Выбрать главу

— La question est de découvrir où l’Iran a trouvé la technologie qui lui a permis d’aller si loin. Il y a deux hypothèses. La première, c’est la Corée du Nord, qui a obtenu du Pakistan des informations sur les moyens d’enrichir l’uranium par le biais des centrifugeuses. Nous savons que la Corée du Nord a vendu des missiles No-Dong à l’Iran et il est possible que, dans le même paquet, ils aient livré la technologie nucléaire d’origine pakistanaise. La seconde hypothèse c’est que le Pakistan ait directement procédé à cette vente. Bien qu’il s’agisse d’un pays présumé pro-américain, beaucoup de politiques et de militaires pakistanais partagent avec les Iraniens une vision islamique fondamentaliste du monde et il n’est pas difficile d’imaginer qu’ils s’efforcent de leur donner un petit coup de main en cachette.

Tomás consulta discrètement sa montre. Elle indiquait 18h10. Il se trouvait là depuis plus de deux heures et commençait à fatiguer.

— Excusez-moi, mais il se fait tard, dit-il, un peu embarrassé. Pouvez-vous m’expliquer en quoi je peux vous être utile ?

L’homme de la CIA tambourina des doigts sur l’acajou poli de la table.

— Bien sûr que je le peux, dit-il, à voix basse.

Il regarda Don Snyder. Pendant tout l’exposé, l’analyste était resté silencieux, presque invisible.

— Don, as-tu parlé à notre ami ici présent d’Aziz al-Mutaqi ?

— Oui, monsieur Bellamy, répondit-il, toujours sur le même ton déférent.

— Lui as-tu expliqué qu’Aziz opère pour Al-Muqawama al-Islamiyya, la branche armée du Hezbollah ?

— Oui, monsieur Bellamy.

— Et lui as-tu dit qui était le principal commanditaire du Hezbollah ?

— Non, monsieur Bellamy.

Une lueur brilla dans le regard glacial de Bellamy, qui fixa de nouveau son attention sur Tomás.

— Vous ne savez donc pas qui finance le Hezbollah ?

— Moi ? demanda le Portugais. Non.

— Dis-lui, Don.

— C’est L’Iran, monsieur Bellamy.

Durant un instant, Tomás considéra cette nouvelle information et ses conséquences.

— L’Iran, dites-vous ? répéta le Portugais. Et qu’est-ce que cela signifie ?

Bellamy s’adressa de nouveau à Snyder, mais sans quitter des yeux l’historien.

— Don, lui as-tu parlé du professeur Siza ?

— Oui, monsieur Bellamy.

— Lui as-tu dit où a étudié le professeur Siza quand il était jeune ?

— Non, monsieur Bellamy.

— Alors, dis-lui.

— Il a fait un stage à l’Institute for Advanced Study, monsieur Bellamy.

Bellamy s’adressa alors à Tomás.

— Vous saisissez ?

— Euh… non.

— Don, où se situait l’institut où le professeur Siza fit son stage ?

— Princeton, monsieur Bellamy.

— Et quel est le plus grand scientifique qui y travaillait ?

— Albert Einstein, monsieur Bellamy.

L’homme de la CIA leva les sourcils vers Tomás.

— Vous saisissez maintenant ?

Le Portugais caressa son menton, mesurant les implications de toutes ces nouvelles données.

— Je vois, dit-il. Mais qu’est-ce que tout cela signifie ?

Frank Bellamy respira lourdement.

— Cela signifie qu’il y a ici un ensemble de foutues bonnes questions à poser. Première question : qu’est-ce que les cheveux d’Aziz al-Mutaqi font dans le bureau de la maison du plus grand physicien existant au Portugal ? Deuxième question : où est passé le professeur Siza, qui a fait un stage à Princeton dans le même institut où travaillait Einstein ? Troisième question : pour quelle raison une organisation comme le Hezbollah a-t-elle enlevé ce physicien en particulier ? Quatrième question : que sait le professeur Siza sur la demande faite par Ben Gourion à Einstein pour concevoir une arme nucléaire facilement et bon marché ? Cinquième question : l’Iran se servirait-elle du Hezbollah pour trouver un nouveau moyen de développer des armes nucléaires ?

