Выбрать главу

— Non. Je l’ai garnie au coffre du Ritz, je l’ai fermée à clef, j’ai mis la clef dans mon sac et je n’y ai plus touché avant de me rendre tout à l’heure chez Mr Ellmer. Je ne vois pas quelle occasion j’aurais pu avoir de porter des diamants, des rubis ou des émeraudes en cours de route ? Les perles que j’avais au cou étaient bien suffisantes, même pour un train de luxe.

— Bien, fit M. Rivaud. Et dans le train qu’en avez-vous fait ? Vous ne l’avez pas emportée au wagon-restaurant, je suppose ?

— Non. J’avais toute confiance dans ma serrure et aussi dans la surveillance du train. Je me suis contentée de la glisser sous ma couchette et je n’ai d’ailleurs pas été très longtemps absente. Je n’avais pas très faim…

— Ce soir non plus, apparemment, remarqua tante Amity. Mangez donc votre langouste grillée, Alexandra, elle est exquise.

— Je sais mais j’avoue que j’ai un peu l’appétit coupé.

— C’est tout naturel, fit M. Rivaud avec un bon sourire. Ces pièces vous étaient très précieuses, sans doute ?

— Je l’avoue. Mon époux m’avait offert cette parure d’émeraudes qu’il avait achetée à une vente chez Christie. Elles ont une valeur historique car elles appartenaient à cette princesse aztèque dont Cortés fit sa compagne…

— La belle Malinche, précisa M. Rivaud un rien content de lui-même devant l’air admiratif de ses compagnes. Je comprends que vous y teniez. C’est le cadeau royal d’un époux sans doute très épris… Et l’autre joyau ?

— Il a une longue histoire, fit Alexandra un peu gênée en se décidant à attaquer sa langouste presque froide. Je l’ai acheté à Pékin, peu avant le siège des Légations. Un très beau médaillon en jade blanc serti d’or…

— Un jade blanc ? Mais la vente en est interdite en Chine ? Ils sont l’apanage de la famille impériale. Comment avez-vous fait…

— Oh… un coup de chance !

— C’est la raison pour laquelle ma nièce a toujours considéré ce bijou comme son porte-bonheur.

— J’espère sincèrement que vous les retrouverez. Permettez-moi néanmoins encore une ou deux questions. Ce sera toujours autant que vous n’aurez pas à apprendre à Langevin…

— Vous pensez qu’il viendra m’interroger ?

— J’en suis persuadé. Voilà plusieurs années déjà qu’il cherche à mettre la main sur un audacieux voleur de bijoux qui semble d’ailleurs avoir un faible pour les émeraudes. Vous allez l’intéresser prodigieusement… Alors, si vous le voulez bien, revenons-en à votre voyage ! Après votre descente du train, qu’est-il advenu de votre cassette ?

— Je ne l’ai pas lâchée. Pas un instant. Même pour visiter Beaune je l’avais avec moi et pour les repas aussi. Je n’avais pas vraiment confiance dans les défenses de l’hôtel où je suis descendue.

— Vous auriez pu, sourit M. Rivaud. Il y a un coffre-fort dans cet établissement, qui est fort bien tenu et que je connais d’ailleurs.

— Existe-t-il en France et même en Europe un hôtel, un restaurant ou autre chose d’agréable que vous ne connaissiez pas ? dit miss Forbes en riant. Vous devriez écrire un guide pour vos amis… mais il me vient une idée : demain soir j’emporterai l’un des gants que vous portiez pendant votre voyage, Alexandra. Peut-être qu’Eusapia Palladino pourra nous dire quelque chose sur votre voleur. Je crois qu’en Italie elle a déjà aidé la police.

— Pourquoi pas ? dit Nicolas Rivaud. Cela ne coûte rien d’essayer. En attendant, je vais téléphoner à Langevin. Veuillez m’excuser un moment !

Tandis qu’il rentrait à l’intérieur du bâtiment, Alexandra se laissa aller contre le dossier de son fauteuil en rotin blanc et ferma les yeux pour sentir la brise venue de la mer caresser son visage. M. Rivaud, pour la distraire un peu, les avait emmenées, Amity et elle, dîner sur la terrasse du Cercle nautique dont l’élégante façade blanche couronnée de balustres et d’un fronton triangulaire faisait face à la Méditerranée. Possédant un voilier ancré dans le port de Cannes, M. Rivaud était vice-président de ce club sélect et très britannique où les femmes n’étaient admises que pour le dîner.

