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— Les réunions des Weight Watchers, peut-être ?

— Très drôle. Fouille encore leur emploi du temps, leurs habitudes, leurs connaissances. Checke leur coiffeur, leur club de gym, leur gynéco, leurs lignes de bus ou de métro, leur...

— Je crois que t’as pas compris. J’ai plus le temps, ni les équipes. Je...

— Démerde-toi. Assigne ces recherches sur une autre affaire.

— Ce n’est pas si simple.

— Patrick, je te parle d’un tueur en série. Un cinglé qui va continuer. Un type qui a sans doute tué François Taine.

Nouveau silence.

— Tu prends peut-être le problème à l’envers, fit enfin Reischenbach. On sait que leur boulot intéresse le tueur. Peut-être a-t-il surveillé ces lieux « porteurs » — l’institut Bettelheim, les laboratoires Pavois, l’atelier Vioti —, puis il a choisi, parmi les employés, des jeunes femmes bien en chair.

— C’est une possibilité. Mais j’ai compris autre chose en étudiant tes PV. Il les connaissait. Personnellement.

— Quoi ?

— Il n’y a jamais eu d’effraction, ni d’agression. Pour la première, pas de traces de lutte dans le parking. Pour la deuxième, les laboratoires Pavois sont une vraie forteresse. Impossible d’y pénétrer sans laisser de traces. Nelly Barjac a accueilli le tueur, de nuit, et lui a fait visiter les salles. C’est certain. Quant à l’atelier Vioti, même histoire. Aucun signe d’effraction. Francesca a ouvert au tueur, tard dans la nuit, sans se méfier. Elle l’attendait.

— On a vérifié leurs appels. Reçus ou donnés. On a comparé les trois listings. Pas de numéro en commun.

— Le tueur les contacte autrement. Il s’est démerdé pour les rencontrer, dans un lieu précis, et on doit trouver ce lieu. Mets des gars sur le coup, Patrick !

— Je vais voir.

Jeanne sentit qu’elle avait marqué un point. Elle reprit, un cran plus calme :

— Tu as avancé sur Francesca Tercia ?

— On est allé chez elle. C’est un grand atelier, à Montreuil.

— Tu veux dire qu’elle sculpte ses œuvres personnelles chez elle ?

— Ouais.

— Ses sculptures, c’est comment ?

— Glauque. Des scènes de torture. Je te montrerai les photos.

— Rien d’autre à signaler ?

— Non. Mais j’ai l’impression qu’elle allait déménager.

— Pourquoi ?

— Son loft est sur deux niveaux. En bas, c’est l’atelier. En haut, c’est l’appartement. Il y avait des chiffres sur les meubles. Toujours le même, en fait.

— Quel chiffre ?

— 50. Marqué au feutre, sur des feuilles scotchées. Sur les armoires. Le frigo. Les glaces de la salle de bains. Partout, 50. Au début, on n’a pas saisi. Et puis on a eu l’idée du déménagement. Sans doute un repère pour le garde-meuble.

Jeanne avait déjà compris. Elle demanda :

— Tu as des femmes dans ton groupe ?

— Non.

— Tu devrais en engager une ou deux.

— Pourquoi ?

— Tu as le rapport d’autopsie de Francesca ?

— Sous les yeux.

— Combien mesurait-elle ?

— 1,57 mètre.

— Combien pesait-elle ?

— 68, selon le légiste. Pourquoi ces questions ?

— Parce que Francesca suivait un régime. 50 : c’est le poids qu’elle s’était fixé. Elle l’a inscrit partout pour se motiver. Par exemple, le chiffre sur le frigo te rappelle à l’ordre. Tu évites de grignoter.

— Tu déconnes ?

— C’est toi qui déconnes. Tant qu’il n’y aura que des hommes pour enquêter sur des meurtres de femmes, vous ne comprendrez pas la moitié de ce qui se passe.

— Merci pour la leçon, fit Reischenbach, vexé.

— Pas de quoi. Moi, j’inscris mon objectif au rouge à lèvres. Sur le miroir de ma salle de bains.

