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— Alors vous pensez que je devrais la divulguer ?

— Bien entendu ! Une découverte aussi… sensationnelle, ne doit pas rester éternellement secrète. Bien sûr que vous devez la divulguer. D’autant plus que c’était l’intention du professeur Siza, il est donc de votre devoir d’exécuter sa volonté.

Le physicien considéra l’argument.

— En effet, dit-il enfin. Vous avez peut-être raison.

— C’est évident. En fin de compte, ce serait un juste hommage rendu à votre maître. Vous pourriez signer le texte en tant que co-auteur, par exemple. Ce qui, par ailleurs, serait approprié, non ?

— Oui, vous avez raison, dit Luís Rocha, d’une voix plus assurée. Je vais tout divulguer.

Tomás soupira, soulagé par cette petite victoire, mais ne lâcha pas son interlocuteur.

— Mais, avant de faire quoi que ce soit, il faudrait d’abord que vous m’expliquiez cette seconde voie. Comme je vous l’ai dit, la vie d’une autre personne dépend de cette information.

Luís Rocha se leva brusquement de sa chaise.

— Très bien, s’exclama-t-il. Allons-y !

Tomás le regarda, surpris de le voir debout.

— Où allez-vous ?

Le physicien fit demi-tour et s’éloigna, en jetant un dernier regard derrière lui.

— Je vais chercher deux cafés, dit-il. Je reviens.

XXXVIII

L’arôme chaud et parfumé envahit la bibliothèque dès que Luís Rocha apparut avec un plateau. Il invita Tomás à le rejoindre dans la petite pièce cachée à gauche, juste après l’entrée, où il pénétra avec l’air de celui qui prépare un mauvais coup. Il posa le plateau sur une table basse et, sitôt le visiteur installé, il prit une tasse fumante, nappée d’une mousse crémeuse, couleur noisette, et sourit.

— J’ai fait un expresso, dit-il, en offrant la tasse à Tomás. Vous prenez du sucre ?

— Oui.

Tomás prit un sachet et le versa dans la tasse chaude.

— Si le directeur de la bibliothèque nous attrape, nous sommes morts, commenta le physicien en riant, après avoir jeté un regard à l’extérieur pour s’assurer que personne ne les avait vus.

Tomás examina le cagibi en désordre.

— C’est donc pour ça que nous sommes venus ici ?

— Oui, confirma Luís, avec un air de conspiration. Dans ce recoin, on sera plus tranquilles.

— Ne vaudrait-il pas mieux aller dehors à la terrasse d’un café ?

— Non, ici cachés nous sommes bien. Personne ne viendra nous déranger. Il huma l’arôme qui se dégageait de sa tasse. Vous savez, je ne peux pas me passer d’un café dans ce genre d’occasion. Il n’y a rien de tel qu’un petit expresso avant une conversation complexe. Ça m’aide à me concentrer.

— Notre conversation va être « complexe » ?

— Comprendre ce que j’ai à dire n’est pas « complexe », dit Luís. Ce qui est complexe, c’est de faire en sorte que ça ne le paraisse pas, vous comprenez ? Il fit un clin d’œil. Voilà ce qui est complexe !

— La simplicité est complexe.

— Bien plus que les gens l’imaginent. Durant toute la recherche avec mon mentor, j’ai tourné à la caféine, qu’est-ce que vous croyez ? Moi, je prenais mes expressos et le professeur Siza son café froid qu’il avait appris à faire en Italie, une boisson glacée recouverte de crème. Il l’appelait granita di caffé.

— C’est un café frappé, non ?

— Oui, il avait la manie de boire cette cochonnerie. Il tressaillit. En hiver, ce café glacé me donnait des frissons… Enfin, les goûts et les couleurs ne se discutent pas.

— En effet.

Ils avalèrent une gorgée de café. Il avait un goût fort, très corsé, et sa mousse laissait une agréable saveur dans la bouche.

Luís Rocha posa sa tasse sur le plateau et se concentra sur ce qu’il avait à dire.

— Bien, allons-y, s’exclama-t-il, s’apprêtant à commencer. Si j’ai bien compris, l’ami tibétain du professeur Siza vous a expliqué ce qui s’est passé à Princeton en 1951.

