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L’Iranien tourna la poignée, mais la porte résista. Comme c’était à prévoir, elle était verrouillée. En outre, cette porte n’était pas en bois, comme les autres, mais en métal, ce qui indiquait la présence d’un dispositif de sûreté spécial.

— Et maintenant ? demanda Tomás.

Bagheri ne répondit pas immédiatement. Il se pencha et examina la serrure de près, à la lumière de sa lampe. Puis il s’accroupit et ouvrit la sacoche noire où étaient rangés ses outils.

— Il n’y a aucun problème, se borna-t-il à dire.

Il prit un instrument métallique et pointu qu’il inséra lentement dans la serrure. Puis il introduisit dans ses oreilles une sorte de stéthoscope dont les fils étaient reliés à un récepteur très sensible. Il plaqua celui-ci contre la serrure et se mit à écouter les clics émis par l’instrument pointu, la langue pendue au coin des lèvres et les yeux plissés en une expression de grande concentration. L’opération se prolongea durant d’interminables minutes. Au bout d’un moment, Bagheri sortit l’instrument de la serrure et en chercha un autre dans sa sacoche. Il en tira une sorte de fil métallique, très flexible, et le glissa dans le trou de la serrure, en répétant la manœuvre précédente.

— Alors ? chuchota Tomás, pressé de quitter les lieux. Vous n’y arrivez pas ?

— Un moment.

L’Iranien plaqua de nouveau son récepteur contre la serrure, en suivant avec une extrême attention le parcours du fil métallique. On entendit encore quelques clics, peut-être trois, puis un clac final.

La porte en métal s’ouvrit.

— Sésame, ouvre-toi, plaisanta Tomás.

Bagheri lui lança un clin d’œil.

— Je suis Ali Baba.

Ils entrèrent dans la pièce et l’Iranien y promena le faisceau de sa lampe. C’était un petit bureau, aux murs et au plafond richement décorés de boiseries exotiques. Une niche ménagée dans le mur du fond, au-dessus d’une plante verte, était occupée par un coffre gris, avec une serrure protégée par un système de combinaison.

— Le manuscrit doit être là, observa Tomás. Vous pensez pouvoir ouvrir le coffre ?

Bagheri s’approcha et examina le dispositif de fermeture avec attention.

— Il n’y a aucun problème, répondit-il.

De nouveau, il enfila son stéthoscope dans les oreilles et se mit à ausculter la serrure du coffre, mais en utilisant cette fois des petits appareils très complexes, de haute technologie ; l’un était équipé d’un ordinateur intégré, l’autre présentait des cadrans sur un petit écran plasma où brillaient des chiffres.

Bagheri appuya la mèche d’une perceuse électrique contre la combinaison du coffre, mit celle-ci en marche et fit un trou minuscule ; il y enfila des fils reliés à l’appareil pourvu d’un écran et établit d’autres branchements avec l’ordinateur. Il tapa des lettres et des chiffres sur un petit clavier et testa diverses solutions, jusqu’à ce qu’au bout de quelques minutes, un voyant rouge s’éteigne sur l’écran plasma, remplacé par un voyant vert. La combinaison du coffre se mit en mouvement comme par enchantement, avec un bruit dentelé de rotation métallique. Suivi d’un claquement sec.

La porte du coffre céda.

Sans dire un mot, Bagheri ouvrit la porte et pointa sa lampe pour en éclairer l’intérieur. Tomás épia par-dessus l’épaule de l’Iranien et reconnut la boîte à l’aspect usé, défraîchie par le temps, qui était posée au centre du coffre-fort.

— C’est ça, dit-il.

— Cette boîte ?

— Oui.

Bagheri tendit les bras vers l’intérieur du coffre et en retira la boîte. Il la prit comme si elle renfermait une relique divine, un trésor qui pouvait se déliter au moindre geste brusque, et la posa doucement sur le sol.

— Et maintenant ? demanda l’Iranien, hésitant, les mains sur les hanches.