Alexandra appréciait cette initiative qui l’éloignait de la curiosité des gens de l’hôtel et elle admettait volontiers que ses préventions concernant Nicolas Rivaud étaient tout à fait injustifiées. C’était l’un de ces vieux messieurs charmants, cultivés, sympathiques et un rien vieille France comme elle les appréciait et elle comprenait à présent que tante Amity lui eût donné son amitié. Sa compagnie devait la changer de celle de ses amies de Philadelphie et des quelques hommes qu’une demoiselle célibataire pouvait se permettre de rencontrer.

Néanmoins, elle n’était pas certaine que son idée d’alerter un policier de haut rang lui fût agréable. Cet homme allait lui poser des questions et que répondrait-elle ? Que l’envie soudaine lui était venue, peu après l’arrêt de Dijon, de visiter la Bourgogne en pleine nuit ? S’il fallait raconter son aventure avec le duc de Fontsommes, elle en mourrait de honte. D’autant qu’une idée terrible lui avait traversé l’esprit après la découverte du vol de ses bijoux : celui-ci n’avait pu avoir lieu que dans le Méditerranée-Express et deux personnes seulement, en dehors d’elle-même, avaient eu accès à sa cabine : l’ancien interprète à la légation de France qu’elle n’arrivait pas à croire coupable et un grand seigneur au-dessus de tout soupçon. Elle ne pouvait pas, elle ne voulait pas parler d’eux. Mieux valait encore passer pour une folle, ou tout au moins une excentrique. C’était un travers dont on taxait volontiers les Américaines dans ce pays et ce serait, après tout, de peu d’importance : dans deux mois au plus tard, elle reprendrait le bateau pour New York !… Peut-être même serait-elle obligée de rentrer plus tôt. Jonathan semblait déjà d’assez mauvaise humeur. Que serait-ce s’il la voyait revenir sans ses émeraudes !

Elle trouva tout de même un sourire pour M. Rivaud quand il vint rejoindre ses invitées en annonçant que le commissaire arriverait le surlendemain au matin :

— Afin que sa visite soit aussi discrète que possible, il descendra chez ma sœur qui le connaît bien et sera enchantée de le recevoir : elle adore les histoires de crimes et voue une sorte de culte à Sir Arthur Conan Doyle et à son célèbre héros Sherlock Holmes… Plus il y a de mystère et de sang et plus elle est contente, conclut-il avec un bon sourire.

Alexandra pensa que cette dame s’entendrait certainement avec Jonathan et se demanda à quoi pouvait ressembler une personne ayant de tels goûts. Aussi fut-elle fort surprise quand, le lendemain, M. Rivaud conduisit ses deux amies déjeuner chez sa sœur. Mlle Mathilde, avec ses joues roses et ses cheveux argent, était la plus charmante vieille demoiselle qu’elle eût jamais vue. Pas très grande et menue, elle semblait avoir adopté définitivement la mode Empire, arborait de longues robes de percale ou de mousseline à taille haute l’été, de velours ou de lainage l’hiver et portait ses cheveux tressés en couronne qu’elle ornait de petits bonnets, de fanchons de dentelle ou d’une coiffe qui rappelait celle des Arlésiennes. Ainsi accommodée elle était tout à fait anachronique mais ces atours d’un autre âge allaient bien avec son maintien plein de dignité. Tout au moins quand Mlle Mathilde ne piquait pas un fou rire car elle était pleine d’humour et d’un caractère vraiment gai. De toute évidence, elle et tante Amity s’entendaient à merveille.

Sa maison lui ressemblait en ce sens qu’elle n’avait rien de moderne. Située près de la Croix des Gardes, elle nichait au milieu d’un véritable jardin exotique un clair pavillon, une sorte de folie dans le style provençal du XVIIe siècle avec de hautes fenêtres à petits carreaux, un toit plat orné aux quatre angles de pots à feu en terre cuite et exhaussé sur une terrasse bordée de buis taillé à laquelle on accédait par un escalier à double révolution encadrant un bassin rond où l’eau ruisselait d’une vasque de pierre en forme de coquille. De cette terrasse adossée à de grands pins la vue était admirable car on découvrait toute la baie de Cannes où sur la mer indigo les îles de Lérins ressemblaient à des corbeilles vertes, la ville nouvelle étirée au long de la Croisette, le port et le vieux bourg dominés par la vieille tour de guet du Suquet, l’église Notre-Dame-d’Espérance et la tour de l’Horloge : des voiles blanches voltigeaient ici et là sur la mer et, dans le port, les marins d’un grand trois-mâts carré sur le point d’appareiller s’activaient dans les haubans.