Выбрать главу

Le maître des illustres caves se mit à rire :

— Commandez un supplément de plantes vertes ! Vous les cacherez derrière. Il ne vous restera plus qu’à les arroser…

CHAPITRE XIII

LA FIN DU VOYAGE

Quand le lendemain, tard dans la matinée, Alexandra sonna pour son petit déjeuner, elle vit Mme Rivaud pénétrer dans sa chambre à la suite du plateau. Du coup, elle jaillit de son lit pour sauter au cou de cette visiteuse qui lui avait tellement manqué.

— Tante Amity ! soupira-t-elle. Pourquoi m’avez-vous abandonnée ? Depuis votre départ je n’ai fait que des bêtises…

Les deux femmes s’embrassèrent avec une vraie tendresse. Puis l’ancienne miss Forbes tendit un peignoir à sa nièce et ordonna à la femme de chambre de déposer le plateau dans le salon puis de lui apporter à elle-même un grand pot de café et des croissants :

— Le café de ma cuisinière n’est qu’une infâme lavasse et je n’ai pas encore eu le temps de lui apprendre à le faire. Ici, au moins, je vais pouvoir déjeuner sans risquer ma vie.

— Quand donc êtes-vous rentrés ?

— Cette nuit et, ce matin, à l’aurore nous trouvions votre ami Tony, débordant d’excuses, pratiquement assis sur le paillasson. Il en a été bien puni : on lui a offert du café !

Alexandra regarda sa tante avec admiration : elle débordait visiblement de joie de vivre et sa mine, sous une plantation de marguerites en velours, était admirable :

— Inutile de demander si vous êtes heureuse ? soupira la jeune femme. Vous rayonnez positivement ! Oncle Nicolas va bien ?

— Très bien ! Il m’a chargée de toutes ses affections en regrettant beaucoup de ne pas avoir le temps de venir vous embrasser. Mais il avait un train à prendre.

— Un train ? souffla Alexandra abasourdie. Déjà ?

L’heureuse épouse éclata de rire et saisit la cafetière pour se resservir :

— Rassurez-vous, il ne quittait pas le domicile conjugal ! Simplement une lettre d’affaires ennuyeuse l’attendait dans son courrier. Il est parti pour Bordeaux…

— Décidément, nous faisons beaucoup fonctionner les chemins de fer dans la famille !… Au fait, que vous a appris Tony ?

— Des précisions intéressantes. Il m’a dit surtout que vous ne vouliez plus retourner chez vous. Ne cherchez pas la lettre de cet imbécile de Jonathan, il me l’a pratiquement récitée par cœur. Cet homme a une mémoire étonnante !

— Alors vous savez tout. Et… vous rentreriez, vous, dans de telles conditions ?

— Oui… Ne fût-ce que pour casser un parapluie sur la tête obtuse de mon époux afin qu’il ait vraiment quelque chose à me reprocher. Et c’est ce que vous allez faire dès que Nicolas aura mis de l’ordre à ses problèmes. Nous partirons avec vous comme nous l’avions décidé.

— Vous ne me comprenez pas, tante Amity ! Je suis… profondément offensée… je suis…

— Cruellement blessée à la fois dans votre orgueil et dans votre cœur ? fit Mme Rivaud avec beaucoup de douceur. Selon moi Délia fait une énorme folie. Peter Osborne n’avait rien de bien excitant mais c’était un mari de tout repos tandis qu’un pareil Don Juan !… De toute façon, ce sera amusant de voir l’effet produit sur Jonathan par cette grande nouvelle !… Après cela vous divorcerez tout à votre aise ! Mais pas en restant tapie ici comme une coupable : au grand jour, sur la place publique, au son des trompettes et de préférence en boutique !

— Je ne veux pas ruiner la carrière de Jonathan. Il ne le mérite pas…

— Nous allons avoir tout le temps d’en débattre en privé. Car naturellement vous venez habiter chez nous. C’est complètement ridicule de continuer à payer les yeux de la tête un appartement que vous n’habitez jamais…

— Si Tony vous a dit tant de choses, il a dû aussi vous apprendre…

— Que la police vous surveille comme le précieux trésor que vous êtes ? Qu’à cela ne tienne ! Dans son immense cuisine, quai Voltaire, Ursule sera enchantée d’avoir un auditoire. D’ailleurs ne craignez rien : son café est détestable mais sa cuisine excellente.

