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Marc risqua encore :

— Vous pouvez au moins me donner la nationalité des filles ?

— Au revoir ! J’en ai déjà trop dit.

— Attendez !

Il avait presque hurlé. Il reprit un ton plus bas :

— Je voudrais voir leurs visages. Juste ça. Envoyez-moi leurs photos.

— Pour que vous les imprimiez dans votre journal ?

— Je vous jure de ne rien publier. Je veux seulement les comparer avec les autres victimes.

— Il n’y a pas de ressemblances. C’est la première chose que nous avons vérifiée.

— Seulement les photos. Sans nom, ni origine.

— Pas question. Nous n’avons que des présomptions. Et nous essayons d’instaurer une collaboration entre des pays qui ne peuvent pas s’encaisser. Avec des systèmes de justice différents. Un vrai casse-tête. Je ne prendrai pas le moindre risque pour un journaliste qui va…

— Oubliez le journaliste. Oubliez la parution. Je veux seulement comprendre cette histoire. J’en fais une affaire personnelle, vous pigez ?

Nouveau silence. Marc était allé trop loin, à son tour ; mais cette révélation parut faire mouche. Deux chasseurs s’étaient trouvés.

— Quelles garanties pouvez-vous me donner de ne pas publier ?

— Envoyez-moi les portraits par courrier électronique, en basse définition. Je ne pourrai pas les reproduire dans mon journal. Seulement les consulter sur mon ordinateur.

Après avoir noté l’adresse e-mail de Marc, l’avocat conclut :

— Je vous donnerai les périodes de séjour et les dates supposées de disparition. Pour que vous vous y retrouviez.

— Merci.

— Attention, c’est donnant, donnant. À la moindre découverte de votre côté, vous me tenez au courant.

— Comptez sur moi.

Un mensonge de plus : Marc était un solitaire. Jamais il ne partagerait ses propres données. Il allait raccrocher quand il eut une dernière impulsion. Il voulait soutirer à cet homme sa conviction intime :

— Êtes-vous certain que Reverdi est un tueur en série ?

L’avocat ne répondit pas aussitôt. Il mûrissait sa réponse. Il voulait que ses mots claquent comme une sentence.

— Une bête féroce, dit-il enfin. Dans les deux cas connus, il a frappé plus de vingt fois. Il leur a tailladé le visage, le sexe, les seins. Il agit sous l’emprise d’une crise, d’une pulsion soudaine, qui l’oblige à tuer sans précaution, sans plan préparé. Une bête féroce. Il veut seulement saigner ces pauvres filles.

Schrecker se trompait. Par expérience, Marc savait que Reverdi agissait selon un plan mûri. Sinon, il aurait été arrêté dès son premier meurtre. Il préparait au contraire son piège. Il réussissait à attirer chaque jeune femme dans son repaire, puis à faire disparaître le corps. Mais l’avocat avait raison sur un point : il agissait en état de crise. Chaotique, effrénée. Quelque chose, un détail, lui ordonnait d’assassiner. Quoi ?

Des picotements glacés le parcoururent. Voilà le genre de clé qu’il aurait aimé découvrir. L’étincelle du mal dans le cerveau du tueur. À cette idée, il demanda encore :

— Quelles sont mes chances de l’interviewer ?

— Aucune. Pour l’instant, il est dans les vapes, mais quand il reprendra ses esprits, il ne dira pas un mot. Depuis le Cambodge, il n’a plus accepté la moindre interview.

— Depuis le Cambodge ?

— Une journaliste a réussi à le rencontrer quand il était incarcéré au T-5, la prison de Phnom Penh. Mais elle n’a pas obtenu la moindre révélation. Comme d’habitude, il a joué au « prince des marées », en osmose avec les éléments. Toutes ces conneries. Il a refusé tout commentaire sur l’accusation.

— Vous avez ses coordonnées ?

— Pisaï quelque chose, je crois… Elle travaille au Phnom Penh Post.

