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— Je ne sais pas.

— Serait-ce une force vitale ? Serait-ce un esprit ? Serait-ce Dieu ?

— Peut-être…

— Non, mon fils. Ce qui organise les atomes de manière à former des cellules vivantes, ce sont les lois de la physique. Tel est le cœur du problème. Réfléchis, comment un ensemble d’atomes inanimés peut-il former un système vivant ? La réponse se trouve dans l’existence des lois de complexité. Toutes les études ont montré que les systèmes s’organisent spontanément, de manière à créer des structures toujours plus complexes, obéissant à des lois physiques et exprimées par des équations mathématiques. D’ailleurs, un physicien a remporté le Prix Nobel pour avoir démontré que les équations mathématiques qui régissent les réactions chimiques inorganiques sont semblables aux équations qui établissent les règles de comportement simple des systèmes biologiques avancés. Autrement dit, les organismes vivants sont, en réalité, le produit d’une incroyable complexification des systèmes inorganiques. Et cette complexification ne résulte pas de l’activité d’une quelconque force vitale, mais de l’organisation spontanée de la matière. Une molécule, par exemple, peut être constituée par un million d’atomes reliés entre eux d’une manière très spécifique, et dont l’activité est contrôlée par des structures chimiques aussi complexes que celles d’une ville. Tu vois où je veux en venir ?

— Heu… oui.

— Le secret de la vie n’est pas dans les atomes qui constituent la molécule, mais dans sa structure, dans son organisation complexe. Cette structure existe parce qu’elle obéit à des lois d’organisation spontanée de la matière. Et, de la même manière que la vie est le produit de la complexification de la matière inerte, la conscience est le produit de la complexification de la vie. La complexité de l’organisation, voilà la question-clé, pas la matière. D’un tiroir, il sortit un livre de cuisine et l’ouvrit pour en montrer l’intérieur. Tu vois ces caractères ? Ils sont imprimés en quelle couleur ?

— Noir.

— Imagine qu’au lieu d’encre noire, le typographe ait utilisé de l’encre rouge. Il referma le livre et le brandit. Est-ce que cela aurait modifié le message de ce livre ?

— Bien sûr que non.

— Évidemment, non. Ce qui fait l’identité de ce livre n’est pas la couleur des caractères, c’est une structure d’informations. Peu importe que l’encre soit noire ou rouge, ce qui compte c’est le contenu informatif du livre, sa structure. Je peux lire un Guerre et Paix imprimé en Times New Roman et un autre Guerre et Paix imprimé en Arial chez un autre éditeur, le livre sera toujours le même. Quelles que soient les circonstances, il s’agira de Guerre et Paix de Léon Tolstoï. Inversement, si j’ai un Guerre et Paix et un Anna Karénine imprimés avec la même police, par exemple Times New Roman, cela ne suffira pas à en faire le même livre, n’est-ce pas ? Ce qui est constitutif, donc, ce n’est ni la police ni la couleur des caractères, mais la structure du texte, sa sémantique, son organisation. La même chose se passe avec la vie. Peu importe que la vie repose sur l’atome de carbone ou sur des cristaux ou sur quoi que ce soit d’autre. Ce qui fait la vie c’est une structure d’informations, une sémantique, une organisation complexe. Je m’appelle Manuel et je suis professeur de mathématiques. Qu’on prenne dans mon corps un atome A pour mettre à la place un atome B, si cette information est préservée, si cette structure reste intacte, alors je continuerai d’être moi. Même si on remplaçait tous mes atomes par d’autres, je continuerais d’être moi. D’ailleurs, il est aujourd’hui prouvé que presque tous nos atomes changent au long de notre vie. Et pourtant, je continue d’être moi. Prenons l’équipe du Benfica et changeons tous les joueurs. Cela n’empêchera pas le Benfica d’exister, de rester toujours le Benfica, indépendamment des joueurs sélectionnés. Ce qui fait le Benfica, ce n’est pas le joueur A ou B, c’est un concept, une sémantique. La même chose se passe avec la vie. Peu importe l’atome qui, à un moment donné, remplit la structure. L’essentiel, c’est la structure en soi. Dès lors que des atomes occupent la structure d’information qui définit mon identité et les fonctions de mes organes, la vie est possible. Tu as compris ?

