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— Lequel ?

— Lui.

Isabelle Vioti venait de poser sa main sur un être noirâtre, mesurant tout juste un mètre. Un être qui avait tout du singe, sauf qu’il se tenait bien droit sur ses talons.

— Tournai. Il a été découvert en 2001. Nous avons pu le reconstituer ici grâce à un moulage de son crâne et quelques ossements.

— En quoi pose-t-il un problème ?

— Il a 7 millions d’années. Il est sans doute antérieur à l’ouverture de la faille du Rift. D’ailleurs, il vient du Tchad. Donc, rien à voir avec le changement de paysage.

— C’est vraiment incompatible avec l’histoire de la fissure ?

— Cela démontre surtout ce que les paléo-anthropologues pressentent depuis longtemps. La naissance de l’homme s’est faite par petites touches simultanées, aux quatre coins de l’Afrique. L’espèce s’est cherchée, au contact du climat, du paysage, des obstacles... Différentes familles ont cohabité, se sont adaptées, et ont peu à peu dessiné notre évolution.

— Après les australopithèques, que s’est-il passé ?

— LHomo habilis est apparu.

Vioti se tourna vers un nouveau personnage. Moins poilu, un peu plus grand, 1,50 mètre. Mais encore très simiesque.

— Il a au moins 2 millions d’années. On l’appelle ainsi parce qu’il commence à utiliser des pierres, des outils. Son cerveau est plus important. Il est omnivore. Il ne chasse pas encore. C’est plutôt un charognard qui se contente des restes des fauves ou dépèce des animaux morts. Un opportuniste qui vit dans des campements d’une dizaine de membres.

— L’étape suivante ?

— LHomo erectus. Né il y a environ un million d’années. Lui s’éparpille. En quelques dizaines de milliers d’années, il s’oriente vers le Proche-Orient puis l’Asie.

— Vous n’avez pas de sculptures pour cette famille ?

— Dix ans que j’attends un crâne... LHomo erectus va se découper en deux familles, très connues. Les Néandertaliens d’une part, qui disparaîtront progressivement, et les Homo sapiens archaïques, les Proto-Cro-Magnons, dont on a découvert des vestiges en Europe et au Moyen-Orient, qui deviendront ensuite les Homo sapiens sapiens. Les fameux Cro-Magnons. Nos ancêtres directs...

La chef de l’atelier s’écarta pour laisser voir un être plus grand et plus costaud, vêtu de fourrure, qui brandissait une lance. Des traits épais, à moitié dissimulés par de longs cheveux. L’homme aurait pu être le roadie d’un groupe de hard-rock ou un dégénéré assassin dans un vieux film d’épouvante.

— L’homme de Tautavel. L’Erectus d’Europe. On a découvert son squelette dans les Pyrénées-Orientales. Il date de moins 450 000 années. Il appartient à la branche des Néandertaliens. En fait, c’est un « anténéandertalien »... Il ne connaît pas encore le feu. Il utilise des outils bifaces. Il chasse et vit dans des grottes d’où il surveille ses prédateurs. Il est parfois cannibale...

Jeanne était certaine que le meurtrier, lors de ses crises, se prenait pour un de ces êtres primitifs.

— Il a déjà une religion ? demanda-t-elle.

— La religion commence plus tard, avec les sépultures. Aux environ de moins 100 000 ans. Alors, les Néandertaliens et les Cro-Magnons vénèrent les forces de la nature.

Jeanne songea aux inscriptions sanglantes sur les scènes de crime.

— C’est à ce moment qu’ils peignent sur les parois des grottes ?

— Non. L’homme de Néandertal ne connaîtra jamais l’art de la fresque. Il disparaît aux environs de moins 30 000 ans. Pendant ce temps, l’homme de Cro-Magnon se développe. Et avec lui l’art pariétal.

— C’est l’époque des peintures de Cosquer, de Lascaux ?

— Elles ont été exécutées durant cette période, oui.

— Qu’est-ce que vous pouvez me dire sur ces fresques ?

— Ce n’est pas ma spécialité. Je vous donnerai les coordonnées d’un expert, si vous voulez. Un ami à moi.

Isabelle Vioti se déplaça vers un groupe d’hommes vêtus de peaux retournées, au look de Sioux.

— Voici les Cro-Magnons.

Comme la première fois, Jeanne était surprise : elle avait toujours imaginé les hommes archaïques comme des créatures mi-hommes, mi-singes, vêtues de fourrure et terrées dans les cavernes. En réalité, les Cro-Magnons ressemblaient plutôt aux Indiens d’Amérique du Nord comme on les voit dans les westerns. Cheveux longs et noirs, tunique et pantalon de peaux, parures, outils sophistiqués.

— Ceux-là sont des chasseurs-cueilleurs nomades. Ils possèdent une grande expertise dans la taille des pierres, la couture, la pelleterie... La civilisation humaine est en marche...

— Ils s’affrontent entre clans ?

— Non. Ils sont trop occupés à survivre. On pense même qu’ils s’entraident entre groupes. En tout cas, les unions se font entre clans distincts pour éviter l’endogamie.

Jeanne eut envie de l’interroger sur l’interdiction de l’inceste, une des plus vieilles règles du monde humain, mais c’était hors propos. D’ailleurs, tout cet exposé ne lui apprenait pas grand-chose sur les meurtres et leur auteur. L’assassin semblait avoir piqué des signes, des rites dans telle ou telle période, sans cohérence. Jeanne décida : le tueur ne possédait pas une culture anthropologique solide. Seulement des fantasmes puisés au hasard des livres, des musées...

— Ensuite, continua Vioti, vient la révolution du néolithique. Nous sommes en moins 10 000. Le climat se réchauffe. La steppe, peuplée de grands troupeaux, se transforme en grande forêt. Les mammouths disparaissent. Les rennes, les bœufs musqués remontent vers le nord. Et les hommes, en quelques milliers d’années, maîtrisent l’élevage et l’agriculture. C’est alors que la violence entre les hommes commence. Chaque tribu convoite les réserves du voisin. Les stocks de grains. Les troupeaux... C’est Jean-Jacques Rousseau qui avait raison : la violence est née avec la propriété. Bientôt survient la révolution du métal. Le bronze, puis le fer. Les religions s’affinent. L’écriture apparaît. La préhistoire devient l’Antiquité...

Jeanne réfléchit. Elle ne savait pas trop ce qu’elle attendait de cet exposé, mais aucun déclic ne s’était produit. Rien en tout cas qui éclaire l’attitude de l’assassin. Rien qui permette d’établir un lien entre la préhistoire et les deux autres obsessions du meurtrier : autisme et génétique.

— Merci pour l’exposé, fit-elle après avoir bu son thé — presque froid. Je peux vous poser quelques questions sur Francesca Tercia ?

— Pas de problème.

— Elle travaillait depuis combien de temps dans votre atelier ?

— Deux ans.

— Elle avait une double formation, non ?

— Oui. Sculpture et anthropologie.

— Comment l’avez-vous embauchée ?

— J’installais une sculpture au musée des sciences CosmoCaixa de Barcelone. Elle est venue me présenter son dossier. Je n’ai pas hésité une seconde.

— Comment vivait-elle en France ? Elle avait trouvé ses marques ?

Vioti désigna les sculptures.