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Ses autres correspondants sont des gens ayant subi un sort analogue au sien et lui envoyant des messages de soutien. Sept d’entre eux le contactent presque chaque soir : tous ceux dont le fils ou la fille a été tué de la même façon que Kimbie Dee. Ils répondent toujours présents. Parfois, il leur parle de vive voix ; au fil des ans, ils ont échangé des photos et d’autres documents.

Il y a toujours au moins un journaliste dans le lot. Randy ne leur répond jamais. Ces putains de médias occupent trop de largeur de bande sur le net – voir ce qui se passe aujourd’hui, par exemple. Et ils ne lui sont d’aucune utilité.

La dernière fois qu’il a discuté avec une journaliste, elle voulait savoir comment il vivait sa vie. Bordel, lui a-t-il répondu, je n’ai plus de vie. Ça fait quatorze ans que sa vie a pris fin, le jour où les flics ont frappé à la porte du mobile home qu’il habitait avec Terry, leur ont conseillé de s’asseoir et leur ont appris que Kimbie Dee avait été violée et assassinée. Sa vie a pris fin quand ils lui ont dit qu’ils tenaient le coupable, qu’ils n’avaient aucune idée de son mobile mais que, vu la présence d’une fiche dans le crâne de Kimbie Dee, ils savaient dans quel but on lui avait fait ça : à en croire le légiste, le type lui avait fourré un manche à balai qui lui avait perforé les intestins, l’avait violée pendant qu’elle perdait son sang puis l’avait pendue alors qu’elle était encore consciente.

Randy serre son clavier dans ses poings et ça ne lui fait pas de bien. Reprends-toi, calme-toi, continue ta traque. Ça va être long, tu l’as toujours su.

On a tué Kimbie Dee afin de produire une bande XV. Il y a un important marché clandestin pour ces horreurs. Une ou deux fois par an, quelqu’un se fait arrêter pour avoir vendu celle où figure la mort de Kimbie Dee. Parfois, on arrête aussi le type auquel il l’a achetée, et parfois Randy réussit à accéder au dossier d’un des suspects et à dénicher d’autres noms. De temps à autre – la dernière fois remonte à trois ans –, une connexion se fait et ses datarats lui rapportent une nouvelle information, lui permettent de remonter un nouveau maillon de la chaîne.

Ce qui conduit à une nouvelle arrestation. Et Randy reçoit une récompense. Ce dont il n’a strictement rien à foutre. Mais les flics et lui se rapprochent un peu plus du salaud qui a financé la production de la bande, sans doute un gros bonnet, un type qui consacre à son « plaisir » plus de fric que Randy n’en a jamais gagné en une année, un citoyen au-dessus de tout soupçon. C’est lui qui a filé une liasse de billets à un mec et lui a dit : « Voilà ce que vous devez faire à une petite fille blonde. »

Cela fait onze ans que l’homme qui a tué Kimbie Dee Householder repose six pieds sous terre. Randy était présent lorsqu’on l’a attaché sur la chaise. L’homme qui a engagé cette ordure court toujours.

Randy est bien décidé à le voir crever, lui aussi.

Dès que le net sera un peu moins encombré. Il accède aux sites d’info et découvre que la crise du jour a rapport avec l’Alaska, la Sibérie, l’ONU et l’atome. Il se souvient vaguement que l’Alaska est devenu indépendant après le Flash – l’ONU a obligé les USA à lui lâcher la bride.

Le président Hardshaw va s’adresser aux médias dans quelque temps ; Randy allumera la TV pour voir ça : il vote régulièrement pour elle et ne rate aucun de ses discours. Elle était Attorney General de l’Idaho peu de temps avant le meurtre. Si elle avait encore été en poste – ainsi que Harris Diem, celui que l’on appelle son éminence grise –, si elle n’avait pas été remplacée par un putain de démocrate pédé, elle se serait défoncée pour arrêter ces salauds pendant que la piste était encore chaude. Randy en est persuadé. Inutile de craindre une Troisième Guerre mondiale ; le Président fera le nécessaire pour la prévenir. À chacun son boulot.

