Выбрать главу

— Non, voyez-vous, déclarait-il, c’est une mine, que mon procédé ; rien à craindre, pas de frais généraux et de la galette tant qu’on en veut. Ah, on va se la couler douce, tous les trois.

— Enfin, Prosper, expliquez-nous donc un peu votre profession ?

— Que je vous l’explique ? répétait le cocher, eh bien, vous en avez de bonnes, j’croyais que vous l’aviez devinée. Allons, les poteaux, ouvrez les oreilles. Écoutez-moi bien. Je vous ai dit, n’est-ce pas, chaque mois, de tâcher de me savoir, c’est facile, dans votre métier, l’adresse de maisons de commerce qui ont de gros encaissements à faire, et le nom des gens qui doivent leur payer cet argent. Bon. Quand vous m’avez fourni ce renseignement, je m’arrange à me faire faire par un imprimeur une facture du modèle de celui qu’emploie la maison qui a l’argent à toucher. C’est pas malin, et puis, dame, après, ça va tout seul. Tenez, aujourd’hui 30, je savais que la maison Guinon devait payer quatre mille balles à la maison Miller et Moller. Vous m’avez procuré une facture de la maison Miller et Moller. Bon, à neuf heures du matin, raide comme balle, juste à l’ouverture des bureaux, j’étais chez Guinon. « Monsieur le caissier, que je leur ai dit, c’est pour un reçu Miller et Moller de quatre mille balles. Le payez-vous ? » — « Attendez, qu’il m’a dit, je vais voir si j’ai ça de marqué sur mon échéance. » Il a regardé. Naturellement, c’était marqué, et comme ma facture paraissait bonne, que de plus je suis revêtu d’un habit de garçon de recette, il m’a versé les quatre mille balles sans douleurs. Et allez donc. Comme je me présente le premier, il n’y a jamais de difficultés. C’est rond comme une galette, mon truc. Il n’y a qu’à se laisser faire. Celui qui se fait engueuler, c’est même pas moi, c’est le vrai garçon de recette, celui qui arrive avec la vraie traite, et qu’on prend pour un voleur. Ah, va te faire fiche, moi, j’suis loin.

Prosper se leva, tapa derechef sur le ventre de Pérouzin :

— C’est compris ? eh bien, mes petits enfants, je vous le répète, vous êtes des copains, des poteaux, j’vous propose la combine. Moitié, moitié, vous me fournissez des adresses, des renseignements. Comme vous écrivez mieux que moi, vous m’aidez à faire les traites, à imiter les signatures. En échange, je vous donne la moitié de mes bénéfices. Ah, au fait, en raison de notre première affaire, rendez-vous ce soir à huit heures et demie ici, ça va ? ça colle ? On croûte ensemble ?

Déjà le joyeux Prosper était parti.

— Évidemment, commença Pérouzin, évidemment, ce qu’il fait n’est pas honnête, et notre devoir…

— Oui, notre devoir nous oblige à le faire arrêter… Vous allez chez le commissaire, alors, Pérouzin ?

— Non, c’est vous qui y allez.

— Allons-y ensemble, voulez-vous ?

Ils avaient le chapeau sur la tête, le parapluie en main, quand, soudain, Nalorgne, timidement, remarquait :

— Il y a la banque aussi où il faut passer. La banque pour payer notre loyer.

— J’y songeais.

D’un commun accord, sans se consulter, les deux associés s’assirent. Puis, Nalorgne remarqua :

— Savez-vous, Pérouzin, que je me demande une bonne chose ? Nous avons peut-être tort de dénoncer Prosper en ce moment. Il serait peut-être plus sage d’attendre encore quelques jours, plus nous serons armés et mieux nous pourrons le confondre.

Deux heures plus tard, l’arrestation de Prosper était bien décidée en principe, mais rien n’annonçait qu’elle fût imminente. Ni Pérouzin, ni Nalorgne ne s’étaient rendus au commissariat de police, mais le loyer du « contentieux » était payé.

À sept heures et demie, les deux associés, brossés, lustrés, pommadés, attendaient, assis dans leurs deux fauteuils directoriaux, leur ami Prosper qui devait venir les prendre.

La sonnette retentit.

— C’est Prosper, hein ?

