— Mais, sans doute. Il est en ce moment proprement ligoté et gentiment cloué au sol, dans un appartement que tu connais, rue Bonaparte.
— Chez vous, Juve ?
— Oui.
Et, du ton dont il aurait annoncé les choses les plus ordinaires, les événements les plus indifférents, Juve, sans souci de Nalorgne et de Pérouzin, qui cependant écoutaient ses paroles, raconta à Fandor les événements survenus depuis son arrestation.
— Mon petit, déclarait Juve, tu penses bien que si j’ai pris le moyen désespéré qu’était ton arrestation pour t’empêcher d’aller recevoir chez moi cet excellent Fantômas, c’est que j’avais l’intention d’être là moi-même au rendez-vous. J’en avais d’autant plus l’intention que, n’étant nullement paralytique, il me paraissait très opportun de profiter de la venue de Fantômas pour, une bonne fois, lui mettre la main au collet. Toi, tu étais lié par un scrupule d’honneur ; moi, je n’étais tenu par rien de semblable. D’ailleurs, entre parenthèses, tu m’avoueras, Fandor, que les scrupules d’honneur sont déplacés avec Fantômas. Tu allais tenir ta parole, toi. Lui ne tenait pas la sienne, puisque sa lettre était blanche. Enfin… Maintenant, Fandor, j’imagine que tu devines la suite. Fantômas, ligoté chez moi, m’avouait, avec une belle tranquillité d’âme, que si j’avais la victoire sur lui, il l’avait sur toi. Je le tenais à ma merci, mais toi, tu revenais accompagné de Nalorgne et Pérouzin qui, dans une lettre chiffrée, avaient reçu les instructions nécessaires pour t’assassiner proprement. Tu vois mon émotion, Fandor ?
— Mon bon Juve !
— Naturellement, je courais au plus pressé. J’abandonnais Fantômas chez moi, à la garde d’un sergent de ville que je faisais monter d’urgence, je téléphonais à la Sûreté, j’apprenais ainsi que Fantômas devait envoyer à Clamart un fiacre conduit par Prosper. Prosper a dû trahir en ne venant pas t’attendre. En tout cas, pour ma part, je me suis emparé d’un taxi-auto, parce que, de la sorte, je facilitais beaucoup la lutte que je prévoyais entre Nalorgne, Pérouzin et nous, puis je suis venu t’attendre. Tu sais le reste.
Tandis que Fandor, ému au plus haut point, semblait prêt à sauter au cou de Juve, tandis que Nalorgne et Pérouzin, épouvantés, s’attendaient d’une minute à l’autre à être proprement expédiés dans l’autre monde, Juve reprenait :
— Donc, voici, en ce moment, où nous en sommes ; toi, tu es sous le coup d’un mandat d’arrêt. Nalorgne et Pérouzin, eux, sont considérés comme d’honnêtes gens. Fantômas, enfin, est immobilisé chez moi, sous la garde d’un agent. Eh bien, mon petit Fandor, je crois que tout cet imbroglio va se dénouer rapidement. Moi, Juve, je vais rentrer d’urgence rue Bonaparte et conduire Fantômas au Dépôt. Fantômas, une fois arrêté, je me débrouille, ce ne sera pas très difficile, pour obtenir que mon mandat d’arrêt te concernant soit rapporté. D’autre part, j’obtiens deux mandats contre Nalorgne et Pérouzin. En possession de ces paperasses, je reviens naturellement te tirer de cette champignonnière, et…
Fandor ne laissa même pas à son ami le temps d’achever.
— Dépêchez-vous, Juve, supplia-t-il, dépêchez-vous. Si vous saviez comme j’ai hâte que vous soyez parti et revenu ? J’ai bien pour trois ou quatre heures à vous attendre, cela va me sembler terriblement long. Mais tout de même, Fantômas est arrêté. Ah, Juve. Juve, je crois que cette fois nous avons enfin débarrassé le monde du Maître de l’Effroi, du Roi de l’Épouvante.
Juve, qui remontait l’échelle de la champignonnière, répondait simplement :
— Je le crois aussi, Fandor. Je l’espère.
25 – LE CHÂTIMENT
— Imbécile, triple imbécile.
