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— Non. Nous allons faire pire.

— Qu’allez-vous faire ?

— Nous allons vous envoyer à la section 209.

Un cercueil.

Lorsque Tomás, débarrassé de ses menottes, fut jeté dans la cellule et qu’il put, après avoir ôté son bandeau, observer le lieu où il se trouvait, ce fut sa première impression.

Ils m’ont mis dans un cercueil.

Le cachot était si étroit, à peine un mètre de largeur, qu’il ne pouvait écarter les bras. Une longueur de deux mètres permettait tout juste de faire trois pas, ou plutôt un pas et demi, puisque le reste était occupé par un W.-C. et un lavabo. Il leva la tête et mesura la hauteur. Environ quatre mètres. Au plafond, une petite ampoule éclairait la cellule. Tomás lui attribua une quarantaine de Watts, pas plus. Le sol semblait enduit de chaux et les murs blancs, rapprochés, oppressants, lui donnaient l’impression de l’écraser de tous côtés.

Un véritable cercueil.

Jamais dans sa vie Tomás ne s’était senti aussi comprimé par des murs, si comprimé qu’il eut la nette sensation d’être enterré vivant. Il commença à respirer avec difficulté et dut fermer les yeux et dilater ses narines pour maîtriser l’angoisse qui peu à peu l’assaillait. Plutôt que de s’asseoir sur ce sol en chaux, il préféra rester debout. Il voulut faire un pas, mais c’est tout ce qu’il put faire, tant le cachot était étroit, tant l’espace était réduit.

Une heure s’écoula.

Les accès d’asphyxie et d’angoisse se succédaient, accompagnés de vertiges. Il éprouvait la claustrophobie de celui qu’on avait enfermé dans un tombeau, jeté dans une sépulture aux parois blanchies à la chaux et éclairé par une petite ampoule de quarante Watts. Épuisé, il s’adossa au mur.

La deuxième heure passa.

Le silence était absolu, suffocant, sépulcral. Il lui semblait impossible qu’un silence aussi profond put exister, tellement profond qu’il entendait gronder sa respiration comme s’il s’agissait d’une tempête et que le léger grésillement de l’ampoule lui faisait l’effet d’une énorme mouche à viande bourdonnant à son oreille. Il sentit ses jambes flageoler et s’assit sur la chaux.

Des heures défilèrent. Il perdit la notion du temps. Les secondes, les minutes, les heures se succédaient sans qu’il puisse en saisir le passage ; il était comme suspendu dans le temps, perdu dans une dimension occulte, flottant dans l’oubli. Il ne voyait que les murs, l’ampoule, le W.-C., le lavabo, son corps, la porte et le sol. Il n’entendait que le silence, sa respiration et le grésillement de l’ampoule. Il se souvint du vieux dans la cellule commune lui disant qu’il y avait des cachots encore pires, que dans la prison 59 on devenait fou en une seule nuit, mais il ne put rien imaginer de pire que l’endroit où il se trouvait. Il voulut chanter, mais il ne connaissait pas les paroles de la plupart des chansons et se contenta d’ânonner quelques comptines. Il fredonna encore plusieurs mélodies, les unes derrières les autres, résolu à être le propre tourne-disque de lui-même. Il se mit à parler tout seul, davantage pour entendre une voix humaine que pour dire quelque chose, mais, au bout d’un moment, il se tut, considérant qu’il avait déjà l’air d’un fou.

— Allaaah u akbaaar !

La voix stridente d’un Iranien qui braillait remplit soudain la cellule. Tomás sursauta et regarda autour de lui, hébété. Il s’agissait d’un haut-parleur qui lançait l’appel à la prière. L’appel dura trois ou quatre minutes, le volume toujours à fond, presque assourdissant, puis il s’arrêta.

De nouveau le silence.

