— Raisonnement excellent. J’imagine toutefois qu’il existe, dans Paris, plus d’un petit homme brun.
— Sans doute, mais il n’y a qu’une femme à Paris portant, à l’annulaire gauche, une petite bague d’or sur laquelle sont montées trois roses de diamant alors qu’il y a sur sa bague un alvéole pour en mettre une quatrième. Précisément la petite rose que j’ai trouvée sur le lieu de l’attentat. Eh bien, j’ai découvert que la femme qui porte cette bague n’est autre que Nadia, l’ancienne maîtresse de Sunds, la femme actuelle de Mario Isolino. Tu vois, Fandor, que le doute n’est pas permis, et combien l’arrestation que je médite est justifiée. J’ajoute que je vais certainement faire coup double en arrêtant les auteurs du vol du tableau de Rembrandt effectué la nuit dernière au palais de Bagatelle.
— Espérons-le, fit Fandor, bien que ce vol me paraisse avoir été fait avec une audace telle et une habileté si grande que seul Fantômas peut en être capable.
Juve hocha la tête :
— Il faudra voir à débrouiller tout cela. En effet, Fantômas, comme tu le dis, doit être pour quelque chose dans toutes ces affaires, mais j’imagine qu’il fait agir en sous-main une bande d’individus que nous ne réussirons à faire parler que lorsque les principaux coupables seront sous les verrous.
— Juve, il faudrait encore savoir quel est l’homme qui s’est introduit chez vous pour y dérober les papiers d’Hélène, précisément la nuit où nous étions à Ville-d’Avray.
— Fandor, continua Juve, il faudrait savoir aussi quel est le mystérieux habitant ou, tout au moins, la personne tragique qui a élu domicile dans la maison de Ville-d’Avray.
— Pourquoi me regardez-vous ?
— Parce que, Fandor, je me méfie malgré tout de celle que tu aimes. Hélène est très suspecte.
— Hélène est incapable…
Mais Juve l’interrompit :
— Hélène est capable de bien des choses, assura-t-il, du moment qu’il s’agit de sauver son père.
Hélas, le journaliste en était trop convaincu lui aussi, pour contredire sur ce point le policier. Il détourna la conversation et déclara :
— Moi, Juve, je me méfie de cet étranger, de cet Érick Sunds, qui exerce tous les métiers. Marchand d’objets d’art vrais ou faux, fabricant de copies, peintre, modeleur, sculpteur. Souvenez-vous, Juve, de ce masque si merveilleusement fait que portait sur son visage l’homme qui est venu cambrioler chez vous.
— Je n’oublie pas, déclara Juve. Je pense aux attitudes énigmatiques de cette Sarah Gordon et de son amoureux, Dick, l’acteur.
Lorsque le fiacre qui transportait Juve et Fandor atteignit enfin le sommet de la rue Lepic, les agents arrivés par l’autobus attendaient leur chef depuis quelques instants déjà. Le journaliste et le policier étaient d’accord. Fantômas y était pour quelque chose.
***
— Qu’est-ce que tu prends dans ton café ?
— Un peu d’eau-de-vie, ma délicieuse Nadia.
La Circassienne alla prendre dans un placard une bouteille d’alcool et en versa une copieuse rasade dans la tasse à moitié pleine de son amant.
Mario Isolino la récompensa d’une caresse, puis tous deux, assis sur un petit canapé devant une table, burent tranquillement.
Il était neuf heures du soir. L’Italien et sa maîtresse étaient chez eux, rue Girardon.
Certes, leur installation était plus que modeste et le mobilier rare dans l’appartement. On se rendait compte que le couple ne devait pas rouler sur l’or et, qu’à maintes reprises, on avait dû descendre une chaise, un meuble, un objet, pour le porter soit chez le revendeur, soit au Mont-de-Piété.
Isolino, cependant, ne paraissait pas autrement préoccupé. Tout en sirotant son café mêlé d’alcool, il fumait un long cigare et faisait des projets d’avenir :
— Tou verras, Nadia, disait-il, que nous serons riches un jour. Io médite un coup qui nous rapportera gros.
— Les coups que tu médites, dit Nadia, ne nous réussissent guère. Rappelle-toi l’aventure de Ville-d’Avray. Je crois que si nous nous mettions à travailler l’un et l’autre, nous aurions chance de mener une existence plus tranquille.
