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Partir, il faut partir.

Deux heures d’oxygène. Cinq minutes mortelles pour franchir la passe. Il reste une heure cinquante-cinq de plongée. C’est une chance, mince, étroite. Le grand sous-marin nous avale. Ou le grand avion nous picore. Sauvés. S’ils nous ratent, peut-être la tempête s’arrête et nous pouvons continuer en surface. Pas d’alternative. Partir...

Ils partirent. Une vague les jeta contre la roche. Ils retombèrent et rebondirent contre la roche d’en face. Ils retombèrent contre le fond. Le choc fut tel que l’homme-qui-avait-la-tête-tournée-vers-l’arrière eut les quatre incisives du bas fracturées. Il hurla de douleur, cracha ses dents et son sang. L’autre n’entendait rien. Dans ses lunettes réceptrices il voyait l’horreur déchaînée. Le vent arrachait la surface de la mer et la jetait, toute blanche, vers le bleu du ciel. Au moment où elle retombait, il crispa ses deux mains sur la commande d’accélération. L’arrière du fuseau d’acier cabossé cracha un énorme jet de feu et bondit dans les vagues, propulsé à la pointe de sa propre énergie.

Mais le jet n’était plus droit. Les chocs contre les roches avaient faussé la tuyère d’éjection. Le jet déviait vers la gauche et rugissait en tire-bouchon. Le sous-marin se mit à vriller sur lui-même comme une mèche, collant les deux hommes contre ses parois, vira à cent degrés, et se jeta contre une muraille de glace. Il y pénétra d’un mètre. Elle s’écroula sur lui et le broya. Le vent et la mer emportèrent dans une écume rouge des débris de chair et de métal.

Les caméras des deux avions-fusées enregistrèrent et expédièrent l’image du choc et de l’éparpillement.

La base fourmillait. Les savants, les techniciens, les cuisiniers, les balayeurs, les infirmières, les femmes de chambre avaient jeté en hâte leurs plus précieuses bricoles dans des valises distendues, et fuyaient EPI 2 et 3. Les snodogs les recueillaient à la sortie des bâtiments et les transportaient jusqu’aux entrées d’EPI 1. Dans le cœur de la montagne de glace, ils reprenaient baleine, leur cœur se calmait, ils se sentaient à l’abri. Ils se croyaient...

Maxwell savait bien que ce n’était pas vrai. Même si la Pile ne sautait pas, si elle était seulement fissurée et se mettait à cracher ses liquides et ses gaz mortels, le vent allait les emporter et en badigeonner le paysage jusqu’à la montagne de glace qui les arrêterait dans leur course horizontale et s’en gaverait. Le vent, ici, soufflait plus ou moins fort. Mais il soufflait toujours dans la même direction. Du centre du continent vers le bord. D’EPI 2 vers EPI 1. Inexorablement. Personne ne pourrait plus sortir des galeries de la montagne. Et, rapidement, les radiations y entreraient, par le système de ventilation qui cueillait l’air au moyen de vingt-trois cheminées. Il se ferait un plaisir de cueillir en même temps toutes les saletés rongeantes crachées par la Pile éventrée.

Maxwell répéta calmement :

— C’est très simple ! Il faut évacuer...

Comment ? Aucun hélico ne pouvait prendre l’air. Les snodogs, à la rigueur, pouvaient s’enfoncer dans la tempête. Il y en avait dix-sept. Il fallait en garder trois pour Coban, Eléa et les équipes de réanimateurs.

— Plutôt quatre. Et ils seront serrés.

— Tant mieux, ça tient chaud.

— Reste treize.

— Mauvais chiffre.

— Ne soyons pas stupides...

— Treize, ou mettons quatorze, à dix personnes par véhicule...

— On en mettra vingt !

— Bon, vingt. Vingt fois quatorze, ça fait... ça fait combien ?

— Deux cent quatre-vingts...

— L’effectif de la base, depuis la fin des gros travaux, est réduit à mille sept cent quarante-neuf personnes ? Ça fait combien de voyages ? Mille sept cent quarante-neuf divisé par deux cent quatre-vingts...

— Sept ou huit voyages, mettons dix.

— Bon, c’est faisable. On organise un convoi, les   snodogs   vont   déposer   leurs   passagers   et reviennent en chercher d’autres...

— Vont déposer leurs passagers où ?

— Comment, où ?

— L’abri le plus proche est la base Scott. A six cents kilomètres. S’ils n’ont pas de pépins, il leur faudra deux semaines pour y arriver. Et si on les dépose hors d’un abri, ils gèleront en trois minutes. A moins que le vent se calme...

— Alors ?

— Alors... Wait and see...

— Attendre ! Attendre ! quand ça peut sauter...

— Qu’est-ce qu’on en sait ?

— Comment, qu’est-ce qu’on en sait ?...

— Qui a dit que ces mines allaient sauter, même si on n’y touchait pas ? C’est Lukos. Qui nous prouve qu’il a dit vrai ? Elles ne sauteront peut-être que si on les bouscule. Ne les bousculons pas ! Et même si elles sautent, qui nous prouve que la Pile subira des dégâts ? Maxwell, vous pouvez l’affirmer ?

— Certainement pas. J’affirme seulement que je crains. Et je pense qu’il faut évacuer.

— Elle ne bougera peut-être pas du tout, votre Pile ! Vous ne pouvez pas faire quelque chose ? La protéger davantage ? Enlever l’uranium ? Vider les circuits ? Faire quelque chose, quoi ?

Maxwell regarda Rochefoux qui lui posait cette question, comme s’il lui avait demandé s’il pouvait, en levant le nez, sans bouger de sa chaise, cracher sur la Lune.

— Bon, bon... vous ne pouvez pas, je m’en doutais, une Pile, c’est une Pile... Eh bien, attendons... L’accalmie... Les démineurs... Les démineurs vont sûrement arriver. Mais l’accalmie...

— Où sont-ils, ces sacrés bon sang de démineurs ?

Le plus proche est à trois heures. Mais il se posera comment ?

— Que dit la météo ?

— La météo, c’est nous qui lui fournissons les renseignements pour ses prévisions. Si nous lui annonçons que le vent faiblit, elle nous dira qu’il y a une amélioration...

LE long de l’homme enveloppé, couchée contre lui, Eléa attendait, calme, les yeux clos. Son bras gauche était nu, et le bras de l’homme avait été découvert sur quelques centimètres à l’emplacement de la saignée. Les quelques centimètres de peau dégagée étaient marqués de plaques rouges des brûlures en voie de cicatrisation.

Ils étaient tous là, les six réanimateurs, leurs assistants, les infirmiers, les techniciens, et Simon. Personne n’avait eu un instant la pensée d’aller se mettre à l’abri dans la montagne de glace. Si les mines et la Pile sautaient qu’adviendrait-il de l’entrée du Puits ? Pourraient-ils jamais ressortir ? Ils n’y pensaient même pas. Ils étaient venus de tous les horizons de la terre pour rendre la vie à cet homme et à cette femme, ils avaient réussi avec la femme, ils tentaient avec l’homme l’opération de la dernière chance dans les limites d’un temps inconnu. Ils disposaient peut-être de quelques minutes, ils ne le savaient pas, il fallait ne pas perdre une seconde, il fallait ne rien compromettre en se hâtant. Ils étaient tous liés à Coban par les cordes du temps, pour la réussite ou pour l’échec, peut-être pour la mort.