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Puis il y eut une rectification. Une analyse plus poussée avait permis de trouver quelques molécules énormes, presque semblables à des cellules.

Puis une deuxième rectification : ces molécules se reproduisaient !

Donc, à partir de rien, la mange-machine fabriquait non seulement de la matière nutritive, mais de la matière analogue à de la matière vivante !

C’était incroyable, c’était difficile à admettre.

Dès qu’Eléa accepta de répondre aux questions, ils se bousculèrent pour savoir le quoi et le comment.

— Comment fonctionne la mange-machine ?

— Vous l’avez vu.

— Mais à l’intérieur ?

— A l’intérieur elle fabrique la nourriture.

— Mais elle la fabrique avec quoi ?

— Avec le Tout.

— Le Tout ? Qu’est-ce que c’est, le Tout ?

— Vous le savez bien... C’est ce qui vous a fabriqués vous aussi...

— Le Tout... le Tout... Il n’y a pas un autre nom pour le Tout ?

Eléa prononça trois mots.

Voix impersonnelle de la Traductrice :

« Les mots qui viennent d’être prononcés sur le canal onze ne figurent pas dans le vocabulaire qui m’a été injecté. Cependant, par analogie, je crois pouvoir proposer la traduction approximative suivante : l’énergie universelle. Ou peut-être : l’essence universelle. Ou : la vie universelle. Mais ces deux dernières propositions me paraissent un peu abstraites. La première est sans doute la plus proche du sens original. Il faudrait, pour être juste, y inclure les deux autres. »

L’énergie !... La machine fabriquait de la matière à partir de l’énergie ! Ce n’était pas impossible à admettre, ni même à réaliser dans l’état actuel des connaissances scientifiques et de la technique. Mais il fallait mobiliser une quantité fabuleuse d’électricité pour obtenir quoi ? Une particule invisible, insaisissable et qui disparaissait aussitôt apparue.

Alors que cette espèce de demi-melon, qui avait l’air d’un jouet d’enfant un peu ridicule, tirait avec la plus parfaite simplicité la nourriture du néant, autant qu’on lui en demandait.

Lebeau dut calmer l’impatience des savants, dont les questions se chevauchaient dans le cerveau de la Traductrice.

— Connaissez-vous le mécanisme de son fonctionnement ?

— Non. Coban sait.

— En connaissez-vous au moins le principe ?

— Son fonctionnement est basé sur l’équation universelle de Zoran...

Elle cherchait des yeux quelque chose pour mieux expliquer ce qu’elle voulait dire. Elle vit Hoover qui prenait des notes sur les marges d’un journal. Elle tendit la main. Hoover lui donna le journal et le bic. Léonova, vivement, remplaça le journal par un bloc de papier vierge.

De la main gauche, Eléa essaya d’écrire, de dessiner, de tracer quelque chose. Elle n’y parvenait pas. Elle s’énervait. Elle jeta le bic, demanda à l’infirmière :

— Donnez-moi votre... votre...

Elle imitait le geste qu’elle lui avait vu faire plusieurs fois, de se passer un bâton de rouge sur les lèvres. Etonnée l’infirmière le lui donna.

Alors, d’un trait gras, aisé, Eléa dessina sur le papier un élément de spirale, que coupait une droite verticale et qui contenait deux traits brefs. Elle tendit le papier à Hoover.

— Ceci est l’équation de Zoran. Elle se lit de deux façons. Elle se lit avec les mots de tout le monde et elle se lit en termes de mathématiques universelles.

— Pouvez-vous la lire ? demanda Léonova.

— Je peux la lire dans les mots de tout le monde. Elle se lit ainsi : « Ce qui n’existe pas existe. »

— Et de l’autre façon ?

— Je ne sais pas. Coban sait.

COMME ils en avaient pris l’engagement, les savants de l’EPI avaient communiqué, à tout ce qui dans toutes les nations du monde était capable de savoir et de comprendre, tout ce qu’ils savaient eux-mêmes et tout ce qu’ils espéraient savoir. La langue gonda était déjà à l’étude dans de nombreuses universités, et l’humanité entière savait qu’elle était à la veille d’un bouleversement extraordinaire. Un homme endormi et qu’on allait réveiller allait expliquer l’équation de Zoran qui permettrait de puiser au sein de l’énergie universelle de quoi vêtir ceux qui étaient nus et nourrir ceux qui avaient faim. Plus de conflits atroces pour les matières premières, plus de guerre du pétrole, plus de bataille pour les plaines fertiles. Le Tout allait donner tout grâce à l’équation de Zoran. Un homme qui dormait allait s’éveiller et indiquer ce qu’il fallait faire pour que la misère et la faim, et la peine des hommes disparaissent à tout jamais.

C’était pour demain. La salle opératoire était reconstituée, les derniers appareils venaient d’arriver, en remplacement de ceux qui avaient été détruits. L’équipe des techniciens s’affairait à les mettre en place et à les connecter. La deuxième opération allait pouvoir commencer.

La tempête s’était apaisée. Le vent soufflait encore, mais à ces latitudes il souffle toujours, et quand il ne dépasse pas 150 km heure, c’est une brise amicale. C’était le milieu de la nuit, le ciel était sans nuages, couleur bleu ardoise. Le soleil rouge rampait sur l’horizon. D’énormes étoiles, aiguisées par le vent, piquaient le ciel.

Deux hommes qui avaient travaillé tard dans la Sphère sortirent de l’ascenseur. C’était Brivaux et son assistant. Ils étaient exténués. Ils avaient hâte d’aller s’étendre et dormir. Ils étaient les derniers à remonter. Il n’y avait plus personne en bas.

Brivaux ferma la porte de l’ascenseur à clé. Ils sortirent du bâtiment aux murs de neige et s’enfoncèrent dans le vent en jurant.

Dans le bâtiment vide et noir, une tache ronde de lumière s’alluma. Derrière la pile de caisses d’où l’on avait sorti les derniers appareils arrivés, un homme accroupi se redressa en claquant des dents. Dans sa main la torche électrique tremblait. Il se tenait là depuis plus d’une heure, guettant la remontée des derniers techniciens, et, malgré sa tenue polaire, il était mordu par le froid jusqu’aux os.

Il vint à l’ascenseur, sortit d’une poche un trousseau de clés plates et commença à les essayer une à une. Ça n’allait pas, il tremblait trop. Il ôta ses gants, souffla sur ses doigts gourds, se battit le torse avec les bras, fit quelques sauts sur place. Le sang recommençait à circuler. Il reprit ses essais. Ce fut enfin la bonne clé. Il entra dans l’ascenseur et appuya sur le bouton de descente.

A l’infirmerie, Simon regardait Eléa dormir. Il ne la quittait plus. Dès qu’il s’éloignait, elle le réclamait. A l’indifférence glaciale dans laquelle elle s’était installée, s’ajoutait, lorsqu’il n’était pas là, une anxiété physique dont elle réclamait d’être immédiatement délivrée.

Il était là, elle pouvait dormir. L’infirmière de garde dormait aussi, sur un des deux lits pliants. D’une lampe bleue, au-dessus de la porte, venait une lumière très douce. Dans cette presque nuit à peine lumineuse, Simon regardait Eléa dormir. Ses bras reposaient, détendus, sur la couverture. Elle avait fini par accepter de revêtir un pyjama de flanelle, très laid mais confortable. Sa respiration était calme et lente, son visage grave. Simon se pencha approcha ses lèvres de la longue main aux longs doigts, presque à la toucher, n’alla pas plus loin, se redressa.