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Bagheri tendit son bras, le canon du revolver fermement pointé vers les yeux de l’historien.

— Je vais donc devoir régler ça.

— Non, non, attendez, implora Tomás. Donnez-moi la seringue.

Bagheri lui jeta une seringue et mit l’autre dans sa poche, la réservant pour lui.

— Injectez-vous ça, dit-il. Vous allez voir comme c’est facile.

De ses doigts tremblotant, Tomás prit le sachet en plastique qui renfermait la seringue et tira légèrement dessus, sans le déchirer.

— C’est… c’est difficile.

— Dépêchez-vous.

Ses mains tremblantes essayèrent encore une fois de déchirer le plastique, sans conviction ni volonté, si bien que le sachet resta intact.

— Je n’y arrive pas.

Bagheri fit un geste d’impatience de la main gauche.

— Donnez-moi ça. Tomás lui rendit la seringue. Bagheri déchira le sachet d’un coup de dent, en sortit la seringue, recracha le plastique par terre, enfila l’aiguille, leva la seringue et fit jaillir un petit jet pour évacuer l’air. Voilà, c’est fait, dit-il. Vous préférez que je vous l’injecte ?

— Non, non. Je… je vais le faire moi-même.

Bagheri lui relança la seringue.

— Alors, dépêchez-vous.

Toujours très lentement, Tomás prit la seringue avec ses mains secouées de spasmes, la posa près de lui, retroussa la manche de sa veste pour découvrir son bras, la baissa de nouveau, répéta le geste sur son autre bras et secoua la tête.

— Je ne sais pas faire ça, dit-il.

Bagheri s’approcha.

— Je vais le faire.

— Non, non. Je le fais, laissez-moi.

— Je vois que vous n’allez rien faire du tout, maugréa-t-il. C’est moi qui…

Un bruit soudain dans le couloir le fit se retourner vers la porte, son revolver au poing. Deux silhouettes apparurent alors à l’entrée, suivie par d’autres, qui se jetèrent sur Bagheri.

Tomás se traîna sur le sol vers le fond de la salle, s’efforçant d’échapper à cette effroyable bagarre. D’autres hommes firent alors irruption dans la pièce, tous armés de AK 47, et, braillant des ordres, dirigèrent leurs armes sur l’historien.

Lentement, entre horreur et soulagement, Tomás leva les bras.

— Je me rends.

XVI

Le bandeau placé sur ses yeux empêchait Tomás de voir quoi que ce soit, sinon une frange de lumière par en dessous, il entendit de nouvelles voix dans un espace clos et il comprit qu’on le conduisait dans un bâtiment. Des bras puissants l’entraînèrent par des portes, des escaliers et des couloirs, ses poignets toujours menottés dans le dos ; pour finir, après avoir été bousculé dans l’obscurité, malmené par des mains inconnues, il fut introduit dans une pièce et jeté sur un siège en bois. Des hommes parlaient un farsi fébrile, jusqu’à ce qu’une voix lui demande en anglais :

— Passport ?

Sans pouvoir bouger les mains, Tomás baissa la tête et toucha du menton le côté gauche de sa poitrine.

— Il est ici.

Une main se glissa dans la poche intérieure de sa veste et prit le document. Le vacarme continuait autour de lui, mais un certain crépitement métallique, qu’il n’avait pas entendu depuis très longtemps, lui indiqua que quelqu’un tapait un formulaire sur une vieille machine à écrire.

— À quel hôtel êtes-vous descendu ? demanda la même voix.

Le silence tomba dans la pièce, tous semblaient soudain curieux d’en savoir un peu plus sur l’homme qui venait d’être arrêté.

Tomás s’étonna de la question. Si on lui demandait le nom de son hôtel, c’est parce qu’on n’avait encore ni identifié ni compris ce que lui et Bagheri faisaient réellement dans le ministère. Peut-être existait-il un moyen de les convaincre que tout cela n’était qu’un énorme malentendu.

— Je suis au Simorgh.

