cet homme acheva sa vie par le verbe « commencer ». L’existence est pleine d’ironie.

La bombe déposée sous le bureau par le père Macheprot, grâce à sa chaussure orthopédique truquée, était si puissante qu’un seul des assistants eut la vie sauve. Encore lui manquait-il un bras et une jambe après l’explosion.

Au même instant, à quelque dix mille mètres d’altitude au-dessus de la Méditerranée, Mlle Heidi Aebyschoen, hôtesse de l’air de la Swissair, servait à Francis Macheprot un plateau repas comprenant : un toast au saumon fumé, une tranche de rosbif en croûte, un morceau de gruyère, un gâteau à l’orange et une aimable topette de dôle rouge en provenance du Valais.

N’EFFEUILLEZ JAMAIS LES ROSES D’OR

Je commence à avoir les cannes qui flanchent, à force d’à force !

Trois plombes à rester debout, compressé dans une foule de jeunots plus ou moins punkisés qui fouettent la sueur, la harde achetée aux puces et le parfum à trois balles la bonbonne, quine, а la fin !

Sans compter qu’une espèce de petite ogresse aux dents écartées, aux cheveux coupés en brosse et au regard incendiaire s’obstine à me masser la bite ! C’est pas que je sois contre, au départ, mais dis, j’ sus pas seulabre. Une merveilleuse m’escorte, belle comme le jour de tes vingt piges, blonde à faire dégueuler la Scandinavie, regard d’eau de roche, taille de sablier ! Et pour le travail à l’horizontale, chapeau ! Excepté celles qui ont fait mieux, j’en ai jamais rencontré de pareille ! Technique et passion ! Avec elle, à chaque séance, t’as droit au parachute ascensionnel ! Elle te démarre, mine de rien, à la nonchalante. Et puis ça devient de plus en plus préoccupant. Et tu te retrouves avec le zigomar farceur au point de fusion sans avoir trop compris ce qui te survenait.

Avec cette déesse en furie, mes nuits sont plus belles que mes jours. En tout cas plus agitées ! Nos voisins de chambre du Splendid Hôtel de Montreux en savent quelque chose. Tu peux les faire citer à la barre, ils te raconteront leur insomnie pour cause de panard hystéro dans la turne d’à coté.

C’est elle, Lola, qui a voulu venir au Festival de la Rose d’Or, absolument. Une frénétique. Elle raffole ces groupes de gonziers peinturlurés qui égosillent dans de la fumée artificielle et des cinglées de laser lumineux, jouant les sergents-majors de majorettes avec le micro. Ça les fait mouiller, les jeunes.

Sinatra, c’est fini. Et tous les crooners, crâneurs, les débiteurs de couplets caramel-pistache. Bien fini. Ringardisés à tout jamais, ils sont. Magasin d’accessoires. Juste bons pour la « Chance aux Chansons ». Pont-aux-Dames ! C’est triste. Mais leur vengeance suit le train.

Les groupes en question sont formidablement éphémères. Ils existent le temps d’un disque, à la rigueur d’une saison. Tant tellement ça se bouscule derrière, avec des chiées d’autres en attente. Des qu’ont les tifs plus orange et bleus encore ! Des frimes plus bariolées, clown, des voix d’eunuques qu’on empale au fer rouge. Surenchère ! Toujours ! « Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau », disait Charles (pas de Gaulle : Baudelaire). Du nouveau, il en surgit sans trêve. Il est inépuisable, l’homme, surtout dans la déconnance. Il confine au génie quand il s’agit de trouver de l’hyper-dinguerie. Il piétine sur le cancer, s’enlise dans le salut du tiers monde, se ramasse la gueule pour vaincre le chômage. Mais vociférer devant deux mille gentils glandeurs en transe, alors là, vas-y, Ninette ! C’est du grand art.

Pour t’en reviendre à ma pomme, je sens mes jambes qui tournent court. Déjà que des gonzesses épuisées se sont assises sur mes pinceaux, le nez à fleur de trous du cul, vaincues par la fatigue. Obligées de déclarer forfait, les pauvrettes, tandis que « The Blow Monkeys » se déferlent sur la scène.

— Tu penses rester jusqu’au bout ? je hurle dans l’oreille de Lola.