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— Allô ! Je suis au Carrefour des Trois-Veuves. Je vous téléphone du garage qui se dresse à deux cents mètres de la maison des Andersen… Le Danois est rentré chez lui… La grille est refermée… Rien de spécial…

— La sœur ?

— Doit être là, mais je ne l’ai pas vue…

— Le corps de Goldberg ?…

— A l’amphithéâtre d’Arpajon…

Maigret rentra chez lui, boulevard Richard-Lenoir.

— Tu as l’air fatigué ! lui dit simplement sa femme.

— Prépare une valise avec un complet, des chaussures de rechange.

— Tu pars pour longtemps ?…

Il y avait un fricot sur le feu. Dans la chambre à coucher, la fenêtre était ouverte, le lit défait afin d’aérer les draps. Mme Maigret n’avait pas encore eu le temps d’enlever les épingles qui retenaient ses cheveux en petites boules dures.

— Au revoir…

Il l’embrassa. Au moment où il sortait, elle remarqua :

— Tu ouvres la porte de la main droite…

C’était contre son habitude. Il l’ouvrait toujours de la gauche. Et Mme Maigret ne se cachait pas d’être superstitieuse.

— Qu’est-ce que c’est ?… Une bande ?…

— Je l’ignore.

— Tu vas loin ?

— Je ne sais pas encore.

— Tu feras attention, dis ?…

Mais il descendait l’escalier, se retournait à peine pour lui adresser un signe de la main. Sur le boulevard, il héla un taxi.

— A la gare d’Orsay… Ou plutôt… Combien vaut la course jusqu’à Arpajon ?… Trois cents francs, avec le retour ?… En route !…

Cela lui arrivait rarement. Mais il était harassé. Il avait peine à chasser le sommeil qui faisait picoter ses paupières.

Et puis peut-être était-il un peu impressionné ? Non pas tant à cause de cette porte qu’il avait ouverte de la main droite. Pas non plus à cause de cette extravagante histoire de voiture volée à Michonnet et qu’on retrouvait avec un mort au volant dans le garage d’Andersen.

C’était plutôt la personnalité de ce dernier qui le chiffonnait.

Dix-sept heures de grilling !

Des bandits éprouvés, des lascars ayant traîné dans tous les postes de police d’Europe n’avaient pas résisté à cette épreuve.

Peut-être même était-ce pour cela que Maigret avait relâché Andersen !

N’empêche qu’à partir de Bourg-la-Reine, il dormait dans le fond du taxi. Le chauffeur l’éveilla à Arpajon, devant le vieux marché au toit de chaume.

— A quel hôtel descendez-vous ?

— Continuez jusqu’au Carrefour des Trois-Veuves…

Une montée, sur les pavés luisant d’huile, de la route nationale, avec, des deux côtés, les panneaux réclame pour Vichy, Deauville, les grands hôtels ou les marques d’essence.

Un croisement. Un garage et ses cinq pompes à essence, peintes en rouge. A gauche, la route d’Avrainville, piquée d’un poteau indicateur.

Alentour, des champs à perte de vue.

— C’est ici ! dit le chauffeur.

Il n’y avait que trois maisons. D’abord celle du garagiste, en carreaux de plâtre, édifiée rapidement dans la fièvre des affaires. Une grosse voiture de sport, à carrosserie d’aluminium, faisait son plein. Des mécaniciens réparaient une camionnette de boucher.

En face, un pavillon en pierre meulière, style villa, avec un étroit jardin, entouré de grillages hauts de deux mètres. Une plaque de cuivre : Emile Michonnet, assurances.

L’autre maison était à deux cents mètres. Le mur qui entourait le parc ne permettait d’apercevoir que le premier étage, un toit d’ardoise et quelques beaux arbres.

Cette construction-là datait d’au moins un siècle. C’était la bonne maison de campagne du temps jadis, comportant un pavillon destiné au jardinier, les communs, les poulaillers, une écurie, un perron de cinq marches flanqué de torchères de bronze.

Une petite pièce d’eau en ciment était à sec. D’une cheminée à chapiteau sculpté montait tout droit un filet de fumée.

C’était tout. Au-delà des champs, un rocher, des toits de fermes, une charrue abandonnée quelque part à l’orée des labours.

Et, sur la route lisse, des autos qui passaient, cornaient, se croisaient, se doublaient.

Maigret descendit, sa valise à la main, paya le chauffeur, qui, avant de regagner Paris, prit de l’essence au garage.

II

Les rideaux qui bougent

Lucas émergea d’un des bas-côtés de la route dont les arbres le cachaient, s’approcha de Maigret qui posait sa valise à ses pieds. Au moment où ils allaient se serrer la main, on entendit un sifflement progressif et soudain une voiture de course passa à pleins gaz au ras des policiers, si près que la valise fut lancée à trois mètres.

On ne voyait plus rien. L’auto à turbocompresseur doublait une charrette de paille, disparaissait à l’horizon.

Maigret faisait la grimace.

— Il en passe beaucoup de pareilles ?

— C’est la première… On jurerait qu’elle nous a visés, pas vrai ?

L’après-midi était grise. Un rideau frémit à une fenêtre de la villa Michonnet.

— Il y a moyen de coucher par ici ?

— A Arpajon ou à Avrainville… Trois kilomètres pour Arpajon… Avrainville est plus près, mais vous n’y trouverez qu’une auberge de campagne…

— Vas y porter ma valise et retenir des chambres… Rien à signaler ?

— Rien… On nous observe de la villa… C’est Mme Michonnet, que j’ai examinée tout à l’heure… Une brune assez volumineuse, qui ne doit pas avoir bon caractère…

— Tu sais pourquoi l’on appelle cet endroit le Carrefour des Trois-Veuves ?

— Je me suis renseigné… C’est à cause de la maison d’Andersen… Elle date de la Révolution… Autrefois, elle était seule à se dresser au carrefour… En dernier lieu, voilà cinquante ans, il paraît qu’elle était habitée par trois veuves, la mère et ses deux filles. La mère avait quatre-vingt-dix ans et était impotente. L’aînée des filles avait soixante-sept ans, l’autre soixante bien tassés. Trois vieilles maniaques, tellement avares qu’elles ne faisