— Je vois.
— C’est par hasard qu’il m’en a parlé, élucidant ainsi le mystère.
— Par hasard ? demanda Greg. Cela existe ?
Tomás sourit.
— Vous avez raison, il n’y a pas de hasard. C’était prédestiné.
L’Américain avala une gorgée de whisky.
— OK, c’est une jolie histoire, s’exclama-t-il. Et maintenant ?
— Et maintenant nous allons déchiffrer le message.
— Parfait !
Tomás indiqua le mot en haut de la feuille avec la clé.
— Vous voyez ce nom ?
— Alberti ?
— Oui.
— Qu’est ce qu’il a ?
— C’est une idée intelligente, vous savez ? Einstein joue ici avec son propre prénom, Albert. Un profane penserait qu’il s’agit là d’une simple référence italianisée à son prénom, mais un cryptologue remarque aussitôt qu’il s’agit de bien d’autre chose.
— Ha, oui ? Quoi ?
— Léon Battista Alberti était un artiste florentin du XVe siècle. Ce fut un imminent personnage de la Renaissance italienne, une sorte de petit Leonard de Vinci. Il était philosophe, compositeur, poète, architecte et peintre, auteur de la première analyse scientifique de la perspective, mais aussi d’un traité sur la mouche domestique. Il sourit. C’est lui qui a conçu la première fontaine de Trévise de Rome. Greg secoua la tête et incurva ses lèvres.
— Je n’en ai jamais entendu parler.
— Peu importe, dit le cryptologue avec un geste vague. Un jour, Alberti se promenait dans les jardins du Vatican, lorsqu’il rencontra l’un de ses amis qui travaillait pour le Pape. Leur conversation se porta sur quelques points intéressants de cryptographie et incita Alberti à préparer un essai sur la question. Enthousiasmé, Alberti proposa un nouveau type de code. Son idée était d’utiliser deux alphabets codés, où chaque lettre alterne entre l’un et l’autre alphabet, de manière à confondre les cryptologues. C’était une idée géniale, dans la mesure où cela impliquait que la même lettre du texte original n’apparaissait pas nécessairement avec la même lettre de l’alphabet codé, ce qui compliquait le déchiffrage.
— Je ne comprends pas.
Tomás redressa la feuille avec la clé et indiqua les lignes avec les alphabets.
— C’est simple, dit-il. La première ligne correspond à l’alphabet normal. Les deux lignes en-dessous représentent les alphabets codés. Imaginez que je veuille écrire aacc. La lettre du premier alphabet codé correspondant au a est f et celle correspondant au c est b. Et dans le second alphabet codé il s’agit respectivement des lettres g et x. Si bien que le message aacc, déchiffré à travers ce système, devient fgbx, vous me suivez ? En faisant alterner le message original entre les deux alphabets, il n’y a pas de répétitions de lettre, ce qui complique le décodage.
— Ah, j’ai compris.
— Ce qu’Einstein nous dit, c’est qu’il a utilisé un code d’Alberti et il nous indique quelles sont les suites correctes des alphabets codés.
Greg pointa la seconde ligne du message chiffré.
— Donc si nous utilisons cette méthode, nous trouverons le message caché dans ! ya ovqo ?
— Oui, en principe oui.
— Alors, qu’attendons-nous ? Allons-y !
Tomás prit son stylo et compara chaque lettre des alphabets codés.
— Voyons donc voir ce que signifie ! ya ovqo. Il soupira. Le y du premier alphabet codé correspond à un i et le a du second alphabet codé correspond à un l. Il nota les lettres. Hum… Le o donne r et le v donne s. Le q est un v et le o est un b.
La phrase apparut sur le papier.
— Je ne comprends pas, dit Greg, en fronçant le sourcil. Il rsvb ? Qu’est-ce que c’est ?
— C’est le message original codé par Einstein, expliqua Tomás.
L’Américain leva les yeux et le regarda avec une expression interrogative.
— Mais cela ne signifie rien…
— Effectivement.
— Et alors ?
— Et alors, il nous faut poursuivre le déchiffrage.
— Poursuivre le déchiffrage ? Comment ça ? Ce n’est pas encore déchiffré ?
— Bien sûr que non, s’exclama Tomás. Comme vous l’avez constaté, il rsvb ne signifie rien. Cela veut donc dire que nous avons seulement franchi la première étape du déchiffrage.
— Il y en a donc d’autres ?
— Bien entendu. Il désigna le dernier mot noté sous les alphabets. Vous voyez ce nom ici ?
— Oui, eh bien ?
— Pouvez-vous le lire ?
Greg se pencha sur le papier.
— At… uh… atbart ?
— Atbash.
— Atbash, répéta l’Américain. Qu’est-ce que c’est ?
— L’Atbash est une forme traditionnelle hébraïque de code par substitution, utilisée pour cacher des messages dans l’Ancien Testament. L’idée consiste à prendre une lettre qui se trouve, par exemple, en troisième position en partant du début de l’alphabet et à la remplacer par une lettre correspondant à la troisième position en partant de la fin de l’alphabet. Ainsi le c devient x, vous me suivez ? La troisième lettre en partant du début est remplacée par la troisième lettre de la fin et ainsi de suite.
— Je vois.
— Il existe plusieurs exemples d’Atbash dans l’Ancien Testament. Dans « Jérémie » apparaît parfois le mot chechac, qui commence par les deux lettres hébraïques shin et kaph. Donc, shin est l’avant-dernière lettre de l’alphabet hébraïque. Si on la remplace par la deuxième lettre de l’alphabet, on se retrouve avec beth. Kaph est la douzième lettre en partant du début, si bien qu’il nous faut la remplacer par la douzième lettre en partant de la fin, lamed. Donc, shin-kaph, qui donne chechac devient beth-beth-lamed. Babel. Chechac veut donc dire Babel. Vous avez compris ?
— Oui, c’est ingénieux.
— Ingénieux et simple.
— Einstein a donc utilisé Atbash pour ce code ?
— C’est ce que dit la note, non ? Regardez. Alberti signifie, sans le moindre doute possible, le code d’Alberti, avec ses correspondances entre alphabets chiffrés. Atbash signifie que nous devons maintenant chercher les lettres symétriques correspondantes à ! il rsvb, vous me suivez ?
— Cela semble logique, concéda Greg. On y va ?
Tomás fixa des yeux la note où figurait ! il rsvb et repéra la position de chaque lettre dans l’alphabet.
— Donc, le i est la neuvième lettre en commençant par le début. La neuvième en commençant par la fin est… r. Le l est la douzième lettre en partant du début ce qui correspond à… o. Le r donne… i, le s… donne… h, le v donne… e et le b renvoie à… y.