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Un domestique en livrée sombre accourait au-devant de lui :

— Vous allumerez dans mon cabinet, ordonna Fantômas. J’imagine que mes amis sont là.

— En effet, Monsieur le baron est attendu.

Fantômas réprima un sourire, regarda le valet de chambre bien en face, puis lentement articula :

— Imbécile ! Ce n’est pas la peine de faire des manières quand nous sommes seuls. Rien de suspect aujourd’hui ?

— Rien du tout, patron, répondait le larbin, sur un ton de voix changé, avec une familiarité qui n’excluait pas le respect.

Où donc était Fantômas ?

Chez lui.

L’extraordinaire bandit, en effet, sitôt qu’il s’était évadé de la Santé, s’était fait tranquillement conduire par l’automobile qui l’attendait devant la prison depuis quinze jours, d’après les ordres qu’il avait donnés lui-même, à cet hôtel, acheté sous un faux nom.

Fantômas n’ignorait pas qu’on se cache à Paris mieux qu’ailleurs, qu’il suffit, en général, de changer de position sociale, de prendre un nom supposé, pour déjouer les recherches de la police, et même les plus habiles détectives.

— Juve me cherchera partout et me trouvera, s’était dit Fantômas, sauf si je ne me cache pas.

Alors il avait pris froidement la résolution de recommencer à vivre au grand jour.

Fantômas, toutefois, cédant à un souci nouveau chez lui, avait changé quelque chose à sa manière habituelle. Maintes fois déjà, il avait eu recours à des noms d’emprunt pour dissimuler sa formidable personnalité, mais jamais encore il n’avait osé s’entourer de complices, ainsi qu’il le faisait cette fois-ci.

Dans l’hôtel de l’avenue Malakoff, il n’y avait, à vrai dire, que des complices du Tortionnaire. Le portier était un ancien bagnard, le chauffeur était Beaumôme et dans le domestique bien stylé qui venait de s’avancer au-devant de lui, Juve et Fandor eussent reconnu sans peine l’un des habitués du cabaret du père Korn : l’un des sinistres marlous du boulevard de la Villette. Pourquoi Fantômas avait-il poussé l’audace jusqu’à réunir dans son propre repaire des individus semblables ? Comment n’avait-il pas craint, en s’entourant de pareilles gens, d’attirer l’attention des agents de la Sûreté ? Il devait avoir de puissants motifs, de secrets desseins, de terrifiants projets, évidemment.

Quoi qu’il en soit, Fantômas traversa d’un pas tranquille le grand vestibule, somptueusement décoré, qui s’ouvrait au bas de l’hôtel. Il gagna un petit salon, richement éclairé, un petit salon mystérieux où il pouvait causer sans craindre un espionnage, car les fenêtres étaient munies de doubles volets extérieurs, clos, volets intérieurs clos aussi et, par surcroît de prudence, doublés d’épais rideaux qui joignaient à merveille.

Fantômas n’eut pas sitôt ouvert la porte, qu’il éclata de rire :

Le petit salon dans lequel il pénétrait était, en effet, luxueusement meublé. Aux murs pendaient des tableaux de prix. Au plafond où des peintres célèbres avaient brossé des fresques de toute beauté, un lustre fait de cristaux rares s’incendiait de mille reflets. Meubles, tables, chaises, fauteuils, précieuses vitrines, tout témoignait, dans la pièce, d’une recherche raffinée, d’élégance et de bon goût.

Or, cinq individus étaient réunis dans ce salon confortable, dont la seule présence faisait tache.

Ces cinq apaches, sales, crottés, misérables et faméliques, n’étaient autres que Mort-Subite, le Bedeau, le Barbu, Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz.

À l’écart, se tenait Bouzille. Le chemineau était accroupi par terre, et surveillait amoureusement un bouchon surmonté de gros sous.

Aussi bien il n’y avait pas d’illusion à se faire sur l’occupation des apaches. Chaises et fauteuils avaient été reculés contre le mur et tout à loisir dans cette pièce luxueuse, ils jouaient le plus démocratiquement du monde, au bouchon [12].

Fantômas contempla la scène, amusé, puis attira l’attention des joueurs :

— Fort bien, messieurs, disait-il, vous passez le temps agréablement.

Tous tournèrent la tête, confus un peu, gênés par l’apparition du maître. Bouzille, seul, demeurait indifférent et calme.