Isolino haussa les épaules :
— Le travail, c’est de la blague ! On se fatigue toute une semaine, pourquoi ? Pour amasser une misère que l’on dépense le dimanche, encore lorsqu’elle n’est pas dépensée d’avance. Non jamais. Ça ne vaut pas la peine. Mais que fais-tu donc ?
Nadia s’était levée, attirée du côté de la fenêtre par un bruit insolite.
Elle se pencha, regarda quelques instants, puis elle revint vers son amant :
— Il y a une quantité de gens dans la cour. Je me demande ce qu’ils veulent.
Isolino ne se dérangea pas.
— T’occupe pas des affaires des autres.
Mais, au moment où il faisait cette recommandation, l’Italien s’inquiéta à son tour. Il avait entendu marcher dans le couloir au fond duquel se trouvait l’entrée de son logis, et, au même instant, un coup sec était frappé à la porte.
— Qui va là ?
— Ouvrez !
Isolino et Nadia se regardèrent.
— Mon Dieu, commença la Circassienne, pourvu que…
Une poussée brusque, donnée contre la porte, avait fait sauter la serrure et, dans la pièce, trois hommes s’introduisaient. L’un d’eux braquait un revolver sur Mario Isolino, un autre, d’un geste rapide, s’élançait sur Nadia qu’il maintint solidement. Le troisième prit la parole et interrogea :
— Vous êtes bien l’Italien Mario Isolino ?
— Oui, signor.
— Bien, moi, je suis l’inspecteur de la Sûreté Michel, et je vous mets en état d’arrestation.
Michel passa les menottes à Mario Isolino, puis il dit à l’homme qui était entré le premier, le revolver au poing :
— Boucle aussi la femme, et en route pour le poste.
Le premier mouvement de stupeur passé, Mario Isolino se ressaisit et avec beaucoup d’aplomb essaya de protester :
— Mais c’est oune infamie, cria-t-il, ou alors oune erreur judiciaire ? Vous vous trompez, messieurs, io suis innocent, absolument innocent ! Vous avez violé mon domicile, c’est indigne et io refuse de vous obéir !
Michel, brutalement, le poussa vers la sortie.
— Allons, allons, pas de rouspétance, ordonna-t-il, ou sans cela nous allons te passer à tabac.
Cette menace produisit son effet. Mario Isolino se tut subitement et se laissa entraîner.
On descendit rapidement l’escalier. L’Italien fut stupéfait en voyant que la cour de l’immeuble était pleine de monde et que, en outre, aux fenêtres, beaucoup de gens apparaissaient.
« Mâtin, pensa-t-il non sans un certain orgueil, faut-il qu’ils aient eu peur de moi pour avoir mobilisé toutes ces forces de police ! »
Il n’était pourtant pas bien terrifiant à voir, l’infortuné Mario Isolino. Il avait beau essayer de faire le matamore, il courbait la tête, surtout il baissait les yeux.
Nadia, elle, était effondrée. Elle balbutia des paroles incompréhensibles, cependant que des fenêtres voisines, les femmes qui avaient assisté à l’arrestation l’insultaient de tout leur vocabulaire imagé.
— Excellent débarras, criait-on, que ces mangeurs de macaroni qui ne sont bons qu’à faire de mauvais coups.
On les entraîna jusqu’au poste de police. On fit entrer Mario dans le cabinet du commissaire. Il y était depuis quelques instants gardé à vue par deux inspecteurs, lorsqu’un homme entra dans la pièce.
En l’apercevant Mario Isolino tressaillit. Résolu toutefois à dissimuler ses craintes, il s’écria de son ton le plus aimable :
— Ah par exemple, monsieur Juve ! Io suis bien content de vous voir. J’espère que vous allez me tirer d’affaire ?
Juve fronça les sourcils :
— Nous verrons, dit-il, mais en attendant tu vas te mettre à table ! Mario Isolino, il s’agit de manger le morceau et de me raconter tout ce qui s’est passé. Voyons d’abord, raconte-moi en détails ton agression manquée de Ville-d’Avray.
Les paroles de Juve plongèrent Isolino dans un trouble extrême. Il se sentit découvert, perdu et il n’hésita pas longtemps. Après tout, puisqu’il était pris, autant dire la vérité. D’ailleurs il ne risquait pas grand-chose puisque en somme son attentat n’avait pas réussi.