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Sa femme remua sur sa chaise.

— Le docteur Assis m’a ensuite téléphoné pour me demander d’aller le voir, dit Graça. Quand je suis arrivée là-bas, il m’a annoncé ce que le docteur Gouveia nous avait déjà révélé. Il a déclaré que ton père avait une… enfin, cette maladie, mais il ne savait pas s’il devait le lui dire.

Le mathématicien fit un geste de résignation.

— Si bien que je me suis rendu à l’évidence et je suis retourné chez le docteur Gouveia. Il m’a expliqué que mon problème s’appelle… c’est un nom bizarre, carcinome-quelque-chose. Il s’agit d’un cancer du poumon sans petites cellules.

— C’est à cause du tabac, maugréa sa femme. Le docteur Gouveia a dit que quatre-vingt-dix pour cent des cancers du poumon sont dus à la cigarette. Or, ton père fumait comme un pompier ! Elle leva un doigt réprobateur. Combien de fois lui ai-je répété : Manuel, tu devrais arrêter de…

— Attends, un peu, maman, interrompit Tomás, ébranlé par la nouvelle. Il regarda son père. Ça se soigne, n’est-ce pas ?

Presque en guise de réponse, Manuel Noronha toussa.

— Le docteur Gouveia dit qu’il existe plusieurs traitements pour combattre ce problème. Il y a la chirurgie, pour résoudre le carcinome, et il y a aussi la chimiothérapie et la radiothérapie.

— Et lequel vas-tu suivre ?

Il y eut un court silence.

— Dans mon cas, dit enfin le père, il y a deux complications qui, selon le docteur Gouveia, sont très courantes dans ce type de cancer.

— Lesquelles ?

— Mon cancer a été dépisté un peu tard. Il semblerait, concernant le cancer du poumon, que ça arrive dans soixante-cinq pour cent des cas. Diagnostique tardif, répondit-il en toussant. La seconde complication découle de la première. Comme la maladie n’a pas été détectée à temps, elle s’est étendue sur d’autres parties du corps. Des métastases se sont formées dans les os et le cerveau, et le docteur Gouveia affirme qu’il est normal qu’elles envahissent aussi le foie.

Tomás se sentit paralysé, les yeux fixés sur son père.

— Mon Dieu ! s’exclama-t-il. Et quel est le traitement ?

— La chirurgie est exclue. Les tumeurs se sont disséminées, si bien que mon cas est inopérable. La chimiothérapie n’est pas plus envisageable, car elle n’est efficace que dans le cas du cancer à petites cellules. Moi j’ai l’autre qui est, semble-t-il, le type de cancer du poumon le plus fréquent.

— Si tu ne peux pas être opéré ni suivre une chimiothérapie, que vas-tu faire ?

— Une radiothérapie.

— Et ça va te guérir ?

— Le docteur Gouveia dit que j’ai des chances de m’en sortir, car à mon âge l’évolution de la maladie n’est pas très rapide, et qu’il me faut vivre avec comme s’il s’agissait d’une affection chronique.

— Ah.

— Mais j’ai lu beaucoup de choses sur le sujet et je doute qu’il ait été tout à fait sincère avec moi.

Sa femme s’agita sur son siège, agacée par cette observation.

— Quelle absurdité ! protesta-t-elle. Bien sûr qu’il a été sincère !

Le mathématicien regarda sa femme.

— Graça, on ne va pas recommencer à se disputer, d’accord ?

Graça se tourna vers son fils, à présent c’était elle qui cherchait un allié.

— Tu as vu ça ? Le voilà persuadé qu’il va mourir !

— Ce n’est pas ça, argumenta le mari. J’ai lu certaines choses et j’ai compris que l’objectif de la radiothérapie n’était pas de guérir, mais seulement de retarder l’évolution de la maladie.

— Retarder ? demanda le fils. Comment ça, retarder ?

— Retarder. Rendre l’évolution plus lente.

