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Or, au moment précis où l’agent de change, obéissant aux indications de son ami, ouvrait le tiroir du bureau, il sursauta, tendit l’oreille, avait l’air stupéfait.

— Hein ? as-tu entendu ?

— Quoi donc ? Oui ? Il me semble.

— On a soupiré, n’est-ce pas ?

Mais déjà Hervé Martel s’était ressaisi :

— Ah non, pas de blague. J’en ai assez des soupirs de mon cabinet de travail. Ils m’ont déjà coûté assez cher. Oh, et puis je m’en fiche, après tout, puisque tu as les billets dans ta poche, les esprits peuvent bien.

— Les billets ? Non. C’est toi qui les a repris.

— Moi ? jamais de la vie.

Tous deux s’étaient retournés, ils contemplaient stupéfaits la petite table tout à l’heure couverte de liasses de billets de banque, entièrement dégarnie de toute espèce de papier à présent.

Hervé Martel, le premier, retrouva son sang-froid :

— Çà, par exemple, c’est fort. Tu es sûr que tu n’as pas pris ces billets, Maurice ?

— Absolument certain.

— Alors ils sont tombés par terre, ils ont glissé contre le mur.

Hervé Martel déplaça la petite table, la recula, chercha sur le sol.

— Pas du tout, rien n’est tombé, je ne les vois pas. Ah fichtre de fichtre.

Mais Maurice de Cheviron lui aussi, avait retrouvé son sang-froid :

— Ne t’énerve pas, l’aventure est stupide, et nous sommes tous les deux victimes d’une distraction. Parbleu, tu les as remis dans ton coffre-fort.

— Je suis certain du contraire.

Hervé Martel, toutefois, ouvrit le coffre-fort, fouilla :

— Je n’ai rien remis là-dedans. Regarde mon portefeuille est vide.

— Cent mille francs, c’est une somme, et cela vaut la peine qu’on y prête attention. Voyons, tu es sûr, Maurice, de ne pas les avoir pris ?

— Je te dis que j’en suis absolument certain.

L’agent de change machinalement, se fouillait. Non, il n’avait pas les billets sur lui :

— Ils ne se sont pas envolés, que diable, et en tout cas, ils n’ont pas pu sortir d’ici, puisque fenêtres et portes sont fermées.

— Mais bon Dieu de bon Dieu, jurait le courtier, c’est inadmissible cette aventure. Nous étions là tous les deux, et il y avait dix paquets, dix liasses, tu en es témoin. S’il ne manquait qu’un paquet, qu’une liasse, j’admettrais à la rigueur qu’un coup de vent, un mouvement maladroit… Mais nous étions tous les deux loin de la petite table.

— C’est vrai.

Maurice de Cheviron, gagné à l’inquiétude de son ami, montait sur le bureau, soulevait les cadres des gravures, comme s’il se fût attendu à trouver les cent mille francs cachés derrière l’un d’eux.

Rien.

Hervé Martel, de son côté, soulevait la trappe de la cheminée, bouleversait les coussins du canapé. Rien.

— Bon Dieu, c’est à se demander si tu n’avais pas raison tout à l’heure, et si quelque fantôme ?

— Des fantômes ? allons donc, des fantômes ? c’est bon pour les vieilles femmes, tu le disais tout à l’heure toi-même, Maurice. Des fantômes ? ce n’est pas une explication. Pourtant, il n’y a pas à dire, mes cent billets ont disparu en une seconde. Disparu le temps d’ouvrir ce tiroir. Ah, j’en deviendrai fou, ma parole.

— C’est de la prestidigitation, Hervé.

Mais Hervé Martel n’avait guère envie de plaisanter. Au rire de l’agent de change, brusquement, il éclatait en imprécations :

— Cela te va bien de faire l’imbécile sur mon bureau, hurla-t-il, descends donc, sapristi, remue-toi, aide-moi à chercher. Il n’y a pas de quoi rire, que diable.

Maurice de Cheviron descendit :

— Si, il y a de quoi rire, car enfin, mon vieux, étant donné que nous étions seuls dans la pièce, il faut bien admettre que tes billets n’ont pas pu disparaître. Donc, toute cette affaire n’est pas grave, ne peut pas être grave. Tu vas retrouver ton argent.

