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— Je refuse de vous croire. Tous ne pouvaient être aussi… pervers. Par exemple, le grand La Fayette qui s’est dévoué à la cause de notre Indépendance…

— Collectionnait les maîtresses ! Voulez-vous des noms ?… Et à ce propos, je ne vous conseille pas de chanter trop haut les prouesses du grand homme quand les oreilles de Fontsommes sont à proximité. Et surtout pas à Versailles !

— Comment ? Il n’en est pas fier ?

— Non seulement il n’en est pas fier mais je pense qu’il le hait. Il ne lui a pas encore pardonné le 5 octobre 1789, l’envahissement du palais par le peuple, les dangers courus par la famille royale et la mort des gardes du corps !

À bout de questions comme d’arguments, Alexandra se réfugia dans le silence, égratignant d’une cuillère rêveuse une sublime glace à l’ananas et jetant, de temps à autre, un coup d’œil vers l’autre côté de la table où Fontsommes avait tranquillement repris sa conversation avec lady Ann. Elle le voyait différemment à présent. Consciemment ou non, le comte Orseolo venait de planter sur la tête de son ami cette inimitable auréole que confèrent les amours malheureuses et royales même si la jeune Américaine était un peu déçue d’apprendre que le chevalier de la reine s’était permis quelques aventures aussi terrestres que rafraîchissantes…

Le ton de sa voix s’en ressentit quand, au moment du départ, Fontsommes, en s’inclinant sur sa main, lui demanda la permission de venir le lendemain au Ritz la saluer ainsi que sa tante et se mettre à leur disposition. Avec une grande sincérité, elle se déclara ravie de pouvoir grâce à lui réaliser le rêve qu’elle caressait depuis l’adolescence : visiter le château de Marie-Antoinette. Sans qu’elle en eût conscience, ses grands yeux se firent de velours et son sourire éblouit le jeune homme qui en éprouva vraiment le charme pour la première fois. Il pensa que redécouvrir les parterres et les bosquets de Versailles en compagnie de cette idéale créature pouvait être la plus exquise expérience de sa vie. À condition de se montrer patient et de savoir ménager une délicatesse et une fierté qu’il savait désormais ombrageuses, il parviendrait peut-être à trouver le défaut de la cuirasse de cette Vénus qui se prenait pour Minerve. Elle valait la peine qu’on se donnât beaucoup de mal…

Contrairement à ce qu’elle attendait, Jean de Fontsommes ne proposa pas tout de suite à Mrs Carrington de lui révéler la cité royale et son fabuleux château.

— Puisque aussi bien vous n’irez à Vienne que plus tard et finirez votre pèlerinage par ce qui devrait en être le début, je préfère vous faire remonter le cours du temps. Demain, si toutefois cela vous convient, je vous conduirai à la basilique de Saint-Denis.

— Qu’est-ce donc ? demanda miss Forbes.

— Le tombeau des rois de France, mademoiselle. C’est là que reposent Louis XVI et Marie-Antoinette. J’espère que vous me ferez l’honneur de nous y accompagner ?

— Nous irons tous ! décida Elaine Orseolo. Depuis que je suis vénitienne j’ai la passion des vieilles pierres. Par contre, ce n’est pas le cas de mon cher époux.

— Je le sais depuis longtemps, dit Fontsommes, et j’en suis on ne peut plus content. Reste dans ton ignorance, mon cher, ajouta-t-il à l’adresse de son ami, je n’en profiterai que mieux d’une si aimable compagnie.

Néanmoins, quand il vint les chercher le lendemain, il ne put s’empêcher de sourire : ses trois Américaines étaient vêtues de noir de la tête aux pieds comme si elles allaient à des funérailles mais, songeant qu’après tout cela marquait un respect assez touchant, il se garda bien de la moindre remarque. D’ailleurs, la couleur funèbre faisait chanter le teint d’Alexandra et elle portait dans ses mains gantées une touffe de roses pourpres qui ajoutaient une note dramatique assez impressionnante.

