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Eléa se leva et courut vers la porte. Elle frappa un garde à la tempe, d’un coup terrible de sa main gauche fermée. L’homme tomba. L’autre saisit le poignet d’Eléa et le lui rabattit dans le dos.

— Lâchez-la ! cria Coban. Je vous interdis de la toucher ! Quoi qu’elle vous fasse !

Le garde la lâcha. Elle se précipita sur la porte. Mais la porte ne s’ouvrit pas.

— Eléa, dit Coban, si vous acceptez le traitement sans vous débattre, sans essayer de vous enfuir, je vous autoriserai à revoir Païkan avant d’entrer dans l’Abri. Il a été ramené à la Tour, il est informé de ce que vous êtes devenue. Il attend de vos nouvelles. Je lui ai fait promettre qu’il vous reverrait. Si vous protestez, si vous vous débattez au risque de compromettre votre préparation, je vous fais endormir, et vous ne le reverrez jamais.

Eléa le regarda un instant en silence, respira profondément pour reprendre la maîtrise de ses nerfs.

— Vous pouvez faire venir vos hommes, dit-elle, je ne bougerai plus.

Coban appuya sur une plaque. Une partie d’une cloison glissa, découvrant un laboratoire occupé par des gardes et des laborantins parmi lesquels Eléa reconnut le chef-labo qui les avait accueillis.

L’homme lui désigna un siège devant lui.

— Venez, dit-il.

Eléa s’avança vers le labo. Avant de quitter le bureau de Coban, elle se retourna vers lui.

— Je vous hais, dit-elle.

— Quand nous ressortirons de l’Abri sur la Terre morte, dit Coban, il n’y aura plus de haine ni d’amour. Il n’y aura que notre travail...

CE jour-là, Hoï-To était descendu dans l’Œuf avec le nouveau matériel photographique qu’il venait de recevoir du Japon, en particulier des projecteurs à lumière cohérente au moyen desquels il espérait éclairer la Salle du Moteur à travers la dalle transparente, et la photographier.

En s’arrêtant, le moteur du froid s’était éteint et la Salle au-dessous de la dalle était devenue un bloc d’obscurité. La température avait rapidement monté, la neige et le givre avaient fondu, l’eau avait été aspirée, le mur et le sol séchés à l’air chaud.

Pendant que ses assistants suspendaient les projecteurs à de courts trépieds, Hoï-To, machinalement, regardait autour de lui. La surface du mur lui parut curieuse. Elle n’était pas polie, elle n’était pas mate non plus, mais comme moirée. Il y promena le bout de ses longs doigts sensibles, puis ses ongles. Ils crissèrent.

Il fit braquer un projecteur sur le mur, en lumière rasante, regarda à la loupe, improvisa une sorte de microscope avec un téléobjectif et des lentilles. Il n’eut bientôt plus de doute : la surface du mur était gravée de stries innombrables. Et chacune de ces stries était une ligne d’écriture gonda. Les bobines de lecture de la salle des alvéoles avaient été décomposées par le temps, mais le mur de l’œuf, entièrement imprimé en signes microscopiques, représentait l’équivalent d’une bibliothèque considérable.

Hoï-To prit immédiatement quelques clichés, au grossissement maximum, en différents points du mur éloignés les uns des autres. Une heure plus tard, il les projetait sur le grand écran. Lukos, très excité, identifia des fragments de récit historique et de traités scientifiques, une page de dictionnaire, un poème, un dialogue qui était peut-être une pièce de théâtre ou une discussion philosophique.

Le mur de l’Œuf semblait être une véritable encyclopédie des connaissances de Gondawa.

Un des clichés projetés comportait de nombreux signes isolés, en lesquels Lukos reconnut des symboles mathématiques. Ils entouraient le symbole de l’équation de Zoran.

ELEA se réveilla étendue sur un tapis de fourrure. Elle reposait sur une couche douce et tiède posée sur du rien, elle flottait dans un état de relaxation totale.

