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— Et est-il possible de rompre cette illusion ?

— Oui. La Troisième Noble Vérité établit justement qu’il est possible de briser le cercle de la souffrance, de nous libérer du karma et d’atteindre un état de libération totale, d’illumination, d’éveil. Le nirvana. C’est là que l’illusion se dissipe et que naît la conscience que tout est un et que nous faisons partie de l’un. Il soupira. La Quatrième Noble Vérité est l’Octuple Sentier Sacré qui mène à la suppression de la douleur, à la fusion avec l’un et à l’élévation au nirvana. C’est le chemin qui nous permet de devenir Bouddha.

— Et quel est ce chemin ? voulut savoir Tomás.

Jinpa referma les yeux, comme s’il replongeait dans la méditation.

— C’est le chemin de Shigatse, se borna-t-il à dire.

— Comment ?

— C’est le chemin de Shigatse.

— Shigatse ?

— À Shigatse, il y a un petit hôtel. Allez-y et dites que vous désirez que le Bodhisattva Tenzig Thubten vous montre le chemin.

Tomás resta figé un instant, surpris par la façon soudaine et inattendue dont le moine avait changé le cap de la conversation pour revenir au point initial. Mais il réagit aussitôt, sortant son calepin pour noter les instructions.

— Que Tenzing… me montre… le chemin, répéta-t-il tout en notant laborieusement, la langue pendue au coin des lèvres.

— N’écrivez pas. Jinpa toucha son front du doigt. Mémorisez.

Une fois encore, le visiteur resta un instant déconcerté par cet ordre, mais, docile, il arracha la feuille du calepin et la jeta dans une corbeille.

— Hum… murmura-t-il, s’efforçant d’enregistrer les indications. Shigatse, c’est ça ?

— Oui.

— Et que dois-je faire là-bas ?

— Aller à l’hôtel.

— Lequel ?

— Le Gang Gyal Utsi.

— Comment ? Le Gang quoi ?

— Gang Gyal Utsi. Mais les Occidentaux lui donnent un autre nom.

— Un autre nom ?

— Hôtel Orchard.

Il descendit d’interminables escaliers mal éclairés qui formaient des puits d’ombres, traversa le salon où se trouvait le trône du sixième Dalaï-Lama et, ignorant les statues et les chapelles qui ornaient le lieu, quitta précipitamment le Potala.

Tomás avait une mission. Il gardait en mémoire le point de rencontre pour s’entretenir avec le Tibétain qui, pensait-il, pourrait l’éclairer sur la mystérieuse disparition du professeur Siza et sur le secret qui entourait le vieux manuscrit d’Einstein. Il se sentait sur le point de percer l’énigme et contenait avec peine l’excitation qui bouillonnait dans son corps et lui revigorait l’âme. Il dévala imprudemment un sentier de terre jusqu’à Bei Jin Guilan, la tête penchée en avant, les yeux rivés sur le sol, l’esprit perdu dans les perspectives qui s’ouvraient devant lui, complètement étranger au monde qui l’entourait.

C’est pourquoi il ne remarqua pas qu’une camionnette noire s’était arrêtée le long du trottoir, pas plus qu’il ne vit deux hommes en sortir pour se diriger vers lui.

Un mouvement brusque le ramena aussitôt à la réalité.

— Mais qu’est-ce…

Un homme lui tordit brutalement le bras, l’obligeant à se courber en poussant un cri de douleur.

— Entrez là, ordonna une voix inconnue dans un mauvais anglais.

Étourdi, sans comprendre ce qui se passait, presque comme dans un rêve, il vit la portière de la camionnette s’ouvrir et se sentit catapulté à l’intérieur.

— Lâchez-moi ! Lâchez-moi !

Il reçut un coup sur la nuque et tout s’obscurcit. Quand il reprit conscience, le nez comprimé contre la banquette arrière du véhicule, les saccades et le bruit d’accélération du moteur lui confirmèrent qu’il était dans la camionnette, enlevé par des inconnus.

— Alors ? demanda une voix. Vous êtes calmé ?

Couché sur la banquette, ses poignets menottés derrière le dos, Tomás tourna la tête et vit un homme à moustache noire et au teint basané qui lui souriait.

— Qu’est-ce qui se passe ? Où m’emmenez-vous ?

L’homme garda le sourire.

— Du calme. Vous allez le savoir.

— Qui êtes-vous ?

L’inconnu se pencha sur Tomás.

— Vous ne vous souvenez pas de moi ?

L’historien tenta de reconnaître des traits familiers dans ce visage, mais aucun souvenir ne lui revint.

— Non.

L’homme ricana.

— C’est normal, s’exclama-t-il. Lorsque nous nous sommes parlés, vous aviez les yeux bandés. Mais ne reconnaissez-vous pas ma voix ?

Tomás écarquilla les yeux, horrifié. Cet inconnu était l’Iranien le moins sympathique qu’il ait rencontré.

— Mon nom est Salman Kazemi et je suis colonel du VEVAK, le ministère des Informations et de la Sécurité de la République islamique de l’Iran. Rappelez-vous, nous avons eu une conversation très animée à la prison d’Evin. Vous souvenez-vous ?

Tomás s’en rappelait. C’était l’interrogateur de la police secrète, celui qui l’avait giflé et qui avait écrasé une cigarette sur son cou.

— Qu’est-ce que vous faites ici ?

— Je vous cherchais.

— Mais que me voulez-vous ?

Kazemi écarta ses grosses mains.

— Toujours la même chose.

— Quoi ? Ne me dites pas que vous êtes ici pour savoir ce que je faisais au ministère de la Science en pleine nuit ?

Le colonel ricana.

— Ça, nous l’avons compris depuis longtemps, cher professeur. Vous nous prenez pour des imbéciles ?

— Alors que voulez-vous savoir ?

— Toujours la même chose, je vous l’ai dit.

— Quoi ?

— Nous voulons connaître le secret du manuscrit d’Einstein.

Refoulant sa peur, Tomás parvint à esquisser une moue de mépris.

— Vous n’avez pas l’aptitude intellectuelle pour saisir ce secret. Ce que ce document révèle est au-delà de vos capacités.

Kazemi sourit à nouveau.

— Peut-être avez-vous raison, admit-il. Mais il y a parmi nous quelqu’un qui peut tout comprendre.

— Parmi vous ? J’en doute.

Tomás vit le colonel faire un signe vers l’avant et, pour la première fois, il s’aperçut qu’une autre personne était assise près du chauffeur. Il se concentra et reconnut les cheveux noirs, les lignes délicates du visage et les yeux mordorés qui le regardaient avec une irrépressible expression de tristesse.

— Ariana.

XXX

La chambre était sombre et froide, pourvue seulement d’une étroite fenêtre en hauteur, en verre dépoli et protégée par une grille. C’était la seule source de lumière qui éclairait cette petite pièce. Au plafond pendait une ampoule, comme une larme au bout d’un fil, mais Tomás ne l’avait pas encore vue allumée et pensa qu’elle ne le serait que le soir venu.

Baptiser « chambre » cet espace rudimentaire était sans doute abusif. Il s’agissait plutôt d’une cave, mais en l’occurrence, le terme le plus approprié était « cellule ». Tomás se trouvait enfermé dans une cellule improvisée. Il n’y avait qu’une couverture tibétaine étendue sur le sol en pierre, un seau pour les besoins et un pichet d’eau.