— Oh répliquait le chemineau, pour ce qui est d’être occupé, on est occupé, mais pour ce qui est d’être occupé agréablement, on pourrait être plus agréablement occupé. On ne verse pas souvent chez toi, Fantômas. Le pays est d’un sec ! Bref, j’ai joliment soif.

Bouzille tournait évidemment à l’ivrognerie depuis quelque temps, mais Fantômas ne répondit pas au chemineau.

Il prit un louis de vingt francs dans sa poche et le jeta sur le bouchon.

— Touché, cria-t-il. À moi les enjeux ! Assez plaisanté comme ça. Au rapport. Allons, où en êtes-vous ?

Ce fut Œil-de-Bœuf qui s’avança :

— Patron, dit l’apache, on en est où l’on en est et il y a des chances pour que tu raques la galette promise. J’ai des renseignements à te donner sur la poule.

— J’écoute.

— Eh bien la poule, Fantômas, elle se contrefout de la guerre avec les Turcs [13]. Je l’ai suivie deux jours, elle rigolait comme une baleine tout le temps. Ah, et puis elle a un amoureux, tu sais !

— Son nom ?

— Paraît que c’est un cabot et qu’il s’appelle Dick.

Fantômas ne sourcilla pas.

— Bien, fit-il, c’est tout ce que tu sais ?

— Oui, c’est tout pour aujourd’hui.

— Et vous autres, vous n’avez rien à m’apprendre ?

Du regard Fantômas interrogea les autres apaches. À son tour Mort-Subite s’avançait :

— Pardon, faites excuse, j’ai quelque chose à t’apprendre, Fantômas.

— Dis-le alors.

— C’est que la poule se prépare à déménager d’Enghien, ça je le sais par le portier, qui m’a raconté que la nommée Sarah avait fait préparer ses malles.

Cette fois, le visage de Fantômas avait blêmi.

— Oh, oh, dit-il, en vérité, Sarah Gordon s’apprête à partir. Tu es sûr de cela ?

— Certain. C’est rond comme une galette, ferme comme une pierre de taille, et décidé comme un jugement de la cour d’Assises.

— Bien, j’aviserai.

Fantômas se tourna vers Bouzille qui écoutait ces renseignements, tout en s’occupant à ramasser les sous demeurés sur le tapis, et qu’il fit disparaître prestement dans ses poches immenses.

— Et toi, demandait-il, tu ne sais rien ?

Bouzille leva ses mains vers le Ciel, prenant la posture des mahométans qui invoquent Allah.

— Grands dieux, non. Moi, je ne sais rien de rien, déclara-t-il. D’abord, je n’aime pas surveiller les femmes.

Et prenant une mine dégoûtée, Bouzille répétait :

— Mon âme de chevalier s’oppose à de pareilles surveillances, voilà, Fantômas ! Pourtant, si tu payais d’avance, si tu me donnais encore deux louis, je te dirais quelque chose.

Fantômas, à la volée, envoya au chemineau une poignée de pièces d’or.

— Parle, commanda-t-il.

— Eh bien voilà, répondit Bouzille qui se relevait, je te dirai : adieu, Fantômas.

Et là-dessus, il prit la fuite à toute allure, claquant les portes derrière lui, avec la prestesse d’un renard qui craint d’être écrasé par un fermier mécontent.

Fantômas n’avait pas bougé. Il haussa les épaules, et considérant les apaches qui riaient en dessous, il éclata :

— Voilà donc, faisait-il, tout ce que vous avez pu apprendre en huit jours de surveillance ! Car il y a huit jours que je vous ai chargés, les uns et les autres, d’épier Sarah Gordon, de me tenir au courant de ses moindres faits et gestes. Ah, vraiment, je ne sais quelle bonté s’est emparée de moi pour que je ne vous châtie point comme vous le méritez. Vous êtes tous ici mes lieutenants, vous êtes mes compagnons d’armes préférés, je devrais compter sur vous. Belle affaire ! Vous n’êtes occupés qu’à lâchement profiter de ma propre fortune, mais vous êtes, au fond, incapables de me servir. Comme ils sont intéressants vraiment les renseignements que vous m’apportez ! Vous êtes des brutes, moins que des brutes, des chiens !

Il était superbe de colère, il insultait ses hommes, et ceux-ci, tremblants, effarés de sa subite colère, ne soufflaient mot.