À peine Juve avait-il quitté en hâte son appartement de la rue Bonaparte, que cette exclamation retentissait, s’échappait de la bouche en furie de Fantômas, cependant que le monstre, réduit à l’impuissance et cloué sur le plancher comme une chouette le long d’un mur, s’efforçait en vain d’arracher les liens qui le retenaient et l’immobilisaient ainsi, le laissant à la merci de son adversaire.
— Imbécile, répéta Fantômas, en écumant de rage.
Ces injures s’adressaient à l’agent de police que Juve avant de s’en aller avait posté dans son cabinet de travail, revolver au point, avec l’ordre de briser les membres de Fantômas si d’aventure le bandit s’efforçait de vouloir s’échapper.
Impassible l’agent demeurait en face de Fantômas et considérait curieusement cette grande et superbe silhouette de tragédie et de crime désormais abattue, réduite à l’impuissance.
Fantômas, cependant, de son regard féroce, fixait le sergent de ville. Il reprit encore :
— Tu avais pourtant le revolver à la main.
— Oui, proféra enfin l’agent d’un ton énigmatique…
Fantômas poursuivit :
— Et ce revolver était chargé, il l’est encore.
— Oui.
— Eh bien ? eh bien ? continua Fantômas, dont la fureur augmentait sans cesse. Ne pouvais-tu pas tirer ? Il fallait le tuer quand il s’en allait, le tuer comme un chien. N’y as-tu point songé ?
L’agent eut un geste vague :
— Sans doute, fit-il, j’y ai bien songé, mais…
— Mais quoi ? grommela encore le captif…
L’agent, lentement, s’expliquait :
— Mais d’abord, j’aurais pu le manquer, et puis un coup de revolver, ça fait du bruit. On aurait pu l’entendre, quelqu’un peut-être serait venu.
— Mais peu importait, hurla Fantômas, puisque nous étions là tous les deux.
Cependant, peu à peu, l’agent reprenait de l’assurance et semblait s’accoutumer à Fantômas, bien convaincu désormais que le terrible bandit ne pouvait plus faire un mouvement. Le représentant de l’autorité reprenait :
— Eh bien, pour tout dire, si je n’ai pas tiré, c’est parce que je n’ai pas voulu. Après tout, Fantômas, ce n’était plus nos conventions. C’est lui, Juve, qui devait être pris, ligoté, immobilisé.
— Et alors ? fit Fantômas.
— Alors, poursuivit l’étrange sergent de ville, car une telle conversation était en effet étrange du moment qu’elle s’échangeait entre un représentant de l’autorité et le Génie du Crime, eh bien, voilà que c’est toi qui es immobilisé, ligoté à la place de Juve et prisonnier.
— Non, grogna Fantômas.
— Comment, interrogea l’agent, vous n’êtes pas captif ?
— Je suis libre, assura Fantômas, puisque tu es là.
L’agent se prit à sourire :
— Oh, oh, fit-il, ça, c’est pas dit que je te lâcherai.
Fantômas, à ces mots, grinça des dents :
— Es-tu donc un traître ?
— Non, répliqua simplement le gardien de la paix, homme qui véritablement avait des allures mystérieuses, non, je ne suis pas un traître, et si je le suis, peu importe. Je tiens surtout, dans la circonstance actuelle, à procéder d’une façon prudente et pratique.
Les deux hommes se toisèrent du regard. Des éclairs de menace brillaient dans leurs yeux.
Le gardien de la paix que Juve venait de poster à côté de Fantômas n’était autre que le cocher Prosper, merveilleusement grimé et que le policier n’avait pu reconnaître sous ce travestissement, étant à cent lieues de s’y attendre, de le soupçonner et surtout parce que Juve n’avait que très rarement entrevu le cocher Prosper.
Pourquoi ce dernier portait-il désormais l’uniforme de sergent de ville et s’était-il trouvé précisément dans la rue Bonaparte au moment où Juve avait éprouvé le besoin de requérir un représentant de l’autorité ?
Cela tenait à ce que Fantômas avait tout prévu. Non seulement le bandit, profitant des circonstances qui semblaient s’annoncer le mieux du monde pour lui, avait au dernier moment éloigné la concierge de l’immeuble en l’envoyant payer l’abonnement du téléphone, formalité négligée par le policier, mais encore il avait posté son complice dans les environs de la maison, se disant que la présence d’un faux gardien de la paix à proximité du théâtre de ses exploits pouvait avoir une utilité, quelle que fût l’issue de la bataille.