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— Vous devez nous prendre pour des idiots, commenta Kazemi entre deux bouffées de tabac. Pourquoi irions-nous informer l’Union européenne de votre situation sans avoir la garantie de recevoir quelque chose en échange ? Personne au monde ne sait où vous êtes et nous n’avons aucun intérêt à le communiquer. À moins que vous me donniez une raison valable, bien entendu.

— Quelle raison ?

— Par exemple, en me racontant tout. Tenez, vous pourriez commencer par m’ôter un doute concernant l’individu qui vous accompagnait. Qui était-ce exactement ?

Cette question porta Tomás à conclure que Bagheri était probablement mort. D’un côté, si le colonel ignorait l’identité de Bagheri, c’est parce que l’homme de la CIA s’était tu, peut-être pour toujours ; et, de l’autre, l’officier avait employé l’imparfait pour faire référence à Bagheri, ce qui lui semblait révélateur.

L’historien résolut de tester l’homme qui l’interrogeait.

— Pourquoi ne le lui demandez-vous pas directement ?

Kazemi sembla un instant déconcerté par la question, ce qui, en soi, constituait une forme de réponse.

— Heu… parce que… balbutia-t-il, avant de se reprendre. Écoutez, ici, c’est moi qui pose les questions, vous entendez ? Il dut répéter. Vous entendez ?

— Oui.

Le colonel aspira une nouvelle bouffée de fumée.

— Vous êtes de la CIA.

Tomás comprit que l’officier avait changé de tactique, pour le surprendre, et qu’il ne pourrait pas hésiter sur ce point crucial.

— C’est une question ou une affirmation ?

— C’est une affirmation. Vous êtes de la CIA.

— Absurde !

— Nous avons des preuves.

— Comment ça ?

— Votre ami a parlé…

— Il a parlé, dites-vous ? Et il a dit que j’étais de la CIA ?

— Oui. Il nous a tout raconté sur vous.

Tomás se força à sourire.

— S’il vous a tout raconté sur moi, alors me voilà rassuré. Je n’ai rien à voir avec la politique, je ne suis qu’un universitaire et vous le savez très bien.

— Vous êtes un espion ! Vous êtes un espion qui est venu en Iran pour nous voler le secret de la bombe atomique.

Kazemi tendait ici un nouveau piège, mais il manqua d’habileté.

— Le secret de la bombe atomique ? demanda Tomás d’un air étonné. Ma parole, ça confine au délire ! Personne ne m’a jamais parlé d’aucune bombe atomique ! Il y a là sans doute une erreur. Je ne suis pas venu ici pour voler quoi que ce soit. J’ai été invité, vous comprenez ? Je suis venu pour aider l’Iran à déchiffrer un document scientifique, rien d’autre. D’où sortez-vous cette histoire de bombe atomique ?

— Ne faites pas l’ignorant, rétorqua le colonel. Vous savez très bien de quoi je parle.

— Non, je ne sais pas. Je n’ai jamais entendu parler d’une telle chose. Mon travail se limite au décryptage d’un document scientifique, rien de plus. C’est à cette fin que j’ai été engagé. Jamais personne ne m’a parlé de bombes atomiques. D’ailleurs, si on m’en avait parlé, je n’aurais pas accepté ce travail !

— Vous êtes venu ici pour déchiffrer un document scientifique, c’est bien ça ? Alors pour quelle raison êtes-vous allé en cachette au ministère prendre ce document dans le coffre, hein ? Pour quelle raison ?

— Ce n’est pas un document militaire, je vous l’ai dit. C’est un document scientifique. Demandez au ministre de la Science, il vous le confirmera. Vous échafaudez et voyez des conspirations là où il n’y en a pas.

— Le ministre nous a dit que, étant donné la nature du document en question, vous ne pouviez être qu’un espion.

