— Bonjours, Tomás, salua Greg Sullivan, toujours avec cette allure singulière qui le faisait ressembler à un mormon. Me voilà.
Le cryptologue soupira presque de soulagement.
— Salut Greg ! s’exclama-t-il, avec un large sourire. Tout est arrangé ?
L’attaché américain fit signe à un homme de petite taille, à la moustache noire et au ventre rond ; tous deux franchirent la zone douanière pour rejoindre Tomás.
— Voici monsieur Moreira, directeur des Services étrangers et frontières de l’aéroport, dit Greg, en présentant l’inconnu.
Ils se saluèrent et Moreira alla droit au sujet.
— Où est la dame en question ? s’enquit-il en parcourant la file des passagers non européens.
Tomás fit un mouvement de la tête et Ariana quitta la queue pour rejoindre les trois hommes. Les présentations faites, Moreira les conduisit vers la zone douanière et se dirigea vers un petit bureau, laissant l’Iranienne entrer la première. Tomás allait lui emboîter le pas, mais l’homme lui barra le passage.
— Je vais seulement régler la paperasse avec la dame, dit-il, courtois mais ferme. Vous pouvez attendre ici.
Contrarié, Tomás resta derrière la vitre, regardant Ariana remplir les innombrables formulaires que Moreira lui remettait.
— Tout est arrangé, dit Greg. Relax !
— Je l’espère.
L’Américain rajusta sa cravate rouge.
— Tomás, expliquez-moi un peu mieux ce qui se passe. Quand vous m’avez appelé de Lhassa, j’avoue n’avoir pas bien saisi tous les détails.
— Vous n’avez pas saisi les détails parce que je ne vous les ai pas donnés. C’était délicat par téléphone.
— Bien sûr. Mais alors que se passe-t-il ?
— Il se passe que nous avons tous cherché quelque chose qui n’existe pas.
— Ah, oui ? Quoi donc ?
— La formule d’une bombe atomique simple et bon marché. Cette formule n’existe pas.
— Elle n’existe pas ? Comment ça ?
— Elle n’a jamais existé.
— Alors de quoi traite ce manuscrit qui préoccupe tant monsieur Bellamy ?
— C’est un document scientifique crypté dans lequel Einstein démontre que la Bible a consigné l’histoire de l’univers et dans lequel il donne la formule censée prouver l’existence de Dieu.
Greg afficha une mine incrédule.
— Mais de quoi me parlez-vous ?
— Je parle de La Formule de Dieu. Le manuscrit d’Einstein détenu par les Iraniens n’est pas un document sur les armes nucléaires, comme on le pensait, mais un texte concernant la question de Dieu et la preuve donnée par la Bible de Son existence.
L’Américain secoua la tête, comme pour réveiller ses neurones assoupis.
— Désolé, Tomás, mais ça n’a aucun sens. Vous imaginez Einstein rédiger un texte pour nous dire que la Bible prouve l’existence de Dieu ? N’importe quel écolier pourrait vous le dire…
— Greg, vous ne comprenez pas, insista Tomás, agacé et fatigué. Einstein a découvert que la Bible décrivait la Création de l’univers avec des informations que la science n’a pu vérifier que récemment, en s’appuyant sur la physique avancée. Par exemple, la Bible établit que le Big Bang s’est produit il y a 15 000 millions d’années, chose que les satellites qui analysent la radiation cosmique de fond viennent de confirmer. La question est la suivante : comment les auteurs de l’Ancien Testament pouvaient-ils savoir cela il y a des milliers d’années ?
Greg garda son air sceptique.
— La Bible dit que Big Bang s’est produit voilà 15 000 millions d’années ? s’étonna-t-il. Je n’ai jamais entendu parler d’une telle chose. Il fit la moue. Je ne me souviens que des six jours de la Création…
Tomás soupira, exaspéré.
— Laissez tomber. Je vous expliquerai tout ça en détail plus tard…
— D’accord. Ce qui m’intéresse ici, c’est la question de la bombe atomique. Vous êtes sûr que le manuscrit d’Einstein ne contient pas la formule d’une bombe atomique ?
— J’en suis certain.
— Mais avez-vous lu le manuscrit ?
— Bien sûr que je l’ai vu. Je suis allé à Téhéran.
— Ça, je le sais. Mais je voudrais savoir si vous, vous l’avez lu ?
— Non, je ne l’ai pas lu.
— Alors comment pouvez-vous être sûr de ce que vous dites ?
— Parce que j’ai parlé avec un ancien physicien tibétain qui a travaillé avec Einstein et le professeur Siza à Princeton.
— Et il vous a dit que le manuscrit ne portait pas sur la bombe atomique ?
— C’est ce qu’il m’a dit.
— Et vous avez vérifié cette information ?
— Je l’ai vérifiée.
— Comment ?
Tomás indiqua de la tête le bureau du directeur du SEF.
— Ariana a lu le manuscrit original et m’a confirmé que tout cadrait.
Greg tourna la tête et regarda l’Iranienne qui remplissait les documents de la douane.
— Elle a donc lu le manuscrit ?
— Oui.
L’attaché garda un long moment les yeux fixés sur Ariana, puis prit une décision.
— Excusez-moi, dit-il à Tomás. Il faut que je règle quelques détails.
Il sortit son portable de la poche et s’éloigna, avant de disparaître dans un couloir de l’aéroport de Lisbonne.
L’escale bureaucratique dura une éternité. Entre-temps, Greg revint, appelé dans le bureau du directeur du SEF. Tomás les vit en train de parler derrière la vitre, jusqu’à ce que Sullivan et l’Iranienne prennent congé de Moreira.
— Elle va maintenant rester sous notre protection, annonça Greg en sortant du bureau.
— Comment ça, sous votre protection ? s’étonna Tomás.
— Je veux dire sous la protection de l’ambassade américaine.
L’historien regarda l’attaché d’un air intrigué.
— Je ne comprends pas, s’exclama-t-il. Les papiers ne sont pas régularisés ?
— Bien sûr qu’ils le sont. Mais elle reste sous notre protection. On l’emmène maintenant à l’ambassade.
Tomás regarda Ariana, qui semblait effrayée, puis à nouveau Greg, sans vraiment saisir ce qui se passait.
— Vous l’emmenez à l’ambassade ? Pour quelle raison ?
L’attaché haussa les épaules.
— Nous devons l’interroger.
— L’interroger ? Mais… l’interroger sur quoi ?
Greg posa une main sur son épaule, presque paternel.
— Écoutez, Tomás. Le professeur Ariana Pakravan est une personne qui a des responsabilités au sein du programme nucléaire iranien. Nous devons l’interroger, point.
— Mais qu’entendez-vous par interroger ? Vous allez vous entretenir avec elle pendant une heure ?
— Non. Nous allons l’interroger pendant plusieurs jours.
— Tomás ouvrit la bouche, perplexe.
— L’interroger plusieurs jours ? N’y comptez même pas ! Il allongea le bras et prit la main d’Ariana. Viens, nous partons.
Il l’entraîna, avec l’intention de poursuivre son chemin, mais Greg les stoppa.
— Tomás, ne compliquez pas les choses, s’il vous plaît.
L’historien le regarda d’un air irrité.
— Excusez-moi, Greg, mais vous faites erreur. C’est vous qui compliquez ce qui est très simple.