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Les étudiants affichèrent un air incrédule, certains doutant même d’avoir entendu le professeur poser cette question.

— L’Église ? s’étonna l’un d’eux. Qu’est-ce que l’Église vient faire là-dedans, professeur ?

— Tout et rien, rétorqua Luís Rocha. La question du commencement et de la fin de l’univers n’est pas une question exclusivement scientifique, c’est aussi un problème théologique. Une interrogation essentielle, qui dépasse les frontières de la physique, qui relève de la métaphysique ou de la religion. Y a-t-il eu ou non Création ? Il laissa la question planer un instant dans l’amphithéâtre. En s’appuyant sur les textes de la Bible, l’Église a toujours soutenu l’idée d’un commencement et d’une fin, d’une Genèse et d’une Apocalypse, d’un Alpha et d’un Oméga. Mais la science, à un moment donné, a proposé une autre réponse. Après les découvertes de Copernic, de Galilée et de Newton, les scientifiques ont considéré que l’hypothèse d’un univers éternel était plus probable. D’un côté, le problème de la Création renvoie à celui d’un Créateur, et donc, en éliminant la Création, on élimine aussi la nécessité d’un Créateur. De l’autre, l’observation de l’univers semble indiquer un mécanisme constant et régulier, étayant l’idée que ce mécanisme a toujours existé et continuera d’exister. Par conséquent, le problème est résolu, qu’en pensez-vous ? Il se tut un instant, attendant une réponse, mais comme personne ne se manifestait le professeur regagna son bureau, ramassa ses notes et se dirigea vers la sortie. Bon, puisque vous pensez que la question est réglée, il n’y a plus de raison de poursuivre ce cours. Si l’univers est éternel, les problèmes de l’Alpha et de l’Oméga n’ont plus lieu d’être. Comme ce cours était consacré à ces deux problèmes, qui sont à présent résolus, il ne me reste plus qu’à m’en aller. Il agita sa main. Alors à la semaine prochaine. Les étudiants le regardèrent, éberlués. Au revoir, répéta le professeur.

— Mais vous partez vraiment ? demanda une étudiante, déconcertée.

— Oui, rétorqua-t-il devant la porte. Puisque vous semblez satisfaits par la réponse d’un univers éternel…

— Mais est-il possible de démontrer le contraire ?

— Ah ! s’exclama Luís Rocha, comme s’il entendait enfin un argument valable pour continuer le cours. Voilà une question intéressante. Il fit demi-tour et regagna son bureau, où il éparpilla de nouveau ses notes. Le cours n’est donc pas terminé. Il reste un petit détail à régler. Est-il possible de démontrer que l’univers n’est pas éternel ? En réalité, cette question renvoie à un problème crucial : le fait que les observations contredisent la théorie. Il se frotta les mains. Quelqu’un sait-il de quelles contradictions il s’agit ? Personne ne répondit. La première contradiction apparaît dans la Bible, même si elle n’a guère de valeur au regard de la physique, bien entendu. Mais c’est une curiosité qui mérite le détour. Selon l’Ancien Testament, Dieu créa l’univers dans une explosion de lumière. Cette explication reste le modèle de référence pour les religions judaïque, chrétienne et musulmane, bien qu’elle ait été fortement remise en question par la science. Après tout, la Bible n’est pas un texte scientifique, n’est-ce pas ? La thèse de l’univers éternel devint ainsi l’explication la plus vraisemblable pour les raisons que je vous ai indiquées. Il fit un geste théâtral. Mais, au XIXe siècle, on fit une découverte d’une haute importance, l’une des plus grandes jamais réalisées par la science, une révélation qui vint mettre en cause l’idée d’un univers d’une durée infinie. Il balaya du regard l’auditoire. Quelqu’un connaît-il cette découverte ?

Tous restèrent silencieux.

Le professeur prit un marqueur noir et inscrivit une équation au tableau.

— Qui peut me dire ce que c’est ?

Les étudiants fixèrent le tableau.

— N’est-ce pas la deuxième loi de thermodynamique ? demanda l’un d’eux, un garçon maigre à lunettes et aux cheveux en bataille, l’un des plus brillants du cursus.