Tomás remua sur sa chaise.

— Je suppose que vous avez déjà les réponses à toutes ces questions.

— Vous êtes un sacré génie, rétorqua Bellamy, sans bouger un muscle du visage.

Le Portugais attendit la suite, mais rien ne vint. Frank Bellamy garda les yeux braqués sur lui, sans émettre la moindre parole, ne laissant entendre que sa respiration étouffée. Greg Sullivan avait le regard fixé sur la table en bois, l’air absorbé comme si quelque chose d’important s’y déroulait ; et Don Snyder attendait les ordres, son portable toujours ouvert.

— Bien… si vous avez déjà les réponses, bégaya Tomás, quelles qu’elles soient, qu’est-ce que… qu’est-ce que vous attendez de moi ?

L’homme au regard glacé tarda à répondre.

— Montre lui la fille, Don, finit-il par murmurer.

Snyder pianota précipitamment sur le clavier de son ordinateur.

— La voici, monsieur Bellamy, dit-il, en tournant l’écran vers l’autre bout de la table.

— Reconnaissez-vous cette dame ? demanda Bellamy à Tomás.

L’historien observa l’écran et vit une belle femme aux cheveux noirs et aux yeux dorés.

— Ariana ! s’exclama-t-il, puis il regarda Bellamy. Ne me dites pas qu’elle trempe dans tout ça…

L’homme au regard bleu se tourna vers Don.

— Explique à notre ami qui est cette dame.

Snyder consulta la fiche placée à côté de l’image sur l’écran.

— Ariana Pakravan, née en 1966 à Ispahan, Iran, fille de Sanjar Pakravan, l’un des scientifiques iraniens initialement impliqué dans le projet de Busher. Ariana faisait ses études dans un collège à Paris quand éclata la Révolution islamique. Après avoir obtenu un doctorat en physique nucléaire à la Sorbonne, elle a épousé un chimiste français, Jean-Marc Ducasse, dont elle a divorcé en 1992. Elle est sans enfant. Elle est retournée dans son pays en 1995, avant d’entrer au ministère de la Science, sous les ordres directs du ministre Bozorgmehr Shafaq.

— Exactement ce qu’elle m’a dit, s’empressa d’affirmer Tomás, ravi de ne pas avoir été trompé.

Frank Bellamy battit des paupières.

— Elle vous a raconté tout ça ?

L’historien se mit à rire.

— Non, bien sûr que non. Mais le peu qu’elle m’a raconté concorde avec ce… enfin… avec ce curriculum.

— Elle vous a dit qu’elle travaillait au ministère de la Science ?

— Oui, elle me l’a dit.

— Et vous a-t-elle dit qu’elle était une déesse au lit ?

Ce fut au tour de Tomás de battre des paupières.

— Pardon ?

— Vous a-t-elle dit qu’elle était une déesse au lit ?

— Bien… je crains que notre conversation ne soit pas allée aussi loin, bredouilla-t-il, embarrassé. Et c’est le cas ?

Le visage de Bellamy resta figé durant quelques secondes, jusqu’à ce qu’un léger spasme au coin des lèvres trahisse un semblant de sourire.

— Son ex-mari nous a dit que oui.

Tomás se mit à rire.

— En fait, elle m’a caché certaines choses.

L’homme de la CIA ne répondit pas à son rire. Ses lèvres se serrèrent et ses yeux froids se rétrécirent.

— Que vous voulait-elle ?

— Oh, rien de spécial. Elle m’a engagé pour l’aider à déchiffrer un vieux document.

— Un vieux document ? Quel vieux document ?

— Un inédit de… Einstein.

Une seconde après avoir prononcé le nom du célèbre scientifique, Tomás écarquilla les yeux. Quelle coïncidence, pensa-t-il. Un document d’Einstein. Mais, se dit-il aussitôt, est-ce vraiment une coïncidence ? Quel lien cela peut-il avoir avec le reste ?