— J’ai l’impression de conduire la reine Guenièvre au tombeau du roi Arthur, lui murmura-t-il en l’aidant à monter en voiture.

Elle le regarda, surprise :

— La reine Guenièvre ?

— C’est le nom que je vous ai donné quand je vous ai rencontrée pour la première fois.

— Est-ce que je le méritais encore chez Maxim’s ?

— Non… mais je vous l’ai rendu très vite !

Leurs compagnes ne prirent pas garde à ce court dialogue. Elles admiraient la magnifique voiture laquée vert foncé à filets noirs dont les portières armoriées montraient, sous la couronne ducale, un lion d’or passant sur champ de gueules. L’intérieur, capitonné de velours vert sombre, s’assortissait aux livrées du cocher et du valet de pied. Quant aux chevaux, de hauts « carrossiers » noirs à balzanes blanches, ils auraient enchanté l’oncle Stanley.

Lisant une muette surprise dans le regard de Mrs Carrington, Fontsommes lui sourit et répondit à la question qu’elle ne se serait pas permis de formuler :

— Eh non ! La noblesse française n’est pas uniquement composée de pauvres hères qui attendent avidement qu’une riche héritière américaine se donne à tâche de redorer leur blason…

— Mais… je… balbutia-t-elle, prise au dépourvu et soudain très rouge.

— C’est ce que vous pensiez, n’est-ce pas ? Vous avez pourtant dîné chez les Rohan ?

— En effet, fit-elle en prenant son courage à deux mains. J’avoue que je le pensais. Cela tient à ce que, portant un grand nom, vous n’êtes pas encore marié…

— … à votre âge, compléta le duc en riant. Vous touchez là au grand chagrin de ma mère. Elle espère toujours celle qui saura m’attacher…

— Votre mère habite avec vous ? demanda tante Amity à sa façon directe.

— Rarement. J’occupe seul, la plupart du temps, notre hôtel de la rue Barbet-de-Jouy. Elle préfère notre château de Fontsommes en Vermandois et plus encore son palais natal de Venise…

— Rue Barbet-de-Jouy ? Cela me dit quelque chose.

— Preuve que vous connaissez assez bien Paris, mademoiselle ! J’habite en effet entre l’archevêque de Paris et le romancier Paul Bourget. Entre le diable et le Bon Dieu, si vous préférez…

L’ancienne abbatiale de Saint-Denis devenue basilique et sauvée de la ruine une quarantaine d’années plus tôt par Viollet-le-Duc mais dont la façade, encore d’époque, montrait quelques traces navrantes d’obus prussiens récoltées pendant la guerre de 1870 les désola. D’une même voix les trois Américaines s’apitoyèrent et déclarèrent cet état de choses shocking mais l’indignation d’Alexandra ne connut plus de bornes quand, après avoir admiré les grands tombeaux royaux qui meublaient l’intérieur de l’église, elle découvrit dans une crypte poussiéreuse et sombre les deux statues agenouillées – le roi en costume de sacre et la reine dans une robe à taille haute comme elle n’en avait jamais porté – qui recouvraient les sarcophages.

— C’est une honte ! souffla-t-elle furieusement car elle n’osait pas élever la voix. Une cave ! Votre République l’a mise dans une cave et cette cave…

— … « a l’air d’un débarras de rois… » murmura Jean reprenant un vers du poème écrit par Edmond Rostand en épilogue de l’Aiglon. Vous aurez la même impression quand vous visiterez, à Vienne, la crypte des Capucins. Quant à la République, elle n’y est pas pour grand-chose. Il n’y a plus de place là-haut…

Sans lui répondre, Alexandra s’inclina, posa ses fleurs, avec un respect infini, devant les genoux de la reine et resta un moment en méditation, insensible aux chuchotements de ses compagnes qui continuaient à visiter la crypte. Seul, le duc resta derrière elle, silencieux et le chapeau à la main, puis la suivit lorsqu’elle remonta vers la sortie.