— Tariff rien ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
Tomás haussa les épaules.
— Rien du tout. Ce n’était qu’une tentative. Nous allons étudier d’autres options.
Durant l’heure suivante, ils testèrent diverses pistes. Avec les mêmes lettres du premier vers, ils parvinrent encore à écrire finer rift, retrain fit et faint frier, mais aucune de ces anagrammes ne révélait quoi que ce soit. Du deuxième vers, De terrors tight, ils ne purent extirper qu’une seule anagramme, retorted rights, sans pour autant obtenir un sens cohérent.
À force de se gratter la tête, Tomás avait ses cheveux bruns en bataille, quand lui vint une nouvelle idée.
— Avec l’anglais, on n’y arrivera pas non plus, commenta-t-il. Et si Einstein avait écrit le message en allemand ?
— En allemand ?
— Oui. C’est plausible, après tout ? S’il a rédigé tout son manuscrit en allemand, il a très bien pu chiffrer le message en allemand. Qu’en dites-vous ? Un message en allemand caché dans un poème en anglais. Brillant, non ?
— Vous croyez ?
— Ça vaut la peine d’essayer. Il se frotta le visage. Voyons voir… Et s’il avait placé le titre du document dans le message ?
— Quel titre ? La Formule de Dieu ?
— Oui, mais en allemand. Die Gottesformel. Voyez-vous ici un vers qui présente un g, un o et deux t ?
— Gott ?
— Oui, le mot « Dieu » en allemand.
Ariana analysa chaque ligne.
— Le deuxième vers, s’exclama-t-elle. Je vais les souligner.
— Effectivement. Togt. En transposant les lettres, on obtient Gott.
— Il manque formel.
L’historien examina les lettres qui restaient.
— En effet, ça n’y est pas.
Ariana hésita.
— Mais… regardez, c’est curieux, observa-t-elle. Il y a Gott, « Dieu », et aussi, Herr. Vous voyez ? Et si on les réunit, on obtient Herrgott.
— Herrgott ? Qu’est-ce que ça signifie ?
— Seigneur.
— Ah, s’exclama l’historien. Herrgott. Et avec le reste des autres lettres, peut-on dire quelque chose en allemand ?
L’Iranienne prit son stylo et inscrivit les lettres restantes.
— Hum, murmura-t-elle. Hergott dersit.
— Ça signifie quelque chose ?
— Dersit ? Non. Mais on peut le séparer. On obtient Der sit. Et sit peut donner… ist. Là oui, ça signifierait quelque chose.
— Comment dit-on ? Herrgott der ist ?
— Non. À l’envers.
Ariana réécrivit la ligne.
— Ist der Herrgott.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
— « C’est le Seigneur ».
L’historien se remit à examiner le poème, une lueur particulière dans le regard. Il venait d’ouvrir la première brèche dans le mur de l’énigme.
— Bon sang ! s’exclama-t-il. Il s’agit vraiment d’une anagramme. Il regarda l’Iranienne. Croyez-vous pouvoir extraire d’autres mots allemands des autres lignes ?
Ariana prit la feuille et étudia les trois vers restants.
— Je l’ignore, je n’ai jamais fait ça.
— Quels sont les mots allemands les plus communs ?
— Pardon ?
— Quels sont les mots allemands les plus courants ?
— Je ne sais pas… und, par exemple, ou ist.
— Nous avons déjà un ist. Y aurait-il un und ?
L’Iranienne balaya toutes les lettres du poème.
— Non, il ne peut pas y avoir und. Le poème ne contient aucun u.
— Merde ! s’écria Tomás, quelque peu découragé. Et ist ? Est-ce qu’il y en a un autre ?
Ariana désigna le quatrième et dernier vers.
— Oui, ici, s’exclama-t-elle. Elle prit son stylo et souligna les trois lettres.
— Excellent, dit Tomás. Regardons maintenant les deux premières lettres de chaque mot. Chni. Ça signifie quelque chose ?
— Non, répondit-elle. Mais… attendez, si on intervertit les syllabes, on obtient nich. Le problème, c’est qu’il faudrait un autre t. Nous en avons déjà utilisé un dans ist.
— Voici un autre t.
— Exact. Ce qui donne nicht.
— Parfait, s’exclama l’historien. Nous avons donc ist et nicht dans ce vers. Qu’est-ce qu’il reste ?
— Il reste un r et un e.
— Re ?
— Non, attendez, s’exclama Ariana, très excitée. Er. Ça donne er.
— Er ? Qu’est-ce que ça signifie ?
— Ist er nicht. Vous voyez ?
— Je vois, je vois. Mais qu’est-ce que ça signifie ?
— Ça veut dire : « il n’est pas ».
Tomás prit une feuille de brouillon et nota les deux phrases sous le deuxième et quatrième vers.
— Et maintenant, la suite ? demanda-t-il. Nous allons prendre le premier et le troisième vers.
Les deux vers restants se révélèrent très difficiles à déchiffrer. Ils essayèrent diverses combinaisons et Ariana dut demander un dictionnaire d’allemand à la réception de l’hôtel, afin de tester de nouvelles possibilités, toujours guidée par Tomás. Ils quittèrent le restaurant et regagnèrent le bar, chacun proposant des mots, inversant des syllabes, déplaçant des lettres, hasardant diverses significations.
Au bout de deux longues heures, le chiffre laissa enfin échapper son secret. La fin de la résistance commença par la découverte du mot aber, au troisième vers, ce qui leur permit d’arriver enfin à la formulation finale. Avec un sourire triomphal, l’Iranienne écrivit sur une feuille de brouillon les quatre lignes cachées dans le poème chiffré.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Tomás, pour qui l’allemand recelait encore beaucoup de mystères.
— Raffiniert ist der Herrgott, aber boshaft ist er nicht.
— Oui, j’avais compris, dit-il impatient. Mais qu’est-ce que ça signifie ?
Ariana se cala dans le canapé, à la fois épuisée et revigorée, brisée par l’effort et exaltée par la découverte, livrée à l’étourdissante extase de celui qui a escaladé une montagne jusqu’au sommet et, reposant sur le pic le plus élevé, contemple le monde avec une immense joie.
— « Subtil est le Seigneur », finit-elle par dire, dans un murmure fasciné. « Mais malicieux Il n’est pas ».
XIV
Dans le silence de la nuit, une voiture noire roulait lentement à travers les rues désertes de la ville, livrées au vent froid qui descendait des montagnes. Les lampadaires projetaient sur les trottoirs une lumière blafarde, fantomatique, et l’éclat des étoiles éparses dans le ciel limpide enveloppait la silhouette endormie des Elbourz d’une clarté diffuse.