Une machine à écrire crépita.

— Et que faites-vous en Iran ?

Je travaille sur un projet.

— Quel projet ?

— Un projet secret.

— Quel projet secret ?

— Un projet avec le gouvernement iranien.

La voix marqua une pause, considérant la réponse.

— Avec le gouvernement iranien, c’est ça ? Et avec qui dans ce gouvernement iranien ?

— Le ministère de la Science.

— Que faisiez-vous dans la salle K ?

— Je travaillais.

— Vous travailliez ? À une heure du matin ? Et en entrant dans la salle K sans autorisation ?

— J’avais besoin de vérifier certaines choses.

— Pourquoi n’avez-vous pas ouvert la porte avec la clé ? Si vous aviez l’autorisation, pourquoi ne pas avoir désactivé l’alarme ?

— Il y avait donc une alarme ?

— Bien sûr. La porte de la salle K est protégée par un système d’alarme qui est relié aux forces de sécurité. Comment pensez-vous que nous avons su qu’il y avait eu une intrusion ? Si vous aviez utilisé la clé, le système se serait désactivé automatiquement.

— Il était urgent que je vérifie certaines choses. Je n’avais pas la clé sous la main.

— Dans ce cas, pour quelle raison avez-vous ouvert le feu sur nous ?

— Ce n’est pas moi qui ait tiré. C’est l’autre. Il vous a pris pour des voleurs.

— Bien, nous verrons ça, dit la voix.

On donna quelques ordres en farsi, quelqu’un souleva Tomás de sa chaise et l’emmena dans une autre pièce. On lui ôta le bandeau et les menottes et l’historien constata qu’il se trouvait dans une sorte de studio très éclairé. Il y avait devant lui un appareil photo monté sur un trépied et deux projecteurs allumés au-dessus. Un homme derrière l’appareil lui fit signe de regarder l’objectif et le prit en photo. L’opération fut ensuite répétée de profil, du côté gauche puis du côté droit. Le photographe annonça la fin de la séance et Tomás fut conduit vers un comptoir où on l’obligea à laisser ses empreintes digitales inscrites à l’encre sur un formulaire.

Après quoi, on le fit entrer dans une salle de douches attenante au studio.

— Enlevez-vos vêtements, ordonna un homme.

Tomás se déshabilla et se retrouva nu, grelottant, les poils hérissés, cherchant à se réchauffer en s’enveloppant de ses bras. L’Iranien ramassa les vêtements, les déposa dans un casier et prit ce qui semblait être un vieux pyjama à rayures, taillé dans une étoffe rugueuse de mauvaise qualité.

— Mettez-ça, ordonna le même homme.

Pressé de se protéger du froid, le Portugais s’exécuta aussitôt. Une fois affublé de sa tenue de prisonnier, dépouillé de sa propre individualité, il se regarda et, malgré le sentiment d’humiliation et de désespoir qui lui faisait monter les larmes aux yeux, il ne put s’empêcher de penser qu’il ressemblait à un frère Dalton.

Les premières vingt-quatre heures, il les passa dans une cellule infecte, humide, avec un pot de chambre collectif, où étaient affalés quatre autres prisonniers, tous iraniens. Trois d’entre eux ne parlaient que farsi, mais, le quatrième, un homme âgé aux lunettes rondes et d’aspect malingre, maîtrisait bien l’anglais. Il laissa Tomás pleurer seul dans son coin pendant une heure, mais ensuite, quand l’historien se fut calmé, il s’approcha et lui posa la main sur l’épaule.

— La première fois est toujours la plus difficile, dit-il, d’une voix affable cherchant à le réconforter. C’est votre première fois ?

Tomás se passa la main sur le visage et hocha piteusement la tête.

— Oui.

— Ah, c’est terrible, insista le vieux. Moi, la première fois, j’ai pleuré durant deux jours. Je ressentais une immense honte, j’avais l’impression de n’être qu’un vulgaire voleur. Moi, un professeur de littérature à l’université de Téhéran.