— Combien de temps ?

— Je n’en sais rien ! Dans mon cas, ça peut être un mois, comme un an, je n’en ai aucune idée. J’espère en avoir encore pour vingt, dit-il le regard brouillé. Mais je n’ai peut-être plus qu’un mois à vivre, je ne sais pas.

Tomás sentit le sol se dérober sous ses pieds.

— Un mois ?

— Doux Jésus, quelle manie ! protesta Graça. Voilà ton père qui recommence à tout dramatiser…

Le vieux professeur de mathématiques eut un accès de toux. Il se remit péniblement, respira profondément, et ses yeux humides fixèrent les yeux verts de son fils.

— Tomás, je vais mourir.

III

La sécurité à l’entrée du périmètre de l’ambassade des États-Unis, un bâtiment niché dans un coin verdoyant de Sete Rios, atteignait des proportions ridicules. Tomás Noronha dut passer par deux cordons de policiers et être fouillé deux fois, avant de franchir un système de détection de métaux et de mettre son œil dans un petit appareil biométrique conçu pour identifier les suspects par la reconnaissance de l’iris ; sans parler du miroir que les agents de sécurité glissèrent sous sa Volkswagen bleue, afin de repérer quelque éventuel explosif placé dans la voiture. Il savait que depuis le 11 Septembre les mesures de protection à l’entrée de l’ambassade avaient été renforcées, mais il ne s’attendait pas à ça ; voilà très longtemps qu’il n’avait pas mis les pieds dans ce lieu et jamais il n’aurait imaginé que l’accès au périmètre diplomatique se fût transformé en une telle course d’obstacles.

Le sourire radieux de Greg Sullivan l’accueillit à la porte de l’ambassade. L’attaché culturel était un homme de 30 ans, aux cheveux blonds et aux yeux bleus, tiré à quatre épingles et de belle prestance, avec des gestes calmes et une vague allure de mormon. L’Américain le conduisit à travers les couloirs de l’ambassade et l’introduisit dans une pièce lumineuse, dont la large fenêtre donnait sur un joli jardin. Un jeune homme en chemise blanche et en cravate rouge se trouvait assis devant une longue table en acajou, son attention fixée sur un ordinateur portable ; il se leva lorsque Sullivan entra avec son invité.

— Don, annonça-t-il. Voici le professeur Tomás Noronha.

— Enchanté.

Les deux hommes se saluèrent.

— Voici Don Snyder, dit-il, toujours en anglais, en présentant le jeune homme, dont le visage particulièrement pâle contrastait avec ses cheveux noirs et lisses.

Tous les trois s’assirent, et l’attaché culturel continua à diriger les opérations comme s’il était un maître de cérémonie confirmé. Sullivan parlait fort, sans quitter Tomás des yeux, manifestant à l’évidence que ses paroles s’adressaient exclusivement au Portugais.

— Cette conversation est strictement confidentielle. Tout ce qui sera dit ici doit rester entre nous. Est-ce bien clair ?

— Oui.

Sullivan se frotta les mains.

— Très bien, s’exclama-t-il. Il se retourna. Don, nous pouvons peut-être commencer ?

— OK, approuva Don, en retroussant les manches de sa chemise. Monsieur Norona, comme…

— Noronha, corrigea Tomás.

— Norona ?

— Laissez tomber, sourit l’historien, en se rendant compte que l’Américain ne pourrait jamais prononcer son nom correctement. Appelez-moi Tom.

— Ah, Tom ! répéta le jeune homme aux cheveux noirs, ravi d’articuler un nom plus familier. Très bien, Tom. Comme Greg vous l’a dit, je m’appelle Don Snyder. Ce qu’il ne vous a pas précisé, c’est que je travaille pour la CIA à Langley, où je suis agent de contre-terrorisme, intégré dans un service appartenant à la Directorate of Operations, une des quatre directions de l’agence.