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— J’ai hérité à sa place d’une lady Glossop qui n’était pas beaucoup plus récréative et j’ai abrégé mon repas en demandant que l’on me serve le café chez moi.

— Bien. À présent, dites-moi : le duc de Fontsommes, puisqu’il doit s’agir de lui si je traduis bien l’initiale et la description de Lorrain, était-il aussi au wagon-restaurant ?

— Non. J’ignorais même sa présence dans le train sinon j’en serais descendue en gare de Lyon. C’est à cause de lui que j’ai quitté Paris et il était la dernière personne que je souhaitais rencontrer.

— Je vois. Pouvez-vous maintenant m’en dire plus ? J’ajoute que ma discrétion vous est acquise pour tout ce qui pourrait blesser votre sensibilité.

— Je n’en doute pas… Donc, M. de Fontsommes s’était arrangé pour qu’à l’exception du conducteur personne ne sût sa présence à bord du Méditerranée-Express. J’admets que, ces dernières semaines, on nous a beaucoup vus ensemble et que… j’avais plaisir à sa compagnie…

— Seulement plaisir… ou un peu plus ?

— Si vous le connaissez vous devez savoir qu’il est fort séduisant et que sortir avec lui est plutôt flatteur. Je reconnais cependant qu’il m’a inspiré… un peu plus que de la sympathie… De son côté, il semble qu’il en ait tiré des conclusions peut-être excessives.

Et de raconter avec une netteté et une franchise que Langevin admira sans réserve tout ce qui s’était passé entre elle et Jean à Versailles d’abord et ensuite dans le Méditerranée-Express.

— Après cette scène vraiment éprouvante j’ai été prise d’une terrible envie de fuir ce train. Ignorant que le duc était descendu à Dijon, je ne m’y sentais plus en sûreté et lorsque je dis que j’y étouffais, je ne travestis en rien la vérité. Il fallait que je sorte à n’importe quel prix.

Langevin se permit un sourire :

— Le prix a dû être assez élevé. Cela coûte cher de stopper un express…

— C’était de peu d’importance en comparaison de la sensation de liberté et aussi de sécurité que j’ai éprouvée. En outre j’ai découvert une ville ravissante.

— Je suis né à quelques kilomètres de Beaune et je suis heureux que vous l’ayez appréciée… À présent revenons-en au vol de vos bijoux : si je m’en tiens à ce que m’a appris mon ami Rivaud, vous n’avez perdu votre mallette de vue que durant le temps de ce dîner en compagnie de Lorrain d’abord, de la vieille lady ensuite ?

— Absolument et là-dessus je suis formelle. Pendant ma nuit à Beaune, ma chambre était bien fermée et lorsque je suis allée visiter la ville comme au cours des repas, je l’ai gardée avec moi. Ce n’est pas un bagage très lourd ni très encombrant.

— Bien. De ce que vous me dites, il ressort que, dans le Méditerranée-Express, deux personnes seulement ont pu accomplir le vol : le conducteur, mais je ne vous cache pas que cela m’étonnerait beaucoup car je le connais depuis longtemps…

— Moi aussi. Je l’ai rencontré en Chine quand il était interprète à la légation de France. Il a contribué à me sauver la vie… Qui est la deuxième personne ?

— Cela tombe sous le sens : le duc de Fontsommes.

— Ah, vous trouvez ? Mais, commissaire, c’est absurde ! Le duc est riche à ce que l’on m’a dit.

— Très riche même et je vous avoue que je le vois mal se lançant dans une entreprise de ce genre envers la femme à laquelle il allait demander de l’épouser. Il nous reste les deux autres voyages en train que vous avez effectués pour venir jusqu’ici. Il faut me décrire aussi fidèlement que possible vos compagnons de route et me dire où se trouvait alors votre mallette. Sur vos genoux ?

— Tout de même pas. Elle était dans le filet au-dessus de ma tête avec mon sac de nuit.

— Vous êtes-vous endormie ?

— Oui. Entre Mâcon et Lyon d’une part et ensuite après Marseille, mais personne n’aurait pu prendre cette cassette sans que je m’en aperçoive.

