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Au moment où la barque tourna, se glissant entre deux grosses vagues, Marc aperçut le ruban vert clair, juste au-dessus de la plage, sur la droite. Les feuillages semblaient former, entre les palmiers durs, un nuage immatériel. Il hurla, tendant son index. Le pilote fit de nouveau « non » et poursuivit son demi-tour.

Sans hésiter, Marc serra dans sa poche la seringue sous vide puis ôta son poncho et plongea dans la mer. La fraîcheur de l’eau altéra sa respiration. Il eut l’impression de pénétrer dans la chair même de l’orage. Aussitôt, il fut emporté par le courant. Aspiré dans un couloir ménagé par les coraux. Il battait des bras, se cognant, se raclant le ventre, s’arrachant les coudes sur les concrétions. Mais un petit miracle était à l’œuvre : le courant l’emmenait vers le rivage… Il s’obligea à ne plus bouger : se fit léger, sentant les crêtes des coraux lui frôler le ventre.

Il échoua enfin et sortit de l’eau. Sous la lune, la plage paraissait aussi blanche que de la craie. À mesure qu’il s’éloignait du ressac, il percevait mieux le chant des feuilles. Leur cliquettement devenait assourdissant. Des rires de sorcières. Marc se retourna vers la mer — le marin était toujours là. Il semblait furieux. Pourtant, Marc était sûr qu’il l’attendrait.

Il se dirigea vers la forêt de bambous, qui surplombait la plage. Au bout de quelques pas, il repéra, plus distinctement, la forme qu’il avait cru discerner du bateau.

Une cabane sur pilotis, accotée à la falaise.

Un simple bungalow fermé, agrémenté d’une terrasse. Quatre mètres de largeur environ. Cinq de profondeur. L’antre d’un Robinson Crusoé. Ou juste une remise pour du matériel de plongée. Soudain, une angoisse inexplicable le saisit. Et si on l’attendait là-bas ? Si Reverdi lui avait donné rendez-vous avec quelqu’un d’autre ? En une seconde, ses hypothèses les plus cinglées déferlèrent : le père, l’avocat… Il se raisonna mais décida de faire d’abord le tour de la hutte.

Il alluma sa torche et se glissa entre la cloison et la falaise. Personne, bien sûr. Il inspecta la surface des murs. Un seul coup d’œil lui confirma ce qu’il savait déjà : la cabane avait été « traitée ». Chaque interstice avait été obturé avec des fils de rotin et du silicone.

Réapparaissant de l’autre côté de la cabane, il se rendit compte que la nuit s’était éclaircie. Il leva les yeux. Les nuages fuyaient. La lune pleine brillait comme un soleil froid. Le sable, miroitant, troué de pluie, évoquait maintenant une surface de nacre. Il éteignit sa lampe et se sentit mieux, en prise directe avec la lumière nocturne.

Il monta sur la terrasse. De nouveau, il constata le calfeutrage. Le pas de la porte. Les rainures de la fenêtre. La faille entre la cloison et le plancher. Tout était bouché. Un bref instant, il se dit que le cadavre était à l’intérieur, mais c’était impossible. Reverdi n’avait pas mis les pieds en Thaïlande depuis au moins six mois — il n’aurait jamais laissé pourrir un corps, même dans un espace protégé.

Marc se plaça face à la porte et l’attaqua à coups de pied. Ses gestes étaient entravés par ses vêtements mouillés. La porte céda. Il l’arracha complètement de ses gonds afin que l’éclat de la lune pénétrât à l’intérieur. La paillote était vide, ou presque. Une bouteille d’air comprimé. Un détendeur blanchi de sel. Des plombs. Une lampe frontale. Aucune signe de lutte ni de violence. Aucune trace de sang ou de cire de bougie. Aucun objet suspect. Le repaire inoffensif d’un homme sauvage.

Qu’était-il censé trouver ici ? « Lorsque tu auras découvert la Chambre, tu devras plonger dans son ombre. Là, quelque chose t’attend. Une église. » Il suivait maintenant le raisonnement du tueur. En sacrifiant ses victimes, il croyait les purifier. Elles devenaient elles-mêmes des espaces sacrés. Des « églises ».