— Et que vais-je faire de tout cela ? demanda Alexandra en montrant du geste ses acquisitions qui encombraient le salon.

— Les confier à un transporteur qui les emballera et les convoiera au Havre où ils attendront votre départ dans un dépôt.

— Tante Amity ! Je n’ai plus de maison à New York. Jonathan a dû la mettre en vente…

— Vous en avez toujours une à Philadelphie ! Je vous donne la mienne si vous le souhaitez…

— Ce que je souhaite, c’est demeurer près de vous… je veux dire pas trop loin. Avez-vous acheté une maison en Touraine comme vous le souhaitiez ?

— Oui. Une vieille et exquise demeure près d’Amboise. Je l’adore et elle devrait vous plaire.

— Eh bien j’en achèterai une dans le voisinage et je vieillirai doucement auprès de vous et d’oncle Nicolas.

— Ne dites pas de sottises ! À vingt-deux ans on ne s’enterre pas à la campagne. Et puis vous aimez trop l’Amérique… Je vous jure bien que nous allons vous y ramener, Nicolas et moi. En attendant venez donc faire connaissance avec le quai Voltaire et le café d’Ursule !

Si la direction du Ritz fut satisfaite de récupérer enfin un appartement qu’elle aurait pu louer cent fois à des clients que sa cave et son restaurant auraient intéressés bien davantage, elle eut l’élégance de n’en rien marquer. Au déjeuner qu’elle prit avec sa tante pendant qu’on déménageait ses achats et que les femmes de chambre remplissaient ses grandes malles, Alexandra reçut, avec le champagne de l’adieu, les vœux d’une maison qui espérait bien la revoir souvent dans les temps à venir. Quant à Mme Rivaud, Olivier Dabescat tint à lui offrir personnellement une bouteille de ce vieux porto qu’elle aimait tant :

— Ce n’est pas juste, dit Alexandra en riant. L’oncle Nicolas a tout de même dû chasser Mr Jefferson de votre cœur ?

— Mais pas de mon esprit. Il sera toujours pour moi la plus parfaite incarnation des États-Unis… en outre ce porto est vraiment le meilleur que j’aie jamais bu. Je suis certaine que Nicolas l’aimera beaucoup…

Tante Amity fit à sa nièce les honneurs de son « home » parisien avec une légitime fierté. La maison, jadis propriété du marquis de Villette, avait vu mourir Voltaire ainsi que l’attestait la grande plaque de marbre de la façade. Depuis des années M. Rivaud y louait les deux premiers étages qui, avec un escalier intérieur, composaient un grand appartement fort agréable mais un peu trop vaste pour un homme seul et deux serviteurs. Après la mort de son fils et de la première Mme Rivaud, Nicolas avait souvent songé à déménager sans jamais parvenir à s’y résoudre : le charme de cette vieille demeure et la vue que l’on avait, de ses fenêtres à balustres, sur la Seine, les nobles bâtiments du Louvre et le pavillon de Marsan en étaient la cause. L’entrée en scène d’Amity Forbes vint à point nommé le convaincre de continuer à habiter l’une des plus agréables maisons de Paris. Néanmoins, comme il était un homme plein de tact et de délicatesse, il fit refaire pendant son voyage de noces les pièces qui n’étaient pas classées monuments historiques, c’est-à-dire les chambres, les salles de bains, l’office et la cuisine. Les deux salons conservèrent intacts leurs boiseries dorées, leurs plafonds peints et leurs précieux parquets que réchauffaient d’anciens tapis aux teintes adoucies.

Tout entière tendue de toile de Jouy à décor bleu Nattier, la chambre qui accueillit Alexandra l’enchanta. Ses meubles Directoire laqués gris et bleu avaient la simplicité et l’élégance qu’elle aimait. Un énorme bouquet de dahlias multicolores emplissait une jardinière basse, en tôle verte, posée devant la cheminée sans feu. Et que la vue sur les marronniers du quai et la Seine où passaient lentement les péniches était donc jolie ! Tout de suite la jeune femme s’y plut au point de souhaiter égoïstement que M. Rivaud s’attarde encore un peu dans les délices bordelaises…