— Oui.

— La vie est une structure d’informations très complexe et toutes ses activités englobent un processus d’information, dit-il avant de tousser. Cette définition, toutefois, entraîne une profonde conséquence. Si la vie est constituée par un agencement, une sémantique, une structure d’information qui se développe et interagit avec le monde extérieur, nous ne sommes, en fin de compte, qu’une sorte de programme. La matière est le hardware, notre conscience le software. Nous sommes un programme d’ordinateur très complexe et avancé.

— Et quel est le programme de cet… ordinateur ?

— La survie des gènes. Certains biologistes ont défini l’être humain comme une machine de survie, une sorte de robot programmé aveuglément pour préserver ses gènes. Je sais bien que ces choses, ainsi présentées, semblent choquantes, mais c’est là ce que nous sommes. Des ordinateurs programmés pour préserver des gènes.

— Selon cette définition, un ordinateur serait un être vivant.

— Sans aucun doute. C’est un être vivant qui n’est pas constitué par des atomes de carbone.

— Mais ça n’est pas possible !

— Pourquoi pas ?

— Parce qu’un ordinateur ne fait que réagir à un programme prédéfini.

— Que font d’autre tous les êtres vivants composés d’atomes de carbone ? répliqua son père. Ce qui te pose problème est qu’un ordinateur soit une machine qui fonctionne sur la base d’un stimulus-réponse programmé, c’est ça ?

— Heu… oui.

— Et le chien de Pavlov ? Ne fonctionne-t-il pas sur la base d’un stimulus-réponse programmé ? Et la fourmi ? Et une plante ? Et une sauterelle ?

— Bien… oui, mais c’est différent.

— Ce n’est pas différent. Si on connaît le programme d’une sauterelle, si on sait ce qui l’attire et ce qui la repousse, ce qui la stimule et ce qui l’effraie, on peut prévoir tout son comportement. Les sauterelles ont des programmes relativement simples. Si X se produit, elles réagiront de manière A. Si Y se produit, elle réagiront de manière B. Exactement comme une machine élaborée par l’homme.

— Mais les sauterelles sont des machines naturelles. Les ordinateurs sont des machines artificielles.

Manuel promena le regard autour de la cuisine, à la recherche d’une idée. Son attention se fixa sur la fenêtre, attirée par un arbre sur le trottoir d’en face, où des oiseaux venaient de se poser.

— Regarde les oiseaux là-bas. Les nids qu’ils construisent sur les arbres sont-ils naturels ou artificiels ?

— Ils sont naturels, évidemment.

— Alors tout ce que fait l’homme est également naturel. Mais comme nous avons une conception anthropocentrique de la nature, nous divisons tout en choses naturelles et en choses artificielles, en présupposant que les artificielles sont faites par l’homme et les naturelles par la nature, les plantes et les animaux. Mais cela n’est qu’une convention humaine. En vérité, si l’homme est un animal, tout comme l’oiseau, alors c’est une créature naturelle, tu es d’accord ?

— Oui.

— Mais s’il est une créature naturelle, alors tout ce qu’il fait est naturel. Il s’ensuit que ses créations sont naturelles, de même que le nid construit par l’oiseau est une chose naturelle. Ce que je veux dire, c’est que tout dans la nature est naturel. Puisque l’homme est un produit de la nature, alors tout ce qu’il fait est aussi naturel. Ce n’est que par pur convention de langage qu’on a établi que les objets créés par l’homme étaient artificiels, alors qu’en réalité, ils sont tout aussi naturels que les objets créés par les oiseaux. Donc, étant des créations d’un animal naturel, les ordinateurs, tout comme les nids, sont naturels.