Elle avait été examinée de la tête aux pieds, pesée à une cellule près, nourrie, abreuvée, massée, compensée, bercée jusqu’à n’être plus qu’un corps de poids exactement voulu, et de passivité parfaite. Puis Coban revenu lui avait expliqué le mécanisme de fermeture et d’ouverture de l’Abri, en même temps qu’il lui administrait lui-même, en fumée à respirer, en huile sur la langue, en brouillard dans les yeux, en longues modulations d’infra-sons sur les tempes, les divers éléments du sérum universel. Elle avait senti une énergie nouvelle, lumineuse, envahir tout son corps, le nettoyer de ses recoins de lassitude, l’emplir jusqu’à la peau d’un élan pareil à celui des forêts au printemps. Elle s’était sentie devenir dure comme un arbre, forte comme un taureau, en équilibre comme un lac. La force, l’équilibre et la paix l’avaient irrésistiblement conduite au sommeil.

Elle s’était endormie dans le fauteuil du laboratoire, elle venait d’ouvrir les yeux sur ce tapis, dans une pièce ronde et nue. L’unique porte se trouvait en face d’elle. Devant la porte un garde vert, assis sur un cube, la regardait. Il tenait du bout des doigts un objet de verre fait de minces tubes entrelacés en volutes compliquées. Les tubes fragiles étaient emplis d’un liquide vert.

— Puisque vous ne dormez plus, dit le garde, je vous préviens : si vous voulez essayer de sortir de force, j’ouvre les doigts, ceci tombe et se brise, et vous vous endormez comme une pierre.

Eléa ne répondit pas. Elle le regardait. Elle mobilisait toutes les ressources de son esprit en vue d’un seul but : sortir et rejoindre Païkan.

Le garde était grand, large d’épaules, épais de taille. Ses cheveux tressés avaient la couleur du bronze neuf. Il était nu-tête et sans arme. Son cou épais était presque aussi large que son visage massif. Il constituait un dur obstacle devant la porte unique. Au bout de son bras musculeux, de sa main rude, il tenait cet objet, infiniment fragile, obstacle encore plus solide.

— Ecoutez, Eléa, dit une voix, Païkan demande à vous parler et à vous voir. Nous le lui permettons.

L’image de Païkan se dressa entre elle et le garde. Eléa sauta sur ses pieds.

— Eléa !

— Païkan !

Il était debout dans la coupole de travail. Elle voyait près de lui un fragment de la tablette et l’image d’un nuage.

— Eléa ! Où es-tu ? Où vas-tu ? Pourquoi me quittes-tu ?

— J’ai refusé, Païkan ! Je suis à toi ! Je ne suis pas à eux ! Coban m’a obligée ! Ils me retiennent !

— Je viens te chercher ! Je briserai tout ! Je les tuerai !

Il brandit sa main gauche enfoncée dans l’arme.

— Tu ne peux pas ! Tu ne sais pas où je suis !... Je ne le sais pas non plus ! Attends-moi. je te reviendrai ! Par tous les moyens !...

— Je te crois, j’attends, dit Païkan.

L’image disparut.

Le garde, toujours assis, regardait Eléa. Debout au centre de la pièce ronde, elle le regardait et l’évaluait. Elle fit un pas vers lui. Il saisit le masque qu’il portait en sautoir et se le plaqua sur le nez.

— Attention ! dit-il d’une voix nasillarde.

Il remua légèrement, avec précaution, l’entrelacs fragile des tubes de verre.

— Je te connais, dit-elle.

Il la regarda avec surprise.

— Toi et tes pareils, je vous connais. Vous êtes simples, vous êtes braves. Vous faites ce qu’on vous dit, on ne vous explique rien.

Elle fit glisser l’extrémité de la bande bleue qui lui enveloppait le buste, et elle commença à la dérouler.

— Coban ne t’a pas dit que tu allais mourir...

Le garde eut un petit sourire. Il était garde, il était dans les Profondeurs, il ne croyait pas à sa propre mort.

— Il va y avoir la guerre et il n’y aura pas de survivants. Tu sais que je dis la vérité : tu vas mourir. Vous allez tous mourir, sauf moi et Coban.