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Mario Isolino avoua, mais il n’oublia pas de dire à Juve les circonstances aussi fortuites que mystérieuses qui avaient fait qu’au moment où il allait dépouiller le bâtonnier de son portefeuille, une femme avait surgi, lui jetant du poivre dans les yeux.

Juve félicita Mario Isolino de sa franchise, et continua sur un ton plus doux :

— Maintenant, mon petit, il faut me raconter en détails l’histoire du tableau de Bagatelle.

Isolino ouvrit des yeux absolument stupéfaits :

— Io ne sais pas ce que vous voulez dire, commença-t-il.

Juve s’attendait à cette réponse. Il ne s’énerva point, mais précisa à son interlocuteur les détails du vol dont il le soupçonnait.

Mario Isolino, qui avait si spontanément avoué l’agression de Ville-d’Avray, protesta alors avec la plus grande énergie contre l’accusation dont il était l’objet.

— Sur la Madone ! hurla-t-il. Io vous jure, monsieur Juve, que z’ignore tout de cette histoire, et que io ne sais rien du vol de ce tableau !

La conversation se prolongea pendant une heure encore. Juve n’était pas plus avancé, il avait toutefois acquis la quasi-certitude que, comme l’affirmait Mario Isolino, l’Italien n’était pour rien dans la disparition du Rembrandt d’Henri Faramont.

***

Fandor, qui cependant était venu à Montmartre avec Juve, ne l’avait pas suivi jusqu’au poste.

Fandor avait perdu les traces de son ami alors qu’il se mêlait à la foule amassée rue Girardon, devant l’immeuble dans lequel on avait arrêté Mario Isolino et sa maîtresse.

Cela avait peu d’importance. Fandor savait mieux que personne à quel commissariat on allait les conduire.

Mais le journaliste, brusquement, avait quitté la foule, et obliquant sur la gauche, au lieu de descendre la rue Lepic avec les agents qui emmenaient les prisonniers, il était remonté vers Montmartre.

Fandor venait d’éprouver une violente émotion et il suivait, sentant son cœur battre à coups précipités dans sa poitrine, un homme et une femme, qui semblaient s’en aller précipitamment, s’enfuir, ou tout comme, en essayant de se dissimuler dans l’ombre, en rasant les murs des maisons.

— Il n’y a pas de doute, c’est elle, c’est lui ! murmura Fandor.

Il ne désespérait pas de rejoindre les fugitifs lorsque quelqu’un, soudain, se jeta pour ainsi dire sur lui.

Fandor allait écarter cet importun d’un geste brutal. Mais il ne le fit point. L’individu qui s’était planté devant lui était Bouzille.

— Tiens bonjour ! criait le chemineau. J’ai justement quelque chose à vous dire.

— Quoi ? dépêche-toi !

Bouzille cependant s’accrochait à son bras. Il déclara mystérieusement :

— Vous savez que j’ai revu M lle Hélène ? Elle est toujours gentille votre amoureuse.

— Son adresse ? Dis-moi vite où elle demeure, je n’ai pas de temps à perdre pour écouter tes bavardages.

— Ah monsieur Fandor, murmura Bouzille, que vous êtes peu aimable, ce soir !

— L’adresse d’Hélène ? poursuivait le journaliste en crispant ses doigts sur le bras du chemineau.

— Aïe ! hurla celui-ci. Mais vous me faites un mal de chien ! Je ne la connais pas, moi, son adresse. Je vous l’ai toujours dit, je suis un homme discret, moi. J’ose pas demander aux jolies femmes où c’est qu’elles demeurent.

Une violente poussée envoya Bouzille rouler dans le ruisseau.

C’était Fandor qui l’avait ainsi précipité.

— Imbécile ! cria-t-il.

Puis le journaliste courut à toute allure pour rattraper le couple qui l’avait distancé.

Bouzille restait par terre, se frottant les côtes :

— Eh bien, grognait-il, j’en ai de la guigne aujourd’hui. Des coups de poing au lieu d’argent. Et moi qui comptais toucher les cinquante balles que m’avait promis M. Fandor si je lui donnais des nouvelles d’Hélène. Rendez donc service aux amis.

Et sur cette réflexion philosophique, Bouzille qui s’était relevé, huma l’air autour de lui :

— Je crois, fit-il, que ça sent le cidre par ici ! Doit y avoir un bistro pas bien loin.