— Il faut vérifier, dit Tomás, en se penchant sur la boîte.

Il retira le couvercle avec précaution et fit signe à Bagheri d’approcher sa lampe. Le faisceau de lumière inonda l’intérieur de la boîte, révélant les feuilles jaunies du vieux manuscrit. Tomás se baissa et parcourut du regard le titre et le poème qui figuraient sur le papier à carreaux de la première page. Les mots estompés lui apparurent étrangement familiers, mais aussi singulièrement mystérieux ; voilà, se dit-il avec une émotion mal contenue, le texte original, les pages dactylographiées par Einstein en personne, le témoignage perdu d’une époque oubliée. Couvert d’un voile de poussière, les feuilles piquées par les années exhalaient une odeur d’autrefois, le parfum secret d’un temps révolu.

— C’est ça ? demanda Bagheri.

— Oui, c’est ça.

— Vous en êtes sûr ?

— Absolument, répondit Tomás. C’est exactement celui…

Ils restèrent tous deux figés, la respiration en suspens, les yeux écarquillés, l’attention aux aguets. Leur première réaction fut la surprise, ils cherchèrent fébrilement à comprendre ce qui se passait, d’où venait le bruit.

C’était la ceinture.

Le bourdonnement provenait de la ceinture de Bagheri. Plus exactement, il provenait du récepteur accroché à la ceinture de Bagheri. Le même récepteur qui était réglé sur le signal de l’émetteur de Babak. Le même récepteur qui leur apportait des nouvelles du monde extérieur. Le même récepteur qui ne devait bourdonner qu’en cas de grave danger.

Ils écarquillèrent les yeux encore davantage ; cette fois ce n’était plus de la surprise, mais quelque chose de bien plus effrayant, de bien plus épouvantable, d’infiniment terrifiant. Cette fois, ils venaient de comprendre.

— C’est l’alarme !

XV

Une incroyable farandole de lumières emplissait la cour du ministère, on aurait dit une fête foraine ; aux faisceaux blancs des phares des voitures et des projecteurs, s’ajoutaient les gyrophares orange des voitures de police. Des gens couraient dans tous les sens, criaient des ordres. Ces hommes venaient d’arriver en hâte et prenaient position, les uns armés de revolvers, les autres de carabines, d’autres encore de mitraillettes. Deux camions recouverts de bâches kaki débouchèrent dans la rue au même instant et des soldats en tenue de camouflage en sortirent, sans même attendre l’arrêt complet des véhicules.

Paralysés devant la fenêtre de la salle de réunion, où ils s’étaient précipités après avoir entendu l’alarme déclenchée par Babak, Tomás et Bagheri observaient la scène avec stupéfaction, d’abord incrédules, presque hypnotisés, puis terrifiés, le pire des scénarios se déroulait sous leurs yeux.

Leur présence avait été détectée.

— Et maintenant ? murmura Tomás, en sentant la panique le prendre aux tripes.

— Il faut fuir, dit Bagheri.

Sans perdre plus de temps, l’énorme Iranien fit demi-tour et quitta la salle, en traînant l’historien derrière lui. Ils avancèrent dans l’obscurité, sans oser allumer leur lampe, tâtonnant le long des murs, heurtant des meubles, butant sur des obstacles. Tomás tenait la boîte du manuscrit serrée entre ses mains, Bagheri portait sa sacoche à outils en bandoulière.

— Mossa, appela le Portugais. Par où allons-nous fuir ?

— Il y a une sortie de secours au rez-de-chaussée qui donne accès à la rue. Allons-y.

— Comment le savez-vous ?

— Je l’ai vue sur le plan.

Ils arrivèrent à l’escalier principal et le dévalèrent à toute allure, manquant de tomber à chaque marche ; il n’y avait plus un instant à perdre, il fallait atteindre cette issue de secours avant que le bâtiment ne soit complètement cerné. Arrivés sur le palier du premier étage, ils entendirent du bruit et s’arrêtèrent. Des voix venaient du rez-de-chaussée.