Выбрать главу

— Non, non ! protesta John.

— Comme vous voudrez !

Elle remit la pièce en place.

— Enjeu à six cent quarante, murmura-t-elle en lançant.

— Pile ! hurlèrent les clients.

Clay retint un soupir de soulagement.

— Six cent quarante moins trois cent trente, cela fait trois cent dix au profit de Clay, dit Jonas. C'est, ma foi, passionnant.

Clay fit une fervente et brève prière pour que son adversaire arrêtât là le tournoi. Il commençait à avoir sérieusement peur. Il comprenait pourquoi le gros Jonas n’avait pas voulu marcher. Le prochain coup portait la cote à douze cent quatre-vingt dollars ! C'était un fameux morceau, s’il perdait… Des chiffres tournoyaient dans sa tête comme dans le mécanisme d’une caisse enregistreuse. Douze cent quatre-vingt moins trois cent dix, cela faisait neuf cent soixante-dix papiers à lâcher, s’il ratait ce coup-ci.

Il jeta.

— Face !

C'était Jonas qui venait d'annoncer le résultat ; les autres étaient trop émus pour pouvoir parler.

Clay eut un vertige. Mille dollars ! Il venait de paumer un millier de dollars comme un crétin.

La fille de Masure avait un drôle d’empire sur elle-même, car elle conservait un calme absolument parfait.

— Vous arrêtez, je suppose ? demanda-t-elle d’un ton méprisant.

Clay n’eut pas même une hésitation.

— Non, pourquoi ? demanda-t-il.

Elle le regarda en souriant.

— Mais parce que nous allons maintenant vers un enjeu de… Attendez, de…

— De deux mille cinq cent soixante dollars, fit Jonas.

— Continuons, fit Clay.

Il mit tout son être dans le regard qu’il lança au dollar d’argent lorsque celui-ci atterrit une fois de plus sur le tapis vert de la table de jeu.

— Face !

Le mot lui martela le cerveau. « Face ! » Il avait perdu plus de trois mille dollars. « Face ! » Cela voulait dire trois mille cinq cent trente dollars à lâcher… Soit sa solde de plusieurs mois.

Il n’y avait qu’une façon de s’en sortir. Il se força à paraître désinvolte.

— Je risque le coup une dernière fois, dit-il.

Il y eut un murmure d’approbation… La sympathie générale lui était acquise. Il risquait gros et la foule chérit ceux qui risquent gros.

… Ce fut face.

La jeune fille saisit le dollar et le rendit à son possesseur.

— C'est un très joli souvenir pour moi aussi, déclara-t-elle.

Et, se tournant vers Clay :

— Je ne puis dire que je regrette, fit-elle, ce serait mentir. Laissez-moi vous dire que vous avez été très bien, très sport… Laissez-moi vous dire aussi que vous me devez la gentille somme de huit mille six cent cinquante dollars. Pour une fois, c’est moi qui ramènerai du fric à la maison !

Clay se dit qu’il devait transpirer à grosses gouttes. Il sentait les perles de sueur suinter sur les ailes de son nez. Il n’osait les essuyer de peur de les faire remarquer. Il sortit son chéquier de sa poche.

— À quel nom ? demanda-t-il d’une voix pâle.

— Gloria, dit la jeune fille. Gloria Masure.

Il libella le chèque, le signa mollement et le tendit à Gloria. Elle le prit et, pour hâter le séchage de l’encre, s’en éventa doucement le visage.

CHAPITRE II

— Et maintenant, Jonas, dit-elle, faites servir un champagne général pour arroser ça.

Clay trempa ses lèvres sans la moindre allégresse dans sa coupe pétillante. Le champagne, bien que ce fût du français de première qualité, lui paraissait avoir un goût de vinaigre. Il lui coûtait cher.

