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Celui-ci était resté en tête à tête avec le nègre. Soudain Hans Elders se redressa, regarda l’heure à sa montre.

— Comme il est tard, Jupiter. Voyons, remue-toi. Il est temps de partir, Jupiter.

Le nègre ne bronchait pas. Hans Elders s’approcha de lui. Jupiter, à demi étendu sur le sol, ronflait à côté de la bouteille de whisky vide.

Ce n’était pas la première fois.

Hans Elders considéra un instant le colosse endormi, puis quitta la pièce pour regagner sa chambre.

Lorsque Jupiter se réveillerait, il trouverait bien le chemin de la porte, et d’ailleurs, s’il voulait dormir là jusqu’à demain matin, libre à lui…

***

La nuit claire, étoilée. On aurait entendu voler une mouche.

… Et c’est pourquoi, au léger craquement de la porte, qu’ils entrebâillaient, deux êtres tressaillirent.

Cette porte s’était ouverte sur un couloir au premier étage de Diamond House. Deux ombres se profilaient dans la pièce éclairée par la lune, deux ombres qui se confondaient dans une étreinte suprême.

— Chère Winie.

— Cher Wilson.

Winifred pleurait sur l’épaule de l’officier.

— Je suis perdue, gémissait-elle, je suis déshonorée. Mon père s’oppose à notre mariage. Je n’oserai jamais lui avouer que je suis votre maîtresse. Je connais ses principes, il me tuerait.

— Chère adorée, vous n’êtes pas encore mon épouse devant les hommes, mais vous êtes ma femme devant Dieu, et je suis convaincu qu’avec son aide, nous parviendrons à obtenir le consentement de Hans Elders.

— Mon amour, Wilson, est si grand, qu’en dépit de la faute que je commets, que j’ai commise, et que je commettrai encore, je crois que j’aimerais mieux mourir que de renoncer au bonheur de vous serrer dans mes bras.

Les deux amants s’étreignirent.

— Voulez-vous, suggéra le lieutenant Wilson, que j’aille avouer à votre père ?

— Non, non, jamais. Mon père est intransigeant.

— On n’entend rien, dit enfin la jeune fille, vous pouvez partir. Demain nous nous reverrons. Nous trouverons peut-être une solution.

La maîtresse de l’officier demeura encore une seconde immobile, à écouter. Nul bruit ne vint rompre le silence de la maison.

***

… Jupiter ronflait comme un soufflet de forge lorsqu’il se sentit soudain secoué par les épaules. On le secouait d’ailleurs avec une telle violence que le nègre ne put faire autrement que de s’éveiller. Au surplus, les vapeurs de whisky commençaient à se dissiper.

Le nègre regarda la personne qui venait de l’éveiller en sursaut.

C’était Hans Elders en pyjama, les pieds nus dans des sandales de cuir.

— Jupiter, as-tu entendu ?

— Non, qu’est-ce qu’il y a ?

— Il y a quelqu’un ici. J’ai entendu marcher au premier étage, au-dessus de nous.

— Quelqu’un chez toi, au premier étage ? répéta Jupiter, moi pas comprendre, pas savoir ?

— Es-tu armé, Jupiter ?

Le colosse sourit, montrant ses poings énormes :

— Moi, toujours armé, moussié, répondit-il.

Mais, en traversant le bureau de Hans Elders, le nègre, qui s’était avancé le premier, poussa un cri terrible.

Le tiroir de la table avait été fracturé, il était grand ouvert, les papiers à l’entour.

— Moussié… Moussié… balbutia le nègre, au comble de l’effarement, regarde un peu ici… partis les billets de banque… Jupiter a été volé… Jupiter n’a plus de sous…

Cependant, tandis que de grosses larmes coulaient sur les joues tannées du colosse noir, Hans Elders bondissait au pied de l’escalier, le revolver au poing.

— Qui va là ? hurla-t-il dans le noir.

Le bruit furtif de pas qu’il venait de percevoir cessa soudain.

Hans Elders venait de tourner le commutateur électrique.