Le flic la provoqua :

— So what ? Qu’est-ce que ça nous apporte pour l’enquête ?

— Ça souligne, encore une fois, leur point commun : surcharge pondérale. Et le quotidien qui va avec. Cherche les lieux associés à ce problème. Elles fréquentaient peut-être le même club de gym, le même hammam... Cherche.

Reischenbach ne répondit pas. Jeanne sentit qu’il fallait lui rendre le manche.

— Sinon, tu as récolté des trucs cet après-midi ?

— Pas aujourd’hui, non.

— Et sur les croisements des données ? Les enfants de l’institut Bettelheim, les amniocentèses des labos Pavois ?

— Ce n’est pas fini. Mais pour l’instant, aucun résultat. Jeanne n’insista pas. Elle ne croyait plus à cette piste. Maintenant, elle connaissait le nom de l’assassin. Tout simplement.

— Et sur mon avocat ? relança-t-elle. Le dénommé Joachim ?

— Pas un seul avocat ne s’appelle Joachim en France. Tu es sûr qu’il est français ?

— Non. Et sur les listings des portables, des résultats ?

— J’aurai la liste exacte des appels de Taine demain matin. Pour l’instant, j’ai obtenu celle de ton mec, là, Antoine Féraud.

Le cœur de Jeanne s’accéléra.

— Il n’a pas passé beaucoup de coups de fil ces derniers jours. Et ce matin, deux seulement. Puis plus rien. Ceci expliquant peut-être cela.

— Pourquoi ?

— Parce que j’ai appelé les deux numéros. Le premier appel était pour son secrétariat téléphonique. Il a annulé tous ses rendez-vous. Le second pour une agence de voyages. Odyssée Voyages. Féraud a réservé un vol pour Madrid. Puis pour Managua.

— Au Nicaragua ?

— C’est ça. Il a décollé à midi pour l’Espagne. J’espère que tu ne comptais pas le convoquer pour une audition. Parce que c’est trop tard. Dans quelques heures, il sera sous les tropiques.

Antoine Féraud avait donc pris la fuite. Cette idée la rassura.

Mais pourquoi au Nicaragua ? Avait-il des amis là-bas ? Elle connaissait le pays. Pas vraiment une destination touristique, même si la situation politique s’était largement améliorée...

Soudain, il lui vint une autre idée. L’accent du père. Les connexions du fils avec l’Amérique latine. Ces deux hommes étaient peut-être d’origine nicaraguayenne. Dans ce cas, le départ de Féraud pouvait signifier autre chose. L’homme ne fuyait pas. Il menait au contraire une enquête sur son patient et son fils. Il remontait une piste...

— Sur les appels du samedi, tu as identifié les correspondants ?

— Pas en profondeur.

— Vérifie leur profil. Leur métier. Sur la liste, y a-t-il un nom à consonance espagnole ?

— Je regarderai. Ça ne m’a pas frappé.

— Autre chose. Dans tes dossiers, personne n’évoque les agendas, les répertoires, les Blackberry des victimes.

— Ils existent mais on ne les a pas. Taine les avait embarqués.

— Tu veux dire...

— Grillés. Avec le reste. Jeanne souffla avec lassitude :

— J’ai pensé encore à un autre truc. Le tueur a l’air obsédé par la préhistoire. Tu as vérifié s’il n’y a pas eu de vols, des cambriolages ou des actes de vandalisme au musée des Arts premiers ou dans celui du Jardin des Plantes ?

— Non. Qu’est-ce que tu cherches au juste ?

Jeanne se revit arpenter les musées qui exposaient les œuvres d’Hans Bellmer. Durant des années, elle avait espéré retrouver la trace du tueur de sa sœur dans ces lieux, cherchant un fait, un détail, un sillage, qui aurait révélé le passage de l’assassin. Cela n’avait rien donné. Peut-être que cette fois...

— Cherche dans tous les lieux liés à la préhistoire, insista Jeanne. Les librairies, les musées, les bibliothèques... Interroge le personnel. Peut-être qu’un nom ressortira. Un souvenir bizarre, quelque chose... Il rôde dans cet univers, je le sens.