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« Le statut de voleurs de grand chemin nous va mal, fit le barbare, mais comme tu dis, les temps sont durs et aucun lit douillet ne nous attend ce soir. »

Il changea sa prise sur l’épée et, alors que le cavalier de tête se rapprochait, s’avança sur la route, la main levée et la figure fendue d’un sourire soigneusement calculé pour rassurer et menacer à la fois.

« Pardonnez-moi, monsieur…» commença-t-il.

Le cavalier tira sur les rênes de sa monture et repoussa son capuchon. Le grand malandrin vit un visage marbré de brûlures superficielles et ponctué de touffes de poils roussis, restes d’une barbe. Même les sourcils avaient disparu.

« Fous le camp, lâcha le visage. T’es Bravd l’Axlandais{Le moment est peut-être venu de s’intéresser à la forme et à la cosmologie du système du Disque. Il existe bien entendu deux directions principales sur le Disque : vers le Moyeu et vers le Bord. Mais comme le Disque effectue une rotation sur lui-même tous les huit cents jours (afin de répartir son poids équitablement sur le dos des pachydermes qui le supportent, selon le Réforgule de Krull), il s’y ajoute deux autres directions secondaires : le sens direct et le sens rétrograde.

Vu que le minuscule soleil en orbite conserve une course fixe tandis que le Disque majestueux tourne lentement en dessous, on en déduira sans peine qu’une année discale ne compte pas quatre mais huit saisons. En été, le soleil se lève et se couche au plus près du Bord, et en hiver en un point à quatre-vingt-dix degrés environ sur la circonférence.

Ainsi, dans les pays qui entourent la mer Circulaire, l’année commence par la Nuit des Porchers, se poursuit par le printemps prime jusqu’au premier solstice d’été (la veille des Petits Dieux), auquel succède l’automne prime et, à cheval sur le point médian de l’année (la Nuit Cruelle), l’hiver seconde (également connu sous le nom d’hiver d’axe, puisqu’à cette époque le soleil se lève dans le sens de la rotation). Puis vient le printemps seconde, talonné par l’été deuxième, et les trois quarts de l’année sont atteints à la Nuit de la Toute-Fin — la seule, selon la légende, où les sorcières et les ensorceleurs restent au lit. Puis les feuilles mortes et les gelées nocturnes s’acheminent vers l’hiver de contraxe et vers une nouvelle Nuit des Porchers nichée en son cœur tel un joyau de glace.

Comme le soleil faible ne réchauffe jamais de près le Moyeu, les terres centrales restent gelées en permanence. Le Bord, en revanche, est une région d’îles ensoleillées et de douceur de vivre.

La semaine discale compte évidemment huit jours et le spectre solaire huit couleurs. Huit est un chiffre d’une portée occulte considérable sur le Disque, et un mage ne doit jamais, au grand jamais, le prononcer.

La raison d’être de ce qui précède demeure obscure mais explique en partie pourquoi, sur le Disque, on est moins porté à adorer les dieux qu’à les maudire.}, c’est ça ? »

Bravd eut conscience d’avoir bêtement perdu l’initiative.

« Va-t-en, tu veux ? fit le cavalier. Je n’ai pas le temps, vu ? »

Il jeta un coup d’œil à la ronde et ajouta : « Et c’est valable aussi pour ton acolyte pouilleux qui se fourre tout le temps dans les coins d’ombre et qui se cache sûrement quelque part. »

La Fouine surgit près du cheval et regarda attentivement la silhouette débraillée. « Eh, c’est Rincevent le mage, non ? lança-t-il d’un ton ravi tout en archivant dans sa mémoire la description que l’homme venait de faire de lui, en vue d’une vengeance à déguster froide. Il me semblait bien avoir reconnu la voix. »

Bravd cracha par terre et rengaina son épée. Ça ne valait presque jamais le coup de se colleter avec les mages, ils se promenaient rarement avec des richesses dignes de ce nom.

« Il fait drôlement le malin pour un mage traîne-ruisseau, marmonna-t-il.