— Oui, il m’a tout raconté.

— Donc, vous connaissez déjà l’histoire du Premier ministre d’Israël, le défi qu’il a lancé à Einstein, l’élaboration de La Formule de Dieu et la clause exigeant la découverte d’une seconde voie scientifique pour pouvoir rendre public le manuscrit. Rien de tout cela n’est pour vous une nouveauté, n’est-ce pas ?

— Non. Je connais déjà tout ça.

— Très bien, soupira-t-il. Ce qui s’est passé, c’est que le professeur Siza a pris très à cœur le projet d’Einstein et qu’il a décidé de consacrer sa vie à résoudre ce mystère. Était-il possible de trouver une seconde voie qui prouverait scientifiquement l’existence de Dieu ? Tel était le défi qu’il devait relever.

— Et comment s’y est-il pris ?

— La première chose qu’il devait faire, c’était de définir l’objet de son étude. Qu’est-ce que Dieu ? Quand nous parlons de Dieu, de quoi parlons-nous exactement ? Du Dieu décrit par la Bible ?

— Je suppose que oui…

— Mais le Dieu décrit par la Bible, comme je vous l’ai expliqué il y a deux semaines, est absurde. Il se leva et quitta le cagibi. Il se dirigea vers une étagère proche, prit un énorme volume magnifiquement relié et regagna la niche, où il se rassit en ouvrant le livre sur ses genoux. Voyons voir, dit-il, en feuilletant les premières pages jusqu’à trouver le passage en question. Voilà, c’est ici. Dès le début de l’Ancien Testament, il est écrit que Dieu voulut faire à l’homme une aide qui lui soit assortie. Il fit alors ceci : « Il modela encore du sol toutes les bêtes sauvages et tous les oiseaux du ciel, et il les amena à l’homme pour voir comment celui-ci les appellerait : chacun devait porter le nom que l’homme lui aurait donné. » Puis la Bible ajoute : « Mais, pour un homme, il ne trouva pas l’aide qui lui fût assortie. Alors le Seigneur Dieu fit tomber une torpeur sur l’homme, qui s’endormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. Puis, de la côte qu’il avait tirée de l’homme, le Seigneur Dieu façonna une femme. » Luís leva les yeux. Rien ne vous frappe dans ce récit ?

Tomás haussa les épaules.

— Eh bien… c’est un récit biblique.

— Mais Dieu n’est-Il pas censé être omniscient ? Ne devait-Il pas savoir par avance qu’aucun des animaux ne ferait une aide adéquate ? Pour quelle raison Dieu attend-Il de voir quel nom l’homme donnera aux animaux ? Étant omniscient, ne pouvait-Il pas déjà le savoir ? Le physicien feuilleta encore quelques pages. Et maintenant, écoutez ce qui arriva quand Dieu décida de provoquer le déluge : « Le Seigneur se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre. » Luís fixa à nouveau Tomás. Le Seigneur s’est repenti ? Une fois encore, Il n’était donc pas omniscient ? Ne pouvait-Il pas présager que l’homme se corromprait ? Étant parfait et tout-puissant, Dieu n’aurait-Il pas dû tout prévoir en temps utile ? Quel est donc ce Dieu qui se met à réparer Ses fautes ? Dieu, en fin de compte, commet aussi des fautes ?

— En effet…

— Sans parler, bien sûr, du vieux paradoxe d’un Dieu omnipotent et bon, mais qui laisse le mal se répandre sur toute la terre. Puisqu’Il est bon et qu’Il a le pouvoir d’imposer le bien, pourquoi laisse-t-Il le mal exister ? Et s’Il est parfait, pourquoi a-t-Il fait l’homme si imparfait ? Le physicien referma le volume et le posa à terre. Tout cela conduisit Einstein à penser que le vrai Dieu n’était pas le Dieu de la Bible. C’est une entité omnisciente et intelligente, la force derrière l’univers, le grand architecte de tout, et non la figure anthropomorphique, paternelle et morale de la Bible. Cette conviction d’Einstein, le professeur Siza l’avait assimilée.