Et il ajouta moitié riant, moitié geignant :

— Allons, mon vieux Bouzille, prends-toi par la main, et amène-toi jusqu’au comptoir, histoire de te consoler en lichant un demi-setier.

***

Fandor arrivait rue Ravignan, juste au moment où il voyait le couple qu’il avait suivi, puis perdu de vue par la faute de Bouzille, s’introduire dans une maison de modeste apparence. Le journaliste n’hésita pas, il s’élança dans le couloir obscur et monta les étages derrière ceux qu’il poursuivait.

Il entendit leurs pas dans l’obscurité, il les suivit sans se préoccuper de savoir ce qui allait lui advenir.

Ceux qui le précédaient se sentaient surveillés évidemment, car ils pressaient l’allure, et ils parvinrent ainsi au quatrième en trombe.

Une porte s’ouvrit et elle allait se refermer au nez de Fandor, mais celui-ci s’interposa et pénétra dans la pièce.

Elle était éclairée par une petite lampe. Deux cris retentirent :

— Fandor !

— Hélène !

Le journaliste était en face de la fille de Fantômas.

— Je ne m’étais pas trompé, soupira-t-il.

Cependant Fandor regardait autour d’eux et constatait que la jeune fille était seule, seule avec lui dans cette pièce où ils se trouvaient tous deux désormais.

Fandor s’était-il donc trompé, puisqu’il croyait avoir vu quelqu’un entrer avec Hélène dans la maison ? Ou alors ce troisième personnage était-il caché quelque part ? Était-il resté dans le couloir ?

La pièce où se trouvaient les deux jeunes gens comportait, comme issues, d’abord la porte par laquelle ils étaient entrés, puis une fenêtre donnant sur la rue, et enfin une autre porte communiquant sans doute avec la seconde pièce de l’appartement.

Cette porte était fermée. Fandor ne pouvait s’en approcher, Hélène s’était interposée. Le journaliste cependant était ému.

Instinctivement, il avait pris les mains d’Hélène dans les siennes et la jeune fille fort émue également, s’abandonnait à l’étreinte de celui qu’elle aimait.

— Que me voulez-vous, Fandor ? Pourquoi m’avez-vous suivie ?

À son tour, le journaliste la questionna :

— Pourquoi me fuir Hélène ? Pourquoi vous cacher ? Vous savez bien que, depuis plusieurs jours, j’ignore ce que vous êtes devenue, je passe par les angoisses les plus terribles, je souffre du fond de mon cœur.

Une commisération réelle se peignit sur le visage d’Hélène qui, étouffant un soupir, répondit :

— Pauvre, pauvre Fandor.

Mais se roidissant contre l’émotion, elle ajouta :

— Je me cache de vous, fit-elle, parce que… parce que…

— Ah, cria Fandor douloureusement, parce que peut-être vous ne m’aimez plus.

— Je vous aime toujours Fandor, plus que jamais, peut-être, croyez-le, mais l’amour est malgré tout impossible entre nous.

— De grâce, expliquez-vous.

— Soit, puisque vous le voulez ! déclara Hélène. En deux mots je vais vous le dire. Pardonnez-moi si je suis brutale, mais je le dois. Je ne suis pas libre, Fandor, et je ne pourrai jamais l’être. Il m’est impossible de penser à vous, jamais, tant que mon père sera Fantômas.

— Tant que votre père sera Fantômas ? répéta Fandor. Hélas, que signifient vos propos, Hélène ? Votre père sera toujours Fantômas.

— Alors, affirma énergiquement la jeune fille, nous ne serons jamais l’un à l’autre.

— Au nom du ciel, Hélène, s’écria Fandor, dites-moi ce qui vous dicte cette attitude, ce qui vous inspire une telle conduite ?

Lentement la jeune fille déclara :

— Je dois protéger mon père, et mon devoir est de tout faire pour éviter qu’il ne lui arrive du mal. Je n’ai pas à le juger et je sais simplement qu’il est malheureux, qu’il souffre, seul au monde. Sa fille désormais peut lui apporter quelques adoucissements, quelques consolations. C’est mon devoir que je remplis. Quoi qu’il m’en coûte, je le remplirai jusqu’au bout.

Cependant qu’Hélène prononçait ces paroles qui plongeaient Fandor dans le plus sombre désespoir, un léger bruit s’était fait entendre semblant provenir de la pièce à côté.