— Moi ? Un espion ? C’est ridicule ! J’admets que j’avais la curiosité de voir ce document scientifique, c’est vrai. Mais ce n’était que de la curiosité scientifique, rien d’autre. Je suis un homme de science et il est bien naturel que je veuille voir une relique scientifique, vous ne pensez pas ?

— Le ministre n’en a pas parlé comme d’une relique.

— Et comment en a-t-il parlé ?

— Il a dit que c’était un document de la plus haute importance pour la sécurité de l’Iran. Il s’approcha du détenu et lui chuchota à l’oreille. Il a dit que c’était un secret d’État.

— C’est parfaitement ridicule, protesta Tomás. C’est un document scientifique. Du moins c’est ce qu’ils m’ont toujours affirmé et je n’ai jamais eu aucune raison d’en douter. Il prit un autre ton de voix, cherchant à avoir l’air de quelqu’un de raisonnable. Écoutez, si c’était vraiment un secret d’État, vous pensez qu’ils m’auraient engagé pour le déchiffrer ? Hein ? Vous croyez ? Comme s’ils ne pouvaient pas trouver ici des gens capables de le faire ! Pour quelle raison auraient-ils demandé à un Occidental de déchiffrer un document si sensible ?

— Ils avaient leurs raisons.

— Naturellement qu’ils en avaient, s’exclama le détenu. Des raisons scientifiques.

— Des raisons d’État.

— Excusez-moi, mais ce que vous dites là n’a aucun sens. Réfléchissez, n’est-ce pas l’Iran qui souhaite utiliser l’énergie nucléaire à des fins pacifiques ? N’est-ce pas l’Iran qui affirme qu’il ne veut pas développer d’armes atomiques ? Alors comment aurais-je volé à l’Iran ce que le pays ne possède ni n’a l’intention de posséder ?

— Vous êtes très habile…

— Ce n’est pas une question d’habileté, mais de bon sens. Je vous rappelle que ce n’est pas moi qui ai demandé à venir en Iran. C’est vous qui m’avez invité. J’étais très bien dans mon coin, je vaquais tranquillement à mes affaires, quand vous m’avez contacté pour me demander de venir ici. Je n’ai jamais…

— Ça suffit, coupa le colonel Kazemi. Vous étiez notre invité, mais vous ne vous êtes pas conduit comme tel. Vous avez été surpris dans le ministère de la Science à minuit en train de forcer un coffre renfermant un secret d’État. Quand nous sommes entrés dans les lieux, vous avez ouvert le feu et blessé…

— Ce n’est pas moi, c’est l’autre.

— C’était vous.

— Non, je vous ai déjà dit que c’est l’autre qui a ouvert le feu.

— Qui était l’autre ?

Tomás hésita. Il était venu là, déterminé à ne rien dire et il s’aperçut que, de fil en aiguille, il en était presque déjà à raconter l’histoire de sa vie.

— J’exige de parler d’abord avec un diplomate de l’Union européenne.

— Comment ?

— J’exige de parler d’abord…

Un pincement brutal au cou, comme une morsure féroce, lui fit tourner la tête. Il hurla de douleur et ne comprit qu’au bout d’un instant ce qui venait d’arriver.

Le colonel avait écrasé sa cigarette sur son cou.

— Puisque la manière douce ne fonctionne pas, on va passer à la manière forte, dit l’officier d’une voix neutre.

Kazemi lança quelques ordres en farsi et Tomás perçut aussitôt des mouvements autour de lui. Il se prépara au pire et se recroquevilla sur son siège, dans l’attente des coups. Plusieurs mains le saisirent par les bras et par son uniforme de prisonnier et l’obligèrent à se mettre debout.

— Qu’est-ce que… qu’est-ce que vous allez me faire ? demanda-t-il d’autant plus angoissé que le bandeau ne lui permettait pas de voir ce qui se passait autour de lui.

— Nous allons vous faire parler, fut la réponse sèche de Kazemi.

— Vous allez me torturer ?