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STIEG LARSSON

La fille qui rêvait d'un bidon d'essence et d'une allumette

MILLENIUM — 2

roman traduit du suédois

par Lena Grumbach et Marc de Gouvenain

ACTES SUD

PROLOGUE

ELLE ÉTAIT ATTACHÉE sur une étroite couchette au cadre en acier. Des courroies de cuir l'emprisonnaient et un harnais lui maintenait la cage thoracique. Elle était couchée sur le dos. Ses mains étaient retenues par des lanières de cuir de part et d'autre du lit.

Elle avait depuis longtemps abandonné toute tentative de se détacher. Elle était éveillée mais gardait les yeux fermés. Quand elle les ouvrait, elle se trouvait dans le noir et la seule source de lumière visible était un mince rayon qui filtrait au-dessus de la porte. Elle avait un mauvais goût dans la bouche et ressentait un besoin impérieux de se laver les dents.

Une partie de sa conscience épiait le bruit de pas qui signifierait qu' il venait. Elle savait que c'était le soir mais n'avait aucune idée de l'heure, à part qu'elle sentait que ça devenait trop tard pour une de ses visites. Elle sentit une vibration soudaine dans le lit et ouvrit les yeux. On aurait dit qu'une sorte de machine s'était mise en marche quelque part dans le bâtiment. Quelques secondes plus tard, elle n'aurait su dire si elle l'inventait ou si le bruit était réel.

Dans sa tête, elle cocha un jour de plus.

C'était son quarante-troisième jour de captivité.

Son nez la grattait et elle tourna la tête pour pouvoir le frotter contre l'oreiller. Elle transpirait. L'air de la pièce était chaud et renfermé. Elle était vêtue d'une simple chemise de nuit en tissu uni qui remontait sous son corps. En déplaçant la hanche du peu qu'elle pouvait, elle réussit à attraper le tissu avec l'index et le majeur et à tirer la chemise de côté, centimètre par centimètre. Elle essaya avec l'autre main. Mais la chemise formait toujours des plis eh bas de son dos. Le matelas était bosselé et inconfortable. L'isolement total auquel elle était livrée amplifiait terriblement la moindre impression qu'autrement elle aurait ignorée. Le harnais, bien que serré, était suffisamment lâche pour qu'elle puisse changer de position et se coucher sur le côté, mais cela l'obligeait alors à garder une main dans le dos et son bras s'engourdissait vite.

Si un sentiment dominait son esprit, ce devait être une colère accumulée.

En revanche, elle était torturée par ses propres pensées qui, malgré toutes ses tentatives pour l'éviter, se transformaient en fantasmes désagréables sur ce qui allait lui arriver. Elle haïssait cet état de vulnérabilité forcée. Elle avait beau essayer de se concentrer sur un sujet de réflexion pour passer le temps et refouler sa situation, l'angoisse suintait quand même et flottait comme un nuage toxique autour d'elle, menaçant de pénétrer ses pores et d'empoisonner son existence. Elle avait découvert que la meilleure façon de tenir l'angoisse à distance était de fantasmer sur quelque chose de plus fort que ses pensées.

Quand elle fermait les yeux, elle matérialisait l'odeur d'essence. Il était assis dans une voiture avec la vitre latérale baissée. Elle se précipitait sur la voiture, balançait l'essence par la vitre ouverte et craquait une allumette. C'était l'affaire d'une seconde. Les flammes fusaient instantanément. Il se tordait de douleur et elle entendait ses cris de terreur et de souffrance. Elle pouvait sentir l'odeur de chair brûlée et l'odeur plus acre du plastique et de la garniture du siège qui se carbonisaient.

ELLE S'ÉTAIT PROBABLEMENT ASSOUPIE, parce qu'elle ne l'avait pas entendu venir, mais elle fut parfaitement éveillée quand la porte s'ouvrit. La lumière de l'ouverture l'aveugla.

Il était venu quand même.

Il était grand. Elle ne connaissait pas son âge, mais il était adulte. Ses cheveux étaient roux et touffus, il avait des lunettes à monture noire et une barbiche clairsemée. Il sentait l'après-rasage.

Elle haïssait son odeur.

Il resta en silence au pied du lit et la contempla un long moment.

Elle haïssait son silence.

Son visage n'était pas éclairé et elle ne le percevait que comme une silhouette à contre-jour. Brusquement, il lui parla. Sa voix était grave et nette et il insistait avec affectation sur chaque mot.

Elle haïssait sa voix.

Il dit qu'il voulait lui souhaiter un bon anniversaire, puisque c'en était le jour. La voix n'était ni désagréable ni ironique. Elle était neutre. Elle devina qu'il lui souriait.

Elle le haïssait.

Il s'approcha et contourna la couchette pour venir près de sa tête, posa le dos d'une main humide sur son front et glissa les doigts le long de la racine des cheveux en un geste sans doute destiné à être amical. C'était son cadeau d'anniversaire.

Elle haïssait qu'il la touche.

IL LUI PARLAIT. Elle vit sa bouche remuer mais elle ne laissa pas entrer le son de sa voix. Elle ne voulait pas écouter. Elle ne voulait pas répondre. Elle l'entendit élever la voix. Une note d'irritation due à son refus de répondre s'était glissée dans les mots. Il parlait de confiance réciproque. Au bout de plusieurs minutes, il se tut. Elle ignora son regard. Puis il haussa les épaules, contourna le lit par la tête et ajusta les courroies de cuir. Il serra le harnais d'un cran et se pencha sur elle.

Elle se tourna soudain sur la gauche, se détourna de lui, autant qu'elle le put et aussi loin que les courroies le lui permettaient. Elle replia la jambe et lui décocha un violent coup de pied. Elle visa la pomme d'Adam et elle le toucha avec le bout d'un orteil quelque part sous le menton, mais il s'y attendait et il esquiva, et le coup fut très léger, à peine perceptible. Elle essaya de nouveau mais il était déjà hors d'atteinte.

Elle laissa retomber ses jambes sur la couchette.

Le drap avait glissé et formait un tas par terre. Elle sentit que sa chemise de nuit était remontée loin au-dessus des hanches. Elle n'aimait pas ça. Elle ne pouvait pas couvrir sa nudité.

Il resta immobile un long moment sans rien dire. Puis il contourna la couchette et installa la lanière de pied. Elle essaya de ramener les jambes vers elle, mais il saisit sa cheville et lui rabattit vigoureusement le genou avec l'autre main, puis il bloqua le pied avec la courroie de cuir. Il passa de l'autre côté du lit et attacha l'autre pied.

Maintenant, elle était totalement à sa merci.

Il ramassa le drap et la couvrit. Il la contempla en silence pendant deux minutes. Dans l'obscurité, elle pouvait sentir son excitation même s'il la dissimulait ou du moins essayait. Elle savait qu'il bandait. Elle savait qu'il voulait tendre une main et la toucher.

Ensuite il fit demi-tour, sortit et tira la porte derrière lui. Elle entendit qu'il fermait à clé, ce qui était largement exagéré puisqu'elle n'avait aucune possibilité de se dégager du lit.

Elle resta immobile pendant plusieurs minutes et regarda le mince rai de lumière en haut de la porte. Puis elle bougea et essaya de sentir si les courroies étaient vraiment très serrées. Elle pouvait remonter un peu les genoux mais le harnais se tendit immédiatement. Elle se décontracta. Elle resta allongée complètement immobile, les yeux fixés dans le néant.