Un silence sinistre, un silence si caverneux que même la vibration de l’air bourdonnait à ses oreilles. Muré dans cet espace étroit, sans pouvoir écarter les bras ni faire deux pas dans la même direction, l’esprit de Tomás commença à divaguer sur les circonstances, sa situation désespérée, la futilité de sa résistance. À quoi bon résister puisque son sort était scellé ? Ne valait-il pas mieux anticiper le dénouement inéluctable ? Pourquoi craindre la mort puisqu’il était déjà mort là où il se trouvait ? Oui, il était déjà mort sans l’être, on l’avait enterré dans un cercueil et il n’était plus qu’une sorte de mort-vivant.

Les repas lui étaient servis en silence. Le geôlier ouvrait une petite grille insérée dans la porte, lui remettait une assiette métallique avec de la nourriture, une cuillère en plastique et un verre d’eau, et revenait une demi-heure plus tard chercher les ustensiles. Ces interludes aux heures des repas et des appels à la prière braillés dans le haut-parleur constituaient les seuls moments où le monde extérieur s’insinuait dans le cercueil. Tout le reste était indéfini.

Une sorte de tache dans le temps.

Tomás mangeait quand la grille s’ouvrait et que l’assiette apparaissait, il faisait ses besoins dans la cuvette et, quand le sommeil le gagnait, il se couchait sur le sol, recroquevillé en position fœtale. L’ampoule était allumée en permanence et, muré dans ce cercueil de briques et de ciment, le détenu n’avait aucun moyen de savoir le temps qui s’était écoulé, s’il faisait jour ou nuit, s’il sortirait bientôt ou si on l’avait enseveli dans ce cercueil jusqu’à l’oubli.

Il se contentait de survivre.

XVIII

Le tintement inespéré d’une clé tournant dans la serrure tira Tomás de sa longue torpeur. Le verrou émit plusieurs cliquetis successifs avant que la porte s’entrouvre et qu’un homme à la barbe en pointe apparaisse.

— Mettez ça, dit l’Iranien, en jetant un sac en plastique bleu sur le sol de la minuscule cellule.

L’historien s’accroupit et ouvrit le sac. À l’intérieur se trouvaient ses vêtements, complètement froissés. Par l’entrebâillement de la porte, il aperçut pour la première fois depuis longtemps la lumière du jour qui éclairait un angle ; il eut envie de courir et d’embrasser le soleil, de remplir ses poumons d’air et de vivre cette journée dans toute sa plénitude.

— Vite ! grommela l’homme qui avait surpris l’air songeur avec lequel Tomás contemplait la lumière naturelle qui filtrait dans le couloir. Dépêchez-vous.

— Oui, oui, j’arrive.

L’historien s’habilla et se chaussa en deux minutes, avide de saisir cette opportunité inattendue de quitter son cercueil et de respirer un peu d’air frais. Même si c’était pour subir un dur interrogatoire, même s’il allait goûter au chicken kebab dont lui avait parlé le vieux prisonnier rencontré lors de son entrée à Evin, tout valait mieux que de rester une heure de plus dans ce trou, toute torture était préférable à cet enterrement vivant.

Tomás finit de s’habiller et se leva, presque en sautillant d’excitation à l’idée de quitter la cellule ; l’Iranien tira de sa poche un foulard et fit un geste de rotation rapide avec la main.

— Tournez-vous.

— Hein ?

— Tournez-vous.

Tomás pivota sur ses talons et l’Iranien plaça le bandeau sur ses yeux. Puis il lui ramena les bras dans le dos et lui passa les menottes.

— Allons-y, dit-il, en l’entraînant pas le bras.

Le détenu trébucha et faillit tomber, mais, se heurtant à un mur, il put se redresser et se laissa guider par le geôlier.

— Où m’emmenez-vous ?

— Silence.

Le geôlier le conduisit dans un long couloir, au bout duquel ils se mirent à gravir un escalier. À l’aller, Tomás avait eu l’impression que la section 209 se trouvait sous terre, impression qui se confirmait à présent qu’il en sortait. Ils parcoururent d’autres couloirs, avant d’entrer dans une pièce où on l’obligea à s’asseoir sur un banc. Tomás remua sur son siège et toucha la petite table à couvercle, c’était le même pupitre d’école que lors du premier interrogatoire, sans doute était-ce aussi le même banc et la même pièce.