Revenons à nos moutons. Continuons de surfer.

— On l’aura, Kimbie Dee, même si on doit foutre toute la planète en l’air.

Il ordonne à la voiture de se diriger vers Salt Lake City, où les connexions satellite sont meilleures et moins chères. Puis il gagne le compartiment arrière, se prend une bière dans le frigo, ouvre sa boîte aux lettres et commence à trier son courrier.

Un quelconque esprit pervers a décrété que cette année Ed Porter ne bosserait qu’avec des amateurs. Sans doute une bonne femme, un ponte femelle qui n’apprécie ni le chiffre de vente de ses bandes ni l’indice d’écoute de ses shows. Mais c’est en grande partie grâce à lui que Passionet se classe numéro un chez les femmes et numéro trois chez les hommes. Rendez-vous compte, un net sentimental que même les mecs adorent, et Porter est l’un de ses trois principaux producteurs, et on continue encore à le persécuter. À lui refiler des boulots de merde comme celui-ci.

C’est sûrement une bonne femme.

Enfin, il échappe provisoirement à Bill le Bœuf et à Candy la Connasse. Deux jours de répit, loin de Lune de miel de rêve, pour s’occuper de ce scoop.

Mais ce pilote, ce Hassan, est nul. Un militaire pure laine. Un coincé de première. À croire qu’il ordonne à son pouls de ne pas s’accélérer. L’impression qu’Ed retire de la fiche, c’est celle d’un type compétent en train de faire son boulot. À peine s’il frissonne au moment de lancer ses missiles. Et bien entendu, ces putains de bombes se contentent de traverser la glace avant de se perdre dans la boue de l’Alaska, et tout ce qu’il voit par les yeux de Hassan, c’est une série d’étincelles sur fond de banquise nocturne. Pas de victimes pour se consumer en hurlant de douleur ; pas de bourreau pour se réjouir de tant de souffrance et éclater d’un rire dément ; pas de drame, pas de passion, rien. Résultat de l’expérience : une machine bien huilée fonctionnant comme prévu.

Soit, en termes de XV, un zéro pointé.

Jesse sait que Naomi souhaite qu’il s’intéresse à la situation, et elle a raison, c’est important – pour preuve, il lui suffit d’écouter les centaines d’étudiants rassemblés dans la salle d’AcPol. Ça fait pas mal de monde, même pour l’université d’Arizona, mais ce n’est pas tous les jours qu’on peut assister en direct à une frappe spatiale de l’ONU.

Bien sûr, plutôt que de regarder ça sur une vieille TV, il aurait pu aller au dortoir – Passionet a branché l’un des pilotes – et vivre l’événement par procuration. Et s’il profitait d’une prochaine rediffusion ? Non, Naomi appelle ça de la pornographie guerrière.

Ce qu’il aimerait, en fait, c’est être seul avec Naomi, sans TV, sans XV, sans fringues… Il refoule violemment cette pensée. Le moindre sous-entendu de ce genre donnera lieu à une nouvelle querelle, et il n’a pas envie de se disputer avec Naomi, pas maintenant. Ça fait une bonne semaine qu’ils n’ont pas échangé un baiser.

D’un autre côté, s’il tient à décrocher son diplôme d’Ingénierie en réalisation, il doit obtenir au moins une Réussite significative en Économie de la conception moléculaire, donc ne pas rater le cours de demain à huit heures ; or il est déjà vingt-deux heures, et bien qu’il ait fini sa copie, il ne l’a pas relue et n’a pas consulté le dernier chapitre qu’on leur a fourni.

Mais le dos de Naomi – si doux au toucher, aux muscles pourtant si durs – est collé à son torse, de sorte que le plus joli, le plus rond des culs du campus n’est qu’à quelques millimètres de lui.

Jesse entend du bruit et lève les yeux. Il se passe quelque chose, l’écran tremble et ondoie. Tout le monde commente ce phénomène : de nos jours, la qualité des signaux digitaux prévient toute altération de l’image.