Il se dit que ça allait barder pour lui lorsqu’on saurait qu’il avait signé un chèque sans provisions. Le gros Ox ne badinait pas avec l’honnêteté, la probité, toute la séquelle des bons sentiments. Il serait liquidé avec pertes et fracas, ce qui n’exclurait pas les poursuites pénales. Quelle idée avait-il eue de pénétrer dans cette taule ! Et quelle mouche l’avait piqué pour se conduire de façon aussi stupide, simplement pour les beaux yeux d’une donzelle ! Pour lui montrer qu’il n’était pas un dégonflé !

— Vous semblez tout rêveur, lui dit Gloria…

Il sursauta.

— Moi ? Pas du tout !

— Vous me raccompagnez ?

— C'est que… Je n'ai pas ma bagnole….

— Bon, en ce cas, c’est moi qui vous raccompagne car j’ai la mienne.

Il eut un mouvement pour refuser, tant il avait besoin de fuir ce lieu de perdition et les gens qui y stagnaient. Mais il pensa qu’en faisant un coup de charme à sa partenaire, pour peu qu’il sût se débrouiller, il pourrait peut-être récupérer son chèque. Oui, ça valait le coup d’essayer.

— D’accord, dit-il.

Il serra la main moite de Jonas. Le gros taulier lui fit un clin d’œil polisson signifiant quelque chose comme : « Tu vas en prendre pour ton argent, mon gaillard… » Clay se renfrogna. Il se dirigea vers la sortie, prit son vestiaire et s’effaça pour laisser passer Gloria Masure.

— Ma voiture est à deux pas, fit celle-ci.

La pluie s’était arrêtée. Une odeur de mouillé subsistait dans l’air nocturne.

— Venez, fit-elle en ouvrant la porte d’une superbe Nash couverte de chromes.

Il s’installa à ses côtés. Un parfum discret, celui de la jeune femme, mais alourdi par l’atmosphère feutrée de l’auto, flottait à l’intérieur du véhicule.

Ce parfum chavira le policier qui n’avait pas l’habitude de ce luxe.

Il réprima un sourire. Il venait de se fabriquer pas mal d’emmerdements, mais, tout de même, une aventure pareille valait d’être vécue.

— Où allez-vous ? demanda-t-elle.

— En principe, au bureau central de police, répondit-il. À moins que vous n’ayez un itinéraire plus gai à me proposer ?

— C'est vrai que vous êtes flic, dit-elle.

— Il en faut, grommela Clay.

— On est bien payé, dans la police ? demanda Gloria.

— Assez pour que le gouvernement puisse recruter du monde, vous voyez.

— Ma question est idiote, murmura-t-elle. J’aurais dû me douter que ça marchait, puisque vous pouvez vous permettre des fantaisies comme celle de ce soir…

Il se mordit les lèvres et ne répondit pas.

— Vous devez passer à votre bureau, ce soir ?

— Oui…

— À quelle heure ?

— Je ne marche pas à la pendule.

— Un tour au Park, ça vous va ?

— Ça me va.

— O.K… Allons-y.

Elle conduisait vite, mais très bien. Ils n’échangèrent pas une parole en cours de route.

La pluie avait chassé les promeneurs et découragé les amoureux. Les allées du Park étaient aussi désertes qu’un bureau d’embauche mexicain.

Une fois sous la voûte des feuillages, Gloria ralentit et baissa la vitre.

— Il fait bon, hein ? dit-elle.

— Au poil, admit Clay.

— On stoppe, histoire de respirer un peu ?

— Bonne idée !

Elle se rangea en bordure de l’allée, éteignit ses phares. Un silence pesant s’abattit sur eux. Ils éprouvèrent une gêne sournoise.

Clay avança sa main sur le dossier du siège, la posa sur l’épaule de sa voisine. Gloria ne broncha pas. Alors il l’attira contre lui et elle ne fit rien pour lui dérober ses lèvres. Leur baiser se prolongea terriblement. Clay crut qu’il allait s’asphyxier.