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— C’est la Bible.

— Plus exactement le début de l’Ancien Testament, la Genèse. Il reposa le volume. Toute cette partie du texte a énormément intéressé Einstein, pour une raison particulière. Cet extrait fondamental coïncide, dans ses grandes lignes, avec l’idée du Big Bang. Il s’éclaircit la voix. Il faut comprendre qu’en 1951, le concept d’un univers ayant commencé par une grande explosion n’était pas encore vraiment admis par les scientifiques. Le Big Bang n’était qu’une hypothèse parmi d’autres, au même titre que celle de l’univers éternel. Mais Einstein avait plusieurs raisons de pencher vers l’hypothèse du Big Bang. D’un côté, la découverte de Hubble selon laquelle les galaxies s’éloignaient les unes des autres, indiquait que celles-ci devaient auparavant se trouver unies, comme si elles étaient parties d’un même point. D’un autre côté, il y avait le paradoxe d’Olber, qui n’est résoluble que si l’univers n’est pas éternel. Un troisième indice était la seconde loi de thermodynamique, qui établit que l’univers évolue vers l’entropie, laissant ainsi supposer qu’il y a eu un moment initial d’organisation et d’énergie maximum. Et, pour finir, ses propres théories de la relativité, qui reposent sur l’hypothèse que l’univers est dynamique, étant soit en expansion, soit en rétraction. Or, le Big Bang cadrait avec le scénario de l’expansion. Il fit une moue avec sa bouche. Il restait, bien sûr, le problème de savoir quel était cet élément qui contrecarrait la rétraction provoquée par la gravité. Pour le résoudre, Einstein a postulé l’existence d’une énergie inconnue, qu’il a nommée « constante cosmologique ». Plus tard, il a lui-même rejeté une telle possibilité, en disant que cette idée avait été la plus grosse erreur de sa vie, mais on suppose aujourd’hui qu’Einstein avait finalement raison et qu’il y a, de fait, une énergie inconnue qui contrarie la gravité et qui provoque l’expansion accélérée de l’univers. Au lieu de l’appeler « constante cosmologique », on la nomme maintenant « énergie obscure ». Il observa ses deux interlocuteurs. Vous suivez mon raisonnement ?

— Oui.

— Très bien, s’exclama-t-il, satisfait. Einstein cherchait à déterminer s’il y avait une vérité cachée dans la Bible. Il ne recherchait pas des vérités métaphoriques ni morales, mais des vérités scientifiques. Était-il possible de les trouver dans l’Ancien Testament ? Tenzing s’arrêta, comme s’il attendait une réponse à sa question. Mais personne ne parla et le Bodhisattva poursuivit son exposé. Naturellement, une grande difficulté se posait dès la Genèse. Les premiers versets de la Bible établissent, sans l’ombre d’un doute, que l’univers a été créé en six jours. Six jours seulement. Or, d’un point de vue scientifique, c’est absurde. Bien sûr, on pouvait dire que tout le texte était métaphorique, que Dieu parlait en vérité de six périodes, que ceci et cela, mais Einstein pensait que ce n’était là qu’une façon d’esquiver la question. Une astuce pour faire en sorte que la Bible ait toujours raison, à n’importe quel prix. Le problème demeurait. La Bible disait que l’univers avait été créé en six jours. Ce qui était une erreur évidente. Il fit une pause. Ou bien ne l’était-ce pas ? Les yeux du vieux bouddhiste se tournèrent vers l’un puis vers l’autre. Qu’en pensez-vous ?

Ariana remua sur son coussin.

— Étant musulmane, je ne voudrais pas contredire l’Ancien Testament, que l’islam reconnaît. En tant que scientifique, je ne pourrais pas le confirmer, dès lors que la création de l’univers en six jours constitue une évidente impossibilité.

Le Bodhisattva sourit.

— Je comprends votre position, dit-il. N’oubliez pas qu’Einstein, bien qu’étant juif, n’était pas un homme religieux. Il croyait que quelque chose de transcendant pouvait se trouver derrière l’univers, mais ce quelque chose n’était certainement pas le Dieu qui ordonna à Abraham de tuer son fils pour être sûr qu’il Lui était fidèle. Einstein croyait en une harmonie transcendante, pas en un pouvoir mesquin. Il croyait en une force universelle, pas en une divinité anthropomorphique. Mais était-il possible de la trouver dans la Bible ? Plus il examinait les écritures sacrées hébraïques, plus il était convaincu que la réponse se cachait quelque part dans la Genèse, et en particulier dans la question des six jours de la Création. Était-il possible de tout créer en six jours ?

— Qu’entendez-vous par « tout » ? demanda Ariana. Les calculs relatifs au Big Bang affirment que toute la matière a été créée dans les premières fractions de seconde. Avant que la première seconde se soit écoulée, l’univers s’était déjà étendu sur des millions de kilomètres et la super-force s’était fragmentée en force de gravité, en force forte et en force électrofaible.

— Par le mot « tout », j’entends la lumière, les étoiles, la terre, les plantes, les animaux et l’homme. La Bible dit que l’homme fut créé le sixième jour.

— Et ça n’est pas possible.

— C’est ce qu’Einstein a pensé. La création de « tout » en six jours n’était pas possible. Mais, en dépit de cette conclusion préliminaire, il nous a réunis, le jésuite et moi, et nous a demandé de nous vider l’esprit et de partir du principe que c’était possible. Comment résoudre le problème ? Il allait de soi que le nœud de la question résidait dans la définition des six jours. Qu’étaient ces six jours ? Cette interrogation a mis Einstein sur une piste. Il s’est penché sur le sujet et nous a entraînés dans une recherche hors du commun. Tenzing secoua la tête. Quel dommage que je ne dispose pas ici d’un exemplaire du manuscrit qu’il a rédigé. C’est quelque chose qui me semble…

— Je l’ai lu, interrompit l’Iranienne.

Le vieux Tibétain s’arrêta de parler et fronça le sourcil.

— Vous l’avez lu ?

— Oui. Je l’ai lu.

— Vous avez lu le manuscrit intitulé Die Gottesformel ?

— Oui.

— Mais comment ?

— C’est une longue histoire, répondit-elle. Mais je l’ai lu. C’est le professeur Siza qui détenait le document.

— Augusto vous a permis de le lire ?

— Oui… Il me l’a permis. Comme je vous le disais, c’est une longue histoire.

Tenzing garda son œil fixé sur elle, inquisiteur.

— Et qu’en avez-vous pensé ?

— Eh bien, comment dire… C’est un document surprenant. On s’attendait à ce qu’il renferme la formule de fabrication d’une bombe atomique facile à concevoir, mais le contenu du texte nous a laissés… disons, perplexes. Il y avait des équations et des calculs, comme on pouvait s’y attendre, mais tout semblait brouillé, sans signification claire ni direction définie.

Le Bodhisattva sourit.

— C’est normal qu’il vous ait donné cette impression. Ce manuscrit a été conçu pour n’être compris que par des initiés.

— Ah, bon, s’exclama Ariana. Vous savez, on s’est demandé s’il n’y avait pas un second manuscrit…

— Quel second manuscrit ?

— Il n’existe pas de second manuscrit ?

— Bien sûr que non. Il sourit. J’admets que ce document, par sa forme tortueuse, puisse créer cette illusion. Mais c’est qu’en réalité, le texte a subi un subtil cryptage. Le message a été dissimulé de telle manière que personne ne puisse en soupçonner l’existence.