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Servi sous un berceau de jasmin, le déjeuner, œuvre de Céline qui, avec son époux Constant, formait tout le domestique de Mlle Rivaud, fut simple et délicieux. Il était composé de melons, d’agneau grillé, de salades fraîches et de framboises à la crème. La maîtresse de maison l’égaya en racontant à Alexandra une foule d’histoires sur Cannes et ses habitants réguliers ou temporaires. Elle parla avec amitié de lord Brougham qui avait en quelque sorte découvert et « lancé » Cannes et dont la villa Éléonore-Louise, à présent déserte, s’élevait non loin de chez elle. Elle l’avait connu dans sa jeunesse mais, parmi les habitués de l’hiver, il y en avait un dont elle raffolait : c’était le grand-duc Michel, oncle du tzar, dont la villa Kazbeck renfermait une armée de domestiques et de cosaques et qui avait des manies incroyables :

— Vous rendez-vous compte qu’il ne se rend jamais au golf sans être accompagné d’une vache ?

— Une vache ? s’exclama miss Forbes, mais pourquoi ?

— Pour la faire traire au moment – qu’on ne peut jamais prévoir – où il exigera une tasse de thé. Le samovar et les ustensiles ad hoc le suivent toujours sur les greens, la vache aussi et, de cette façon, il est certain d’avoir du lait frais.

En regagnant l’hôtel du Parc, Alexandra se sentait d’humeur plus légère. Même le vol de ses bijoux l’angoissait moins et elle se fût volontiers attardée davantage chez Mlle Mathilde mais le commissaire Langevin arrivait le matin suivant et elle devait le rencontrer vers onze heures comme M. Rivaud en était convenu au téléphone. Ensuite, tout le monde déjeunerait à nouveau dans la jolie maison de Mlle Mathilde.

Ce soir, elle serait seule à l’hôtel puisque Amity et Nicolas se rendaient à leur cercle spirite et elle n’en était pas mécontente. Cela lui permettrait de préparer les réponses qu’elle ferait aux questions du policier et aussi de réfléchir dans le silence, d’essayer de comprendre quelque chose aux étranges réactions de sa sensibilité, de prendre, en quelque sorte, conseil d’elle-même…

Il était écrit, néanmoins, que sa soirée allait être beaucoup moins tranquille qu’elle ne le souhaitait…

CHAPITRE VIII

LE SECRET DE TANTE AMITY

La nuit était superbe, tiède, pleine d’étoiles qui se reflétaient dans le bleu laiteux de la mer. Le parc embaumait le myrte et la fleur d’oranger. Pour mieux goûter ces instants de beauté, Alexandra s’était installée en déshabillé sur une chaise longue de la terrasse après avoir tout éteint dans sa chambre. Elle se sentait merveilleusement bien et commençait même à s’assoupir quand le bruit d’une porte claquée suivi de sanglots convulsifs fit éclater sa paix en mille morceaux.

Vivement relevée, elle constata que tout cela venait de chez sa tante dont la porte-fenêtre donnant sur la même terrasse était éclairée. Elle s’en approcha sans bruit et l’aperçut jetée à plat ventre en travers de son lit comme un vêtement que l’on vient d’abandonner.

Un moment, elle resta là interdite, ne sachant que faire. C’était la première fois qu’elle voyait pleurer tante Amity et ce spectacle lui serra le cœur. Qu’avait-il bien pu lui arriver pour la mettre dans cet état ? Si jamais le coupable était Nicolas Rivaud…

Elle entra doucement, alla jusqu’à la salle de bains pour y prendre une serviette qu’elle mouilla d’eau fraîche et d’eau de Guerlain puis revint vers le lit et s’efforça de relever la tête qu’Amity cachait dans ses bras croisés. Elle entendit un murmure confus qui devait signifier « laissez-moi » mais elle se garda bien d’obéir.

— Tante Amity, supplia-t-elle, permettez-moi de vous aider. Cela me crève le cœur de vous voir pleurer…

— Per… personne… ne peut… rien… pour moi.

— Je suis sûre du contraire parce que je vous aime autant que ma mère et je ne supporte pas de vous voir malheureuse.

— Alors… si vous voulez… faire quelque chose… sonnez une… femme de chambre pour qu’elle fasse… mes bagages et dites… au bureau… de l’hôtel qu’on… me retienne une place… sur le premier train.

— Tante Amity ! Il est dix heures du soir ! Faire lever une femme de chambre serait inhumain et les bureaux de réservation sont fermés.

— Alors… une voiture pour aller… à la gare ! J’attendrai… là-bas !

— En voilà assez ! Vous allez me dire ce qui se passe !

Empoignant Amity par les épaules, elle la retourna comme une crêpe puis l’obligea à se redresser, découvrant un pauvre visage défiguré qu’elle se hâta de rafraîchir :

— Mais qu’est-ce qui a pu vous mettre dans un état pareil ? Vous vous êtes disputée avec M. Rivaud ?

Amity renifla :

— Lui ?… pauvre cher homme !… Il a… essayé de me retenir… et il m’a couru après… mais je me suis cachée. Le… regarder en face m’aurait fait mourir… de honte !

— De honte ?

— De honte…

Et de sangloter de plus belle. Devant ce cataclysme, Alexandra s’efforça de ne pas perdre la tête. Elle sonna le garçon d’étage et lui demanda d’apporter un verre de cognac ou de tout autre remontant énergique. Elle fut obéie en un temps record et revenant vers sa tante qui se tenait tassée sur le lit, les mains inertes sur ses genoux et les larmes coulant sans arrêt de ses yeux, elle lui fit avaler presque de force la moitié du verre.

Miss Forbes s’étrangla, toussa, cracha, renifla puis, saisissant le verre, le vida jusqu’au fond avant de le rendre à sa nièce en disant d’une voix tout de même plus nette :

— Je suis déshonorée aux yeux de mon meilleur ami ! Il faut que je rentre à la maison !

La patience n’avait jamais compté au nombre des vertus de Mrs Carrington. Pour ce soir, elle n’en avait plus de reste et elle décida d’employer les grands moyens :

— Tante Amity ! Ou bien vous me dites ce qui s’est passé ou bien je téléphone à M. Rivaud pour lui demander des explications.

— Vous n’allez pas faire ça ?

— Alors parlez ! Vous n’êtes pas allés à cette séance de spiritisme ?

— Oh si ! fit lugubrement miss Forbes. C’est de là que vient tout le mal, hélas !

— Cette fois vous en avez trop dit ou pas assez. Vous savez que je n’ai jamais aimé ces invocations d’esprits et je ne suis pas autrement étonnée qu’il vous soit arrivé quelque chose de désagréable. Reste à savoir jusqu’à quel point il faut y accorder crédit.

Et sur ce, Alexandra remplit à nouveau le verre qu’elle garda dans ses mains en cas de besoin et vint s’asseoir auprès de sa tante, attendant qu’elle parle.

Cela n’alla pas tout seul. Miss Forbes poussa une collection de soupirs, se donna du courage en sirotant encore un peu de cognac et, finalement, déclara :