Il frappa le sol du talon. Pas de double fond dans le plancher. Il songea à l’élévation sur pilotis du bungalow. La solution était plus simple : Reverdi avait enterré le cadavre dans le sable, sous la case.

Il ressortit et plongea sous les fondations. À quatre pattes, il observa la surface, les feuilles mortes, les pilotis, mangés par les buissons — rien à signaler. Sans hésiter, ni même réaliser ce qu’il faisait, il commença à creuser, à mains nues.

Très vite, il trouva le meilleur mouvement pour déblayer — glisser les deux bras dans le sable, les croiser en les ramenant, à la manière d’une pelleteuse, derrière lui. De temps à autre, il changeait de position, s’asseyant dans le trou et repoussant les monticules des deux talons.

Il se retrouva dans une vraie fosse, à bout de souffle. Il creusa encore, tête la première, sentant les crabes lui frôler le front, trottiner le long de ses bras. Lorsqu’il fut parvenu à un mètre de profondeur, il se redressa et se dit qu’il délirait. Il n’y avait pas de corps ici.

Soudain, il se pétrifia. À ses pieds, le trou avait bougé. Les ténèbres brillaient, dessinant des mouvements luisants. Un sifflement jaillit, puis deux, étouffés par les micas. Des serpents. Marc bondit en arrière et tenta de remonter à la surface. En vain. Les bestioles se faufilaient entre ses pieds. Blanchâtres. Sinueuses. Abominables. Il s’immobilisa. Les serpents disparurent sans le mordre : un miracle. Il chuchota :

— Les gardiens du temple.

Aucun doute : le nid avait été placé par Reverdi lui-même. Une ultime mesure de protection à l’encontre des éventuels visiteurs. Mais comment avait-il pu prendre le risque de tuer Élisabeth ? Marc pressentait sa logique de cinglé : il l’offrait en sacrifice au destin. Si elle était l’Élue, les serpents l’épargneraient. Sinon, il n’y aurait rien à regretter…

— Putain de salopard, murmura Marc.

Ce piège lui redonna du nerf. Il démontrait qu’il y avait bien quelque chose enfoui là-dessous. Après avoir sondé la fosse, pour s’assurer que la voie était libre, il creusa de nouveau, les dents serrées, redoublant de rage. Arc-bouté, ahanant, il s’enfouissait dans le trou. Il avait du sable dans la bouche, dans les yeux, les oreilles. Toujours rien. N’en pouvant plus, il se remit debout, vacilla, puis se laissa tomber sur le cul.

Ce fut comme une décharge électrique.

Son poids n’avait pas produit le son mat attendu. Plutôt un froissement. D’un bond, il se retourna et déblaya avec frénésie. En quelques gestes, ses mains rencontrèrent un objet enveloppé de plastique. Il ne craignait pas le contact du cadavre. Au contraire, cette forme pâle, argentée, qui se dévoilait peu à peu, l’hypnotisait. Il parvint à dénuder le torse jusqu’aux hanches.

Sous le plastique, le cadavre était parfaitement conservé. Tête, épaules, hanches : tout se dessinait avec précision. La peau, très blanche, semblait immaculée, à l’exception des blessures noires qui marquaient, sous les plis transparents, le Chemin de Vie. L’ensemble avait un caractère de propreté aseptique.

Depuis combien de temps cette femme était-elle morte ? Elle aurait dû être rongée par les vers et les crabes. Reverdi utilisait sans doute une technique d’embaumement. Ou une méthode de protection imparable. Marc se souvenait d’un reportage qu’il avait effectué sur un « artiste anatomiste » allemand inventeur d’une technique de conservation des corps : « la plastination ».

Il dénuda complètement les jambes. Sans réfléchir, il remonta et écarta les flancs de sable, creusant un tunnel jusqu’à l’air libre. Puis il revint sur ses traces, s’allongea sur le ventre et attrapa le cadavre par les épaules. Ses mains glissaient sur le plastique, qui semblait huilé, enduit d’un baume de protection. Enfin, il parvint à saisir le corps et à le tirer jusqu’au-dehors. À cet instant, il éprouva la répulsion qu’il avait cru éviter.