Au même moment, le nègre bondit sur les marches, à la poursuite d’une ombre fugitive.

— Moussié, hurla-t-il, quelqu’un qui se sauve… un méchant… un voleur…

Hans Elders, moins agile que Jupiter, accourait derrière lui. Lorsqu’il parvint au palier du premier, il aperçut le nègre terrassant une ombre.

— Toi voleur, toi mourir !

— Jupiter, que fais-tu ?

Et le nègre, obéissant, s’était arrêté d’étouffer sa victime, il la relevait comme une plume, la plantait debout, la maintenant toujours au collet dans l’étreinte de ses doigts puissants.

Les deux hommes se trouvèrent alors devant le fugitif :

— Wilson Drag !

C’était, en effet, l’officier horriblement pâle, suffoqué par l’étreinte du nègre, titubant, livide. Hans Elders l’interrogea durement :

— Que faites-vous ici, lieutenant ? Où alliez-vous, d’où veniez-vous ?

Wilson Drag ne broncha pas.

Le nègre, qui contenait difficilement sa colère, secoua terriblement l’officier :

— Réponds… réponds à moussié, ordonna-t-il, toi voleur… toi pris l’argent de pauvre nègre, toi le rendre tout de suite…

Jupiter voulut obtenir par la force ce qu’il ne pouvait avoir la persuasion. Il s’efforçait de fouiller dans les poches de l’officier, mais celui-ci se révolta :

— Arrière ! ordonna-t-il.

Puis, se tournant vers Hans Elders :

— Monsieur, faisait-il, je vous en supplie, ordonnez à cette brute de partir, je ne suis pas un voleur. Je vous expliquerai.

— Justifiez-vous immédiatement, monsieur, ou…

Hans Elders avait braqué son revolver sur l’officier. À ce moment apparut, à l’extrémité du couloir, la délicieuse silhouette de Winifred Elders.

La jeune fille, enveloppée dans un long kimono de soie, avait surgi, tel un fantôme aux cheveux noirs dénoués sur les épaules. De ses yeux étincelants, elle fixait l’officier, cependant que ses mains tremblantes se joignaient en une muette supplication. Le lieutenant Wilson Drag comprit que la jeune fille implorait son silence. Sa maîtresse exigeait le secret. Il fallait obéir.

Hans Elders ne comprenait toujours pas. Le nègre, d’autre part, insistait :

— Toi voleur, toi rendre l’argent… toi pas faire du tort à Jupiter, sans cela, Jupiter…

Winifred Elders s’était rapprochée de son père et, en deux mots celui-ci expliqua le drame tel qu’il l’avait compris :

— J’ai entendu du bruit. Dans mon bureau le tiroir était fracturé, l’argent de Jupiter avait disparu. Un voleur s’est introduit dans la maison… le voilà…

La jeune fille parut simplement atterrée d’une semblable révélation, elle dissimula son visage dans ses mains et tomba à genoux, de gros sanglots secouèrent sa poitrine. Mais elle ne protesta pas.

Wilson Drag, avec des gestes de dément, fouillait fiévreusement ses poches, les retournait une à une, obligeait Jupiter à palper ses vêtements, à vérifier le contenu de son portefeuille.

— Mais, criait-il, vous voyez bien que je n’ai rien… je ne suis pas un voleur.

Puis, protestant fièrement, Wilson Drag prit Hans Elders à partie :

— Je suis officier de l’armée anglaise, monsieur… Vous me rendrez raison de cette insulte.

— Doucement, mon beau monsieur, dit Hans Elders, je vous rendrai raison lorsque vous aurez rendu à ce pauvre Jupiter l’argent que vous lui avez volé. Oui, je sais bien que vos poches sont vides. Parbleu, vous n’êtes pas assez naïf pour y avoir conservé le produit de votre vol. Mais voilà une heure que je vous entends chez moi… voilà une heure que vous mettez à exécution votre projet, malheureusement, vous ne l’avez qu’à moitié réussi. Avouez votre crime, lieutenant, restituez l’argent et que cela finisse.