— Mais où se trouve cette seconde partie ?
Kazemi soupira, une pointe de découragement dans sa voix agressive.
— Je ne sais pas ! s’exclama-t-il. Dites-le-moi, vous.
— Moi ? Mais que voulez-vous que je vous dise ? Je n’ai pas la moindre idée de l’endroit où se trouve cette… cette seconde partie. D’ailleurs, jusqu’à présent, j’ignorais qu’il existait une seconde partie du manuscrit.
— Ne faites pas l’idiot, grommela l’Iranien. Ce n’est pas ce que je veux savoir.
— Alors quoi ?
— Je veux savoir ce que vous a révélé votre père.
— Mon père ? Il ne m’a rien dit.
— Voulez-vous nous faire croire que vous ne lui avez pas parlé ?
— Bien sûr que je lui ai parlé, dit Tomás. Mais pas du manuscrit d’Einstein.
— Et sur les recherches du professeur Siza ?
— Non plus. Jamais je n’ai pensé qu’il pouvait savoir quelque chose d’important sur cette affaire.
Kazemi prit un air impatient.
— Écoutez, je vous conseille de ne pas jouer au plus fin avec moi, vous entendez ?
— Je ne joue pas au plus fin avec vous. Du reste, c’est vous qui avez joué au plus fin avec moi !
— Alors que faites-vous ici ?
— Moi ? Je suis ici parce que vous m’avez séquestré, pardi ! D’ailleurs, j’exige d’être immédiatement…
— Que faites-vous ici au Tibet ? rectifia l’Iranien.
— Eh bien… J’étais sur les traces du professeur Siza, bien entendu. Il prit un air résigné. Mais puisque vous l’avez tué, je crois que j’ai ma réponse.
— Et pour quelle raison êtes-vous venu au Tibet chercher le professeur Siza ? Pourquoi le Tibet ?
Tomás hésita, se demandant ce qu’il pouvait répondre à l’homme du VEVAK.
— Parce que… parce que j’ai découvert qu’il avait des contacts au Tibet.
— Quels contacts ?
— Heu… je ne sais pas.
— Vous mentez. Quels contacts ?
— Je vous dis que je ne sais pas. J’étais ici pour le savoir.
— Et qu’allez-vous faire ?
— Moi ? Je ne ne vais plus rien faire. Que je sache, le professeur Siza est mort.
— Oui, mais où comptiez-vous le localiser ?
— J’y suis déjà allé.
— Où ?
— Au Potala, juste avant que vous m’enleviez.
— Pourquoi le Potala ?
— Parce que… j’ai trouvé chez lui une carte postale du Tibet représentant le Potala.
— Où est cette carte postale ?
— Je l’ai laissée… à Coimbra.
C’était faux, bien entendu. Il l’avait apportée au Tibet, mais heureusement elle était restée dans la chambre de Jinpa, après sa visite au temple de Jokhang, si bien que les Iraniens ne pourraient jamais y avoir accès.
— Et qui lui a envoyé cette carte postale ?
— Je ne sais pas, mentit-il une fois encore. Elle était vierge.
Le colonel le regarda d’un air déconcerté.
— Mais, alors, qu’est-ce qui vous a fait penser que cette carte postale pouvait avoir un lien avec l’endroit où se trouvait le professeur ?
— Le fait qu’elle vienne du Tibet. J’ai trouvé ça bizarre, rien de plus. Comme je ne disposais d’aucune autre piste, je n’avais rien à perdre à explorer celle-ci.
— Hum, murmura Kazemi, en s’efforçant d’assembler les pièces de ce tortueux puzzle. Je ne suis pas convaincu par votre explication. Personne n’irait dans un pays aussi éloigné et inaccessible que le Tibet sur la simple base d’une vague intuition, non ?
Le prisonnier roula les yeux d’un air las et respira profondément, comme si sa patience était enfin à bout.
— Écoutez, ne croyez-vous pas qu’il est temps de mettre fin à cette stupide mise en scène ?
— Que voulez-vous dire ?
— Vous devriez regarder la réalité en face.
L’Iranien le regarda sans comprendre.
— Comment ça ?
— Le manuscrit d’Einstein. Vous n’avez toujours pas compris qu’il n’est pas ce que vous croyez ?
— Ah, non ? Qu’est-ce que vous racontez ?
— Le manuscrit n’a rien à voir avec les armes atomiques.
— Il porte sur quoi alors ?
Tomás s’allongea sur la couverture tibétaine et posa sa tête sur ses mains jointes, comme s’il prenait le soleil sur la plage. Il ferma les paupières, engourdi par une chaleur imaginaire, et, pour la première fois, un large sourire éclaira son visage.
— Il porte sur quelque chose de bien plus important que cela.
XXXI
La couverture laissée par les Iraniens dans la cellule ne suffisait pas pour le protéger du froid glacial qui s’était brutalement installé pendant la nuit. Tomás se pelotonna autant que possible, mais rien ne pouvait compenser le froid qui le faisait trembler malgré lui.
Comprenant qu’il ne réussirait pas à s’endormir, le prisonnier se mit à faire des flexions avec ses bras, puis avec ses jambes ; un effort désespéré pour générer plus de chaleur et qui se révéla partiellement efficace. Se sentant réchauffé, il se recoucha et, blotti sous la couverture, essaya de s’endormir. Mais, au bout de quelques minutes, le froid l’assaillit à nouveau et Tomás prit conscience qu’il ne pourrait pas trouver le sommeil ; à chaque fois que le froid le saisirait, il serait obligé de refaire des flexions, c’était le seul moyen pour tenir toute la nuit. Patience, s’intima-t-il. Il dormirait après le lever du soleil, quand la claire lumière du jour réchaufferait sa cellule. Mais les Iraniens reviendraient sans doute à ce moment-là et une nouvelle séance d’interrogatoire ne lui semblait pas la meilleure façon de récupérer une nuit blanche.
Un mouvement de clé dans la serrure surprit Tomás. Il n’avait pas entendu de bruit de pas, comme si quelqu’un s’était approché furtivement.
La porte s’ouvrit et Tomás leva la tête, cherchant à identifier le visiteur. Mais il était plongé dans l’ombre et l’inconnu n’avait pas de lampe.
— Qui est-ce ? demanda-t-il, assis sur la couverture tibétaine.
— Chut !
Un son émis dans un souffle précipité, mais sur un ton doux et familier. Il pencha la tête, écarquilla les yeux afin de discerner le moindre détail.
— Ariana ?
— Oui, chuchota la voix féminine. Ne faites pas de bruit.
— Que se passe-t-il ?
— Ne faites pas de bruit, implora-t-elle. Venez avec moi, je vais vous sortir d’ici.
Tomás ne se fit pas prier. D’un bond, il se leva et observa la silhouette avec attention.
— Et les autres ?
Il sentit le doux contact de la main d’Ariana.
— Chut. Suivez-moi en silence.
La main chaude d’Ariana serra la sienne et le conduisit vers la porte. Le prisonnier se laissa guider dans l’obscurité, tous deux marchaient à pas lents, presque à tâtons. Ils grimpèrent un escalier, traversèrent une cour, s’engagèrent dans un couloir chauffé et sortirent par une porte dérobée.
Tomás sentit l’air froid de la nuit frapper son visage et aperçut enfin de la lumière. Un lampadaire public dégageait une lumière jaunâtre qui laissait deviner les contours de la route, de la végétation alentour et d’un 4x4 sombre. Ils étaient à l’air libre. Ariana le prit par la main. Elle débloqua l’ouverture des portes et fit signe à Tomás de monter.