— Vous n’y êtes pas du tout, fit le mage d’une voix lasse. Vous me flanquez tellement la frousse que j’ai l’épine dorsale comme de la gelée ; je souffre en ce moment d’un excès de terreur. Mais si vous me laissez le temps de récupérer, je vous offrirai une peur plus à propos. »

La Fouine montra du doigt la ville en flammes.

« T’es passé là-dedans ? » demanda-t-il.

Le mage se frotta les yeux d’une main à vif toute rouge. « J’y étais quand le feu s’est déclaré. Vous le voyez, lui ? Là-bas ? » Il désigna dans son dos, plus loin sur la route, son compagnon de voyage qui se rapprochait en dépit d’un style de monte qui lui imposait de vider les arçons toutes les cinq secondes.

« Et alors ? fit la Fouine.

— C’est lui le responsable », répondit simplement Rincevent.

Bravd et la Fouine observèrent la silhouette qui sautillait maintenant sur la route à cloche-pied, l’autre pied dans un étrier.

« Incendiaire, hein ? lâcha enfin Bravd.

— Non, répondit Rincevent. Pas précisément. Disons seulement que si le chaos absolu se traduisait par la foudre, ce gars-là serait du genre à rester debout en haut d’une colline, en armure de cuivre mouillée, et à brailler : « Tous les dieux sont des salauds. » Vous avez à manger ?

— On a du poulet, dit la Fouine. En échange d’une histoire.

— Comment il s’appelle ? voulut savoir Bravd qui avait tendance à prendre du retard dans les conversations.

— Deuxfleurs.

— Deuxfleurs ? répéta Bravd. Drôle de nom.

— S’il n’y avait que ça, fit le mage en mettant pied à terre. Du poulet, tu dis ?

— À la diable », précisa la Fouine. Rincevent gémit.

« J’y pense, reprit la Fouine en claquant des doigts, on a entendu une très grosse explosion il y a… oh, à peu près une demi-heure…

— C’était l’entrepôt des huiles qui sautait », expliqua Rincevent qui grimaça au souvenir de la pluie ardente.

La Fouine se retourna et sourit, l’air d’attendre, à l’adresse de son compagnon qui grogna et lui tendit une pièce tirée de sa bourse. Puis un cri s’éleva sur la route avant de s’interrompre soudain. Rincevent ne leva pas les yeux de son poulet.

« Entre autres choses, il ne sait pas monter à cheval », dit-il. Puis il se raidit comme assommé par un souvenir brutal, lâcha un glapissement bref de terreur et se précipita dans l’obscurité. Lorsqu’il revint, le dénommé Deuxfleurs lui pendait mollement sur l’épaule. Petit et malingre, il était très curieusement vêtu d’une culotte coupée aux genoux et d’une chemise aux couleurs si violemment incompatibles que l’œil délicat de la Fouine s’en offusqua, même dans la pénombre.

« Rien de cassé, à première vue », dit Rincevent. Il soufflait comme un bœuf. Bravd lança un clin d’œil à la Fouine et voulut aller étudier de plus près la forme qu’ils prenaient pour un animal de bât.

« Tu ferais mieux de laisser tomber, dit le mage sans interrompre son examen de Deuxfleurs inconscient. Crois-moi. Un pouvoir le protège.

— Un sortilège ? demanda la Fouine en s’accroupissant.

— No-on. Mais une espèce de magie, d’après moi. Pas du type habituel. Je veux dire, c’est une magie qui peut changer l’or en cuivre mais en même temps ça reste de l’or, qui enrichit les gens en détruisant leurs biens, qui permet au faible de marcher sans crainte au milieu des voleurs, qui passe à travers les portes les plus solides pour soutirer les trésors les mieux gardés. Elle me tient en ce moment – je suis obligé de suivre ce fou bon gré mal gré et d’éviter qu’on lui fasse du mal. Elle est plus forte que toi, Bravd. Elle est même, à mon avis, plus rusée que toi, la Fouine.