— À un voleur habile tout est possible…

— Même d’ouvrir un bagage sans fracturer la serrure ni forcer le cadenas ?

— Même ça. L’Amérique est-elle donc un pays si vertueux qu’elle n’ait à souffrir d’aucun cambrioleur de grande classe ?

— Il y a chez nous trop de gens riches pour ne pas exciter la convoitise. Nous avons nous aussi nos aigrefins. Mais, si je repense à mes compagnons de voyage, aucun ne ressemblait à un grand voleur.

— À quoi ressemble, selon vous, un voleur de classe ? fit le commissaire avec un sourire.

Alexandra réfléchit un instant puis s’avoua vaincue :

— Au fond je n’en sais rien du tout, n’ayant comme modèle que ceux que l’on voit au théâtre.

— Alors, vous allez, à présent, me décrire aussi soigneusement que possible ceux qui ont voyagé avec vous ? Elle le fit avec une grande conscience, s’appliquant comme une petite fille à qui l’on a donné un devoir difficile mais elle avait une excellente mémoire et, surtout, elle oubliait rarement un visage. Langevin l’écouta attentivement, prenant quelques notes dans un carnet.

— Pensez-vous tirer quelque chose de tout cela ? demanda-t-elle quand elle en eut terminé.

— Oh oui ! C’était fort instructif et je crois pouvoir affirmer que le vol doit avoir eu lieu avant Lyon. Après, il y avait trop de monde dans votre compartiment et à moins de supposer que vous êtes tombée au milieu d’une bande organisée…

— Avant Lyon ? Vous voulez dire que le coupable pourrait être ce monsieur si aimable et si respectable, si drôle aussi avec sa casquette à bavolets ?

— Eh oui ! Il s’est présenté sous le nom de Moineau ?

— En effet.

— Eh bien, nous allons essayer de le retrouver. Votre description vient de réveiller un vieux souvenir. Permettez-moi de vous remercier… et de vous libérer. Votre supplice est terminé.

— Vous avez fait en sorte que ça n’en soit pas un. C’est à moi de vous remercier.

Le déjeuner qui suivit fut des plus animés. Alexandra ayant tenu à ce que chacun prît connaissance du « papier » de Jean Lorrain, ce fut un tollé unanime. Pour sa part, M. Rivaud prit la chose avec gravité :

— Cet homme vous a bien dit qu’il se rendait à Nice ?

— Oui. J’ignore pour combien de temps, par exemple. Sa mère possède une maison avenue de l’Impératrice.

— Parfait. Je vais aller le voir cet après-midi même…

— Nicolas ! s’écria miss Forbes qui s’empourprait chaque fois qu’elle prononçait le prénom de son « fiancé ». Est-ce que ce n’est pas un peu dangereux ?

— Dangereux ? protesta Mlle Mathilde. Ce n’est pas mon frère qui risque de recevoir des coups de canne, c’est l’autre.

L’image qu’elle évoquait détendit l’atmosphère. On but avec enthousiasme au bonheur des futurs époux, à l’arrestation du voleur d’Alexandra et au châtiment bien mérité d’un homme de plume venimeux.

N’ayant rien d’autre à faire en attendant le train du soir qui le ramènerait à Paris, le commissaire Langevin choisit d’accompagner son ami dans son expédition punitive et les deux Américaines rentrèrent à l’hôtel. Tante Amity souhaitait écrire à sa famille pour lui annoncer son prochain mariage.

— Je me demande comment ils vont réagir ? plaisanta Alexandra. Vous croyez qu’oncle Stanley va nous arriver un beau jour flanqué d’un commissaire de police pour vous arracher à votre séducteur.

— Je ne suis pas certaine, Alexandra, que cette allusion à un passé regrettable soit du meilleur goût ! dit Amity avec sévérité. Cette fois, je ne crois pas avoir grand-chose à craindre et je suis persuadée que votre mère sera enchantée. Quant à l’aîné de vos oncles, Richard, je sais d’avance ce qu’il va dire : « J’ai toujours pensé qu’Amity était timbrée et c’est une excellente chose qu’un homme courageux accepte de s’en charger. Grand bien lui fasse ! »…