— Je ne sais pas si je retrouverai mes billets, criait-il, se traînant à genoux sur le tapis, pour regarder encore sous les meubles, mais en attendant, je ne les retrouve pas et je te préviens, Maurice, que si c’est toi qui les as cachés pour me faire une farce, je trouve cela de très mauvais goût. Voyons, Maurice, criait le courtier, en voilà assez, n’est-ce pas ? C’est drôle pendant cinq minutes, mais ça finit par ne plus être drôle du tout. C’est toi qui as pris ces billets ? dis-le, nom d’un chien !

Doucement, Maurice de Cheviron se dégageait :

— Tu es fou, tu es absolument fou, ma parole, pourquoi veux-tu que je t’aie fait une plaisanterie de cette nature ? Je ne comprends même pas que tu y penses, et en tout cas, puisque je te dis que je n’ai pas ton argent, c’est que je ne l’ai pas. Tu ne devrais pas insister.

L’agent de change, malheureusement, eut beau protester, il ne put convaincre le courtier. Hervé Martel, au point de colère où il était arrivé, n’était plus en état, évidemment, d’apprécier sainement les choses.

— Alors, si ce n’est pas une plaisanterie, dit-il, furieux, c’est un vol.

— Tu m’accuses, ma parole.

— Non, je ne t’accuse pas, mais enfin. Enfin, tu constates toi-même que nous venons de fouiller de fond en comble tout mon cabinet de travail, les billets y étaient. Ils n’y sont plus. Donc, forcément, fatalement, ils sont sur l’un de nous, toi ou moi.

— Comme ce n’est pas moi qui les ai pris.

— Eh oui, c’est stupide à la fin cette aventure. Tu viens de dire des absurdités, mais, en effet, il y a quelque chose de sûr. Les billets ne sont pas dans la pièce, à moins d’être sur nous. Il n’y a que nous, qui ne nous soyons pas fouillés, eh bien, finissons-en, retournons nos poches.

Maurice de Cheviron paya d’exemple. En un tournemain, avec une rapidité qui était un peu fébrile, il se dépouilla de sa veste, dont il vida les poches, avec un soin extrême, il la secoua, il l’agita. Les billets ne tombèrent pas du vêtement.

— Nous allons bien voir dans le pantalon.

De plus en plus énervé, l’agent de change se dépouilla de son pantalon, le secoua en tous sens, en retourna les poches. Sans plus de résultat.

— Es-tu convaincu ?

Hervé Martel haussa les épaules :

— Tu vas voir que je ne les ai pas non plus, fit-il. À son tour, il se déshabilla. En caleçon, en chemise,

les deux amis se regardèrent.

— C’est tout de même fort, commença Maurice de Cheviron, mais j’en aurai le cœur net, que diable.

Il déboutonna son faux-col, se dévêtit complètement :

— Là, maintenant, je pense qu’il est bien prouvé que les cent mille francs ne sont pas sur moi.

Hervé Martel l’avait imité :

— Ni sur moi.

Or, tandis qu’ils étaient ainsi déshabillés, un coup discret fut frappé à la porte du cabinet de travail.

— Entrez, cria Hervé, machinalement.

Le visiteur poussa la porte, la visiteuse plutôt, car c’était Rosalie, la vieille bonne qui venait avertir son patron que l’automobile l’attendait.

Ayant vu les deux hommes en petite tenue, Rosalie partit au galop dans le corridor, criant :

— Ils sont devenus fous. Ce sont des satyres. Au secours, au secours !

6 – L’INSAISISSABLE APPARAÎT

Ce n’était pas encore le grand luxe, le luxe des banques fastueuses où les clients sont invités à s’asseoir sur de vastes et moelleux fauteuils de cuir, mais tout de même le contentieux avait gagné en confortable, progressé en luxe et son aménagement faisait le constant orgueil de Pérouzin et de Nalorgne.

La veille même, les deux associés s’étaient rendus aux « Magasins Réunis » et y avaient fait l’acquisition d’un certain nombre d’objets de première utilité. Une corbeille à papier monumentale remplaçait l’antique carton à chapeau qui jusqu’alors en avait tenu lieu, des chaises neuves s’alignaient le long du mur, deux fauteuils de bureau tendaient des bras accueillants au milieu de la pièce, une lampe de cuivre, étincelante, trônait en bonne place sur la table de Nalorgne.