Marc salua l’avocat, abrégeant promesses et remerciements. Il regarda sa montre : onze heures du matin. Dix-sept heures à Phnom Penh. Il se connecta sur Internet pour chercher les coordonnées du journal cambodgien. Il remarqua que Schrecker lui avait déjà envoyé un message électronique : les portraits des victimes de Phuket.

Marc ouvrit les deux documents, grâce au logiciel Picture Viewer. L’avocat avait raison : les disparues étaient jolies mais ne se ressemblaient pas. Et elles n’avaient aucun point commun avec Pernille Mosensen et Linda Kreutz. L’une avait un visage carré, très décidé, accentué encore par des cheveux tirés en arrière. L’autre se dissimulait derrière de longues mèches bouclées et vous regardait à l’oblique. Les seules similitudes entre ces nomades étaient leur âge et leur teint bronzé : des filles de la route et du soleil.

Schrecker avait ajouté les dates présumées de disparition : mars 1998 pour la première, janvier 2000 pour la seconde. Marc imprima les portraits, au format de ceux de Pernille et de Linda, puis les plaça côte à côte, sur son bureau, comme des cartes à jouer. Une étrange réussite, où il n’y avait qu’un seul vainqueur…

Si ces quatre femmes étaient réellement les victimes de Reverdi, pourquoi les avait-il choisies ? Possédaient-elles quelque chose que Marc ne voyait pas, un signe, une particularité, qui déclenchait sa folie meurtrière ?

Il punaisa les visages au mur puis se remit en quête des coordonnées du Phnom Penh Post. À la rédaction du quotidien, un journaliste anglophone lui donna les coordonnées du cellulaire de Pisaï van Tham.

Nouveau numéro :

— Allô ?

Marc commença à s’expliquer en anglais, mais la femme l’interrompit en français. Avec une évidente jubilation. Sa voix était étrange, à la fois douce et nasillarde. La journaliste ne paraissait pas étonnée par son appel ; à l’évidence, il n’était pas le premier.

— Vous voulez mon interview Reverdi par e-mail ? Mon texte en anglais ?

Marc donna son adresse électronique puis enchaîna :

— Vous êtes la seule reporter qui ait réussi à obtenir une interview de Jacques Reverdi. Depuis ce jour, il n’a plus parlé…

Il y eut un petit rire de vanité à l’autre bout de la connexion.

— Comment avez-vous fait ? Comment expliquer cette faveur ?

Un nouveau rire retentit — un miaulement ténu. Marc songea à un chat précieux. Pelage doré, yeux verts ; et langueurs calculées.

— Tout simple. J’étais femme.

— Femme ?

— Jacques Reverdi séducteur. Homme à femmes.

— Quand vous l’avez rencontré, comment était-il ?

— Charmant. (Elle miaula encore.) Homme à femmes !

Un souvenir lui traversa l’esprit. Par tradition, les apnéistes étaient de grands séducteurs. Jacques Mayol, Umberto Pelizzari : de vrais bourreaux des cœurs. Mais pour Reverdi, l’amour n’était qu’un masque. Pisaï continuait :

— Surtout sourire. Très lent, très suave. Comme fruit, vous voyez ? Et voix. Très chaude. Vous savez, femmes adorent ça… Et lui, aime femmes.

Elle commençait à lui taper sur les nerfs avec ses fautes de français et ses minauderies.

— Vous pensez qu’il est coupable ?

— Aucun doute. Il tue femmes.

— Il a été blanchi à Phnom Penh, non ?

— Ça, justice Cambodge. Mais coupable, aucun doute. J’ai senti derrière sourire… Veut la peau des femmes.

— Vous venez de dire qu’il les aimait.

— Justement. Meurtre ultime degré de séduction. J’ai étudié français à la Sorbonne. Dom Juan de Molière. J’ai compris vérité profonde. La séduction, c’est destruction. Dom Juan est un tueur. Il tue Elvire. Il vole son cœur, son âme, sa vie. Reverdi, pareil. Tueur de femmes.