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Juve, en y entrant, avait appelé plusieurs de ses collègues, Léon et Michel entre autres. Et c’est seulement quand il y eut ces inspecteurs de la Sûreté dans la petite pièce, ces inspecteurs qui, sur un signe, avaient le revolver au poing, que Juve laissa Fantômas s’asseoir sur l’escabeau, cessant de le maintenir par le cabriolet.

— Je vais chercher M. Havard, déclara-t-il.

Et il se tourna vers Fandor, lui faisant de multiples recommandations, s’adressant à lui comme à celui en qui il pouvait avoir le plus de confiance.

— Fais attention, Fandor, je te le confie.

Mais ce n’est pas Fandor qui répondit, c’est Fantômas qui éleva la voix, Fantômas qui déclara d’un ton calme :

— Allez donc, Juve, et finissons-en. Je vous ai dit que je ne m’en irai pas et vous savez que je suis ici volontairement.

Au moment où le policier réapparaissait dans la petite salle basse, accompagné de M. Havard, Fantômas se leva. Il était brusquement devenu très pâle, brusquement sa voix se prenait à trembler.

— Monsieur le chef de la Sûreté, déclara Fantômas hautain, saluant M. Havard d’un signe de tête qui avait quelque chose de protecteur, monsieur le chef de la Sûreté, je me suis constitué prisonnier aux mains de Juve. Je suis pris parce que j’ai bien voulu être pris.

Il allait sans doute ajouter quelques paroles narquoises. M. Havard, d’un geste, lui imposa silence.

— En quelques mots, Juve vient de me mettre au courant, disait-il. Vous n’avez pas besoin d’essayer de diminuer votre adversaire, Fantômas, vous n’y réussirez pas. C’est devant vous que je tiens à féliciter Juve de votre arrestation. Vous vous êtes constitué prisonnier, dites-vous ? C’est exact, personne ne le nie ici, mais vous vous êtes livré aux mains de Juve, c’est lui-même qui me l’a dit, parce que vous avez besoin que la police officielle s’occupe de châtier un crime qui vous a fait souffrir, Juve me l’a dit encore. Ce qu’il ne m’a point dit et que je dis, moi, chef de la Sûreté, c’est qu’en somme, vous venez d’être amené à vous rendre, à vous rendre à Juve, parce que vous êtes obligé de convenir que Juve est plus fort que vous.

— Je ne discuterai point de cela avec vous, monsieur Havard, riposta Fantômas. Félicitez Juve si bon vous semble, peu m’importe. Je ne lui demande que de se souvenir de la mission que je lui ai donnée. Et puis, finissons-en vraiment, messieurs de la Sûreté. Vous êtes ridicules de vous mettre à dix pour me surveiller, alors que je me suis rendu… Vous m’écrouez ici ?

— Venez ! dit Juve.

Sur un geste de M. Havard, les inspecteurs entouraient le Roi du Crime et c’est ainsi que, sous la conduite des agents de l’autorité, ayant à sa droite Juve, à sa gauche, Jérôme Fandor, précédé par M. Havard en personne, Fantômas fut conduit à la souricière.

Il dut descendre les étroits escaliers qui font communiquer les bâtiments de la Sûreté avec les cellules du Dépôt. En franchissant la grille de la prison, le bandit réprima un tressaillement.

— Juve, répéta-t-il, souvenez-vous, souvenez-vous.

Mais c’est M. Havard qui répondit. M. Havard n’eut point pour Fantômas les ménagements que Juve et Fandor, malgré eux, avaient pour le bandit. M. Havard sentait une sourde colère l’envahir, l’attitude hautaine et provocante qu’affectait Fantômas, le mettait malgré lui dans tous ses états. Il fut cruel :

— Je me souviens d’une chose, Fantômas, disait le chef de la Sûreté, c’est que beaucoup d’autres misérables ont suivi comme vous le chemin que nous suivons, beaucoup d’autres ont, comme vous, Fantômas, descendu cet escalier, cet escalier qui mène à la souricière. Il mène plus loin, Fantômas, et beaucoup d’autres avant vous se sont aperçus qu’il conduisait à la guillotine. Voilà ce dont je me souviens, Fantômas. Voilà ce dont il faut que vous vous souveniez aussi.

À l’horrible évocation qu’il lui faisait, à la menace qu’il formulait, Fantômas ne tressaillit pas. Un sourire seulement errait sur ses lèvres.