Non, ce n’était pas Prosper, mais une femme en grande toilette, couverte de bijoux :

— Madame Irma de Steinkerque, expliquait déjà Pérouzin qui était allé lui ouvrir, c’est paraît-il, l’amie, la très bonne amie de Prosper et elle a rendez-vous avec lui chez nous.

Pour le coup, la confusion de Nalorgne fut sans limite.

Comment, la belle Mme Irma de Steinkerque était la maîtresse de l’ancien cocher ? Devait-il en gagner de l’argent, ce cocher.

— Madame, commença-t-il, nous sommes, mon associé et moi, très heureux, très flattés, infiniment touchés de vous recevoir. Mais, Prosper ne dîne-t-il pas avec vous ?

Irma, elle, en bonne fille qu’elle était, ne se perdit pas en phrases de cérémonie :

— Ça, c’est rigolo, Prosper m’a téléphoné cet après-midi : « Va m’attendre chez mes copains, rue Saint-Marc. » Mince alors. Si je me suis doutée que ces copains-là, c’était vous, vous, les deux louftingues qui vous trouviez l’autre jour en déguisés chez Martel, je veux bien être pendue la tête en bas.

— Asseyez-vous donc, madame, chère madame. Sur ce fauteuil. Tenez vous serez mieux.

En même temps, Pérouzin bourrait de coups de coude son associé :

— Allez dans la cuisine.

Nalorgne l’y rejoignit quelques instants plus tard, il y était rejoint par Pérouzin, très pâle :

— Je lui ai demandé deux minutes pour aller signer le courrier, expliqua Pérouzin. Elle est fichtrement belle, qu’en dites-vous ? Elle est si belle que je pardonne presque à Prosper d’être devenu une crapule si c’est pour l’entretenir. Au fait, Nalorgne, est-ce ce soir, comme nous l’avions décidé, ce soir après dîner, que nous allons faire arrêter Prosper ?

— Jamais de la vie. Nous ne pouvons pas faire ça du moment que sa maîtresse est là. Ça ne serait pas délicat.

— Et puis il y a l’argent, l’argent que nous avons emprunté sur les deux mille francs qu’il nous a remis.

— Et puis, il faut que nous devenions tout à fait les amis de Prosper et de sa maîtresse.

Es en étaient là, lorsqu’un éclat de rire éclata dans la cuisine.

— Ah, ce que vous êtes farces tous les deux, à discuter dans votre cuisine, non, quoi, qu’est-ce que vous faites ? j’m’embête, moi, toute seule.

Irma s’était levée, les avait rejoints à pas de loup :

— Chère madame, protesta Nalorgne au hasard, nous sommes désolés, nous venions voir si notre cuisinière était encore là pour lui commander une tasse de thé pour vous, mais justement…

— Hé, lui répondit Irma avec une parfaite simplicité, vous bilez donc pas. Je ne suis pas une petite évaporée, moi. Le thé, j’trouve que c’est de l’eau chaude, et voilà tout. Et puis, Prosper m’a bien dit que vous étiez des copains, et pas des mecs à la pose. N’vous bilez pas qu’j’vous dis, c’est plus l’heure du thé, d’abord, c’est l’heure de l’apéro. Tiens, justement, voilà Prosper !

5 – CENT MILLE FRANCS DE MOINS

Le repas fut expédié.

« Viens déjeuner avec moi », avait écrit Hervé Martel à Maurice de Cheviron. Mais les deux hommes étaient pressés l’un et l’autre.

Comme on servait le café, un café bouillant qui refusait de se laisser boire, Cheviron tirant une cigarette de sa poche, entreprit son ami :

— Dis donc, mon vieux, sais-tu que c’est très gentil chez toi. Sans avoir l’air d’y toucher, petit à petit tu as transformé ton appartement. Une véritable bonbonnière. Des toiles de maîtres, des bronzes signés, peste, tu te mets bien.

— Pourquoi veux-tu que je me prive ?

— Je ne veux pas que tu te prives du tout, mais enfin, je t’admire. Tu vis sur un pied qui en dit long. Quand on a une automobile à la porte, une trente-cinq chevaux.

— Quarante, mon vieux.

— Mazette. On sait ce que cela coûte. Bref, on parle toujours des agents de change et des scandaleuses fortunes qu’ils font, je commence à croire que le courtage maritime est une opération encore plus lucrative.