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Marc eut une idée. Il avait lu quelque part que la famille de la victime était fortunée. Les Kreutz avaient certainement engagé, à l’époque, un avocat allemand pour rédiger la plainte et se constituer partie civile. Peut-être même un enquêteur privé pour faire la lumière sur l’affaire. D’instinct, Marc devinait que ces parents étaient persuadés de la culpabilité de Reverdi et qu’ils avaient dû être ulcérés par sa libération.

Sa nouvelle arrestation, en flagrant délit, pouvait leur donner des idées. Ils allaient tenter de rouvrir le dossier, au Cambodge. Oui : il y avait quelque chose à glaner de ce côté. Marc devait identifier l’avocat chargé de l’affaire.

7

Marc avait plusieurs tactiques pour obtenir ses informations — et Internet était loin d’être sa stratégie prioritaire. Trop vaste, trop confus. En général, rien ne valait un bon coup de fil et le contact humain. Il appela l’ambassade d’Allemagne, dont il connaissait le responsable de presse. Ce dernier, sans même raccrocher, contacta sur une autre ligne un ami reporter du magazine Stem — un spécialiste des faits divers, qui avait lui-même couvert l’affaire Kreutz. Le journaliste possédait encore les coordonnées d’Erich Schrecker, défenseur de la famille.

Quelques minutes plus tard, Marc parlait à l’avocat. Il expliqua sa requête dans son plus bel anglais : il voulait démontrer les liens éventuels entre l’accusation de Johor Bahru et les soupçons qui avaient pesé sur l’apnéiste au Cambodge. Schrecker l’interrompit sèchement :

— Désolé, je ne peux rien dire.

— Dites-moi au moins si vous relancez la procédure. L’arrestation de Reverdi en Malaisie permet-elle de faire appel au Cambodge ?

— L’affaire a été jugée. Il y a eu un non-lieu.

Au son de la voix, Marc devinait que Schrecker et la famille Kreutz avaient déjà une stratégie.

— Vous avez contacté la partie civile, en Malaisie ?

— Il est trop tôt pour dire quoi que ce soit.

— Mais les deux affaires présentent des similitudes, non ?

— Écoutez. Nous perdons notre temps, vous et moi. Je ne vous dirai rien. Vous savez qu’un avocat ne parle pas aux journalistes, sauf si cela peut servir son dossier. Celui-ci n’a besoin que d’une chose : la discrétion. Je ne prendrai pas le moindre risque.

Marc se racla la gorge :

— Vous pouvez vous renseigner sur moi. Je suis un journaliste sérieux.

— La question n’est pas là.

— Je vous promets de vous faire relire mon article. Je…

L’avocat éclata de rire, sa voix semblait rajeunir au fil des secondes :

— Si vous saviez le nombre d’articles qu’on m’a promis de me faire relire, et dont je n’ai jamais vu la couleur !

Marc n’insista pas — il n’avait pas souvenir d’avoir tenu, même une seule fois, parole dans ce domaine. Il préféra miser sur le pragmatisme :

— J’ai vingt ans de chronique judiciaire derrière moi. Je ne suis pas du genre à écrire n’importe quoi. Donnez-moi seulement la température. Vous faites un lien avec l’affaire de Papan ou non ?

Silence de l’avocat.

— Les deux systèmes de justice vont-ils collaborer ?

— Écoutez, je…

— Le DPP de Malaisie va-t-il se rendre au Cambodge ?

Le silence de Schrecker changea de résonance. L’homme souffla, avec lassitude :

— Je l’ai contacté, à Johor Bahru. Je n’ai obtenu aucune réponse. Et nous ne savons toujours pas si les Cambodgiens sont disposés à lui soumettre le dossier Kreutz.

— Pourquoi ne le donnez-vous pas, vous ?

Il éclata de nouveau de rire, mais sur un ton sinistre :

— Parce que nous ne l’avons pas. En 1997, nous n’étions que des consultants étrangers. Les Khmers sont très susceptibles sur le terrain des compétences. Pas question de laisser les Occidentaux leur donner des leçons.

L’avocat s’échauffait ; Marc sentait que l’affaire le passionnait.

— Il y a une chose que vous devez comprendre, continua-t-il. Les Khmers rouges ont tué quatre-vingts pour cent du personnel juridique du Cambodge. À l’heure actuelle, les avocats, les juges ont un niveau de formation équivalant à celui d’un instituteur. Il y a aussi la corruption, et les influences politiques. C’est le bordel absolu. À tout ça, s’ajoutent les relations plutôt difficiles entre le Cambodge et la Malaisie. Et encore, quand nous avons essayé avec la Thaïlande, nous…

— Pourquoi la Thaïlande ?

L’avocat ne répondit pas. Marc avait déjà compris :

— Il y a une procédure contre Reverdi en Thaïlande ?

Schrecker demeurait muet. Marc insista :

— Reverdi a eu aussi des ennuis là-bas ?

— Pas des ennuis, non. Il n’est accusé de rien.

Marc réfléchit à toute vitesse, en ouvrant ses chemises cartonnées. Il attrapa ses notes — il fallait qu’il montre à Schrecker qu’il connaissait le dossier à fond. Il énuméra :

— De 1991 à 1996, puis en 1998 et 2000, Reverdi a séjourné en Thaïlande. Il y est même retourné en 2001 et 2002. Il y a eu d’autres meurtres durant ces périodes ?

Pas de réponse de l’Allemand. Marc percevait sa respiration oppressée. Il ne voulait pas parler, mais une force contradictoire l’empêchait de raccrocher.

— Vous avez retrouvé des corps ?

Schrecker eut un cri du cœur :

— Pas des corps, non ! Sinon, cela serait réglé.

— Alors quoi ?

— Des disparitions.

— Des disparitions, en Thaïlande ? Avec huit millions de touristes par an ? Comment peut-on repérer des « disparitions » ?

— Il y a des convergences.

— De lieux ?

— De lieux et de dates, oui.

Marc baissa les yeux sur sa doc — un lieu revenait parmi les séjours de Reverdi :

— À Phuket ?

— Phuket, oui. Deux cas de disparitions avérées. À Koh Surin, notamment, au nord de Phuket. Le fief de Reverdi.

— La proximité géographique ne prouve rien.

— Il y a plus. (L’avocat s’exaltait de nouveau ; il avait sans doute mis des mois à dénicher ces indices.) L’une des femmes a suivi ses cours de plongée. L’autre a séjourné dans son bungalow. On a des témoins. Elle semblait amoureuse. Personne ne l’a jamais revue.

Marc frémit : le profil d’un vrai prédateur se dessinait.

— Les victimes. Donnez-moi leurs noms.

— Ça va pas, non ? On a mis des années à monter le dossier. Ce n’est pas pour qu’un journaliste foute tout en l’air !

— C’est qui, nous ?

— Les familles. On a retrouvé les familles à travers l’Europe. Nous nous sommes regroupés. Notre action converge vers la Malaisie. (Il ricana brusquement.) Il est fait comme un rat.

Schrecker paraissait surexcité — et Marc était au diapason. Combien de fois Reverdi avait-il frappé ? Il s’imaginait déjà lui-même marquant au feutre, sur une carte d’Asie du Sud-Est, les zones où l’apnéiste avait tué. En un déclic, lui revint en mémoire la définition consacrée du « tueur multirécidiviste » : « Comme la plupart des sadiques sexuels, c’est un homme très mobile qui bouge beaucoup, socialement compétent, du moins en apparence, car il est capable de projeter un masque de normalité et de ne pas effaroucher ses victimes — et il contrôle parfaitement le lieu du crime… »