— Je ne comprends pas, répondit froidement Fantômas, la comparaison que vous tentez, monsieur Havard. Ce que j’ai fait, personne ne l’a fait et ce que les autres font, je ne le fais point. Il est possible que d’autres aient été conduits par vous vers la guillotine, il est possible que cet escalier mène au couperet du bourreau, mais en ce qui me concerne, je puis vous affirmer qu’il mène seulement…

— À quoi, Fantômas ?

Les lèvres du bandit s’agitèrent. Il parut un instant qu’une révolte allait l’obliger à se départir de son terrible sang-froid. Les veines de son front se gonflèrent ; ses dents serrées crissèrent de rage, un frémissement le secoua. Il se domina pourtant :

— Cet escalier mène à la vengeance, dit simplement Fantômas.

Et, négligeant de répondre à M. Havard, le bandit fixa Juve une fois encore.

— Souvenez-vous que ce n’est pas moi qui ai tué lady Beltham.

Derrière le groupe des policiers, cependant, les portes de fer de la souricière s’étaient closes ; dans le greffe, les gardiens mandés d’urgence s’empressaient.

— Inspecteur Juve, ordonna M. Havard, faites votre mandat de dépôt.

— Voici, répondit Juve.

Il s’approcha d’une tablette scellée dans le mur, tira de son portefeuille une formule dont il remplit les blancs et qu’il tendit au greffier.

— Voilà ma réquisition, dit-il.

Et, attirant l’attention de M. Havard, Juve ajouta :

— Voyez, chef, je n’ai eu aujourd’hui qu’à ajouter la date et la signature. Il y a dix ans que je porte ce papier dans ce portefeuille. Il date de l’assassinat de la marquise de Langrune [1], alors que je m’occupais de Fantômas pour la première fois ; alors que je me jurais qu’un jour je le conduirais ici pour le remettre à ses juges. Je me suis tenu parole, chef.

M. Havard tendit ses deux mains à l’inspecteur :

— Et moi, je vous remercie. Il y a longtemps que vous appartenez à la Sûreté, Juve, il y a longtemps que j’ai pu apprécier votre dévouement, je suis heureux, devant tous, de vous rendre hommage.

Le chef de la Sûreté allait encore ajouter quelques mots, il n’en eut pas le temps.

— Finissons-en, grogna Fantômas. J’ai le droit d’être traité comme un assassin ordinaire et je réclame ma mise en cellule.

— Soit : fouillez cet homme !

Deux gardiens fouillèrent le bandit, mais Fantômas, évidemment, en se rendant chez Juve, n’avait rien gardé qui pût être compromettant. On découvrit seulement, pendu à son cou, une sorte de médaillon d’argent vieilli, que les gardiens lui arrachèrent.

— Laissez-moi cela, dit le bandit.

— Le règlement s’y oppose.

Juve, déjà s’était emparé de l’objet. Il ouvrit le boîtier, eut un haut-le-corps : à l’intérieur du médaillon, deux photographies seulement apparaissaient, l’une représentant lady Beltham, l’autre Hélène.

— Ma maîtresse, ma fille, murmura Fantômas. Les deux êtres que j’ai chéris. Juve, j’aimerais mieux mourir que de vous demander une grâce, pourtant…

— Laissez ce médaillon à Fantômas, ordonna Juve. Il ne contient rien qui puisse être dangereux, qui puisse être inquiétant.

— Merci, Juve.

Ce que n’avait pu faire aucune menace, ce que n’avait point fait l’horreur de sa situation, la simple remise de ce médaillon le faisait.

Une larme perla au bord des cils de Fantômas. Il fit jouer le ressort du bijou, il regarda les deux photographies, puis, se roidissant encore, déclara :

— Les formalités sont accomplies, je suppose ?

— Emmenez-le, dit M. Havard.

Les inspecteurs de la Sûreté venaient de s’écarter ; les formalités du greffe étant terminées, ils étaient dessaisis de Fantômas. Le bandit appartenait désormais à l’administration pénitentiaire. Deux gardiens le prirent par les mains. On l’avait délié. Quelques minutes plus tard, des bruits de verrous retentirent. Le pas mélancolique du gardien de faction ébranlait les silencieuses allées de la souricière. Fantômas était définitivement incarcéré, définitivement pris, et même, un homme était chargé nuit et jour de ne point le perdre de vue.