— Tout à fait, s’exclama Luís Rocha. La deuxième loi de thermodynamique. Il désigna chacun des éléments de l’équation inscrite sur le tableau. Le triangle signifie variation, « S », entropie, « > » représente, comme vous le savez, le concept de plus grand, et « 0 », c’est bien sûr zéro. Autrement dit, cette équation postule que la variation de l’entropie de l’univers est toujours supérieure à zéro. Il frappa le tableau de son marqueur. La deuxième loi de thermodynamique. Il s’adressa à l’étudiant qui avait donné la réponse. Qui l’a formulée ?

— Clausius, professeur. En 1861, je crois.

— Rudolf Julius Emmanuel Clausius, déclama le professeur, entrant clairement dans le vif du sujet. Clausius avait auparavant formulé la loi de conservation de l’énergie, affirmant que l’énergie de l’univers est une éternelle constante, ne pouvant jamais être créée ni détruite, mais seulement transformée. Ensuite, il décida de proposer le concept d’entropie, qui englobe toutes les formes d’énergies et de température, croyant qu’elle aussi était une éternelle constante. L’univers étant éternel, l’énergie devait être éternelle et l’entropie également. Mais, après avoir effectué des mesures, il découvrit, stupéfait, que les déperditions de chaleur d’une machine excédaient toujours la transformation de la chaleur en énergie, provoquant une dégradation. Refusant d’accepter ce résultat, il se mit à mesurer les processus naturels, le corps humain inclus, et parvint à la conclusion que le phénomène se vérifiait dans tous les domaines. Après de nombreux tests, il dut se rendre à l’évidence. L’entropie n’était pas une constante, ou plutôt elle ne faisait qu’augmenter. Sans cesse. Ainsi naquit la deuxième loi de thermodynamique. Clausius détecta l’existence de cette loi dans le comportement thermique, mais le concept d’entropie s’étendit rapidement à tous les phénomènes naturels. On comprit que l’entropie existait dans tout l’univers. Il fixa du regard les étudiants. Quelle est la conséquence de cette découverte ?

— Les choses vieillissent, répondit l’étudiant à lunettes.

— Les choses vieillissent, confirma le professeur. La deuxième loi de thermodynamique vint prouver trois choses. Il leva trois doigts. La première c’est que, si les choses vieillissent, alors il y a un point dans le temps où elles mourront. Cela arrivera quand l’entropie atteindra son point maximum, au moment où la température se dispersera uniformément dans l’univers. La seconde est qu’il existe une flèche du temps. Autrement dit, l’univers et son histoire peuvent être déterminés depuis toujours, mais leur évolution s’effectuera constamment du passé vers le futur. Cette loi implique que tout a évolué avec le temps. La troisième chose prouvée par la deuxième loi de thermodynamique est que, puisque tout vieillit, il y a eu un moment où tout était jeune. Mieux encore, il y a eu un moment où l’entropie était à son minimum. Le moment de la naissance. Il marqua une pause dramatique. Clausius a démontré qu’il y a eu une naissance de l’univers.

— Vous voulez dire que déjà au XIXe siècle on savait que l’univers n’était pas éternel ?

— Absolument. Lorsque la deuxième loi de thermodynamique a été formulée et démontrée, les scientifiques comprirent que l’idée d’un univers éternel était incompatible avec l’existence de processus physiques irréversibles. L’univers évolue vers un état d’équilibre thermodynamique, où les zones chaudes et froides tendent à s’effacer au profit d’une température constante générale, ce qui implique une entropie totale, ou un maximum de désordre. En clair, l’univers évolue d’un ordre complet vers un désordre total. Et cette découverte entraîna l’apparition de nouveaux indices. Quelqu’un connaît-il le paradoxe d’Olbers ? Personne ne répondit. Le paradoxe d’Olbers est lié à l’obscurité du ciel. Si l’univers est infini et éternel, alors il ne peut y avoir d’obscurité la nuit, puisque le ciel doit être inondé par la lumière provenant d’un nombre infini d’étoiles. Mais l’obscurité existe, ce qui est un paradoxe. Ce paradoxe ne peut être résolu que si l’on attribue un âge à l’univers, postulant ainsi que la Terre reçoit uniquement la lumière qui a eu le temps de voyager jusqu’à elle depuis la naissance de l’univers. C’est la seule explication pour justifier le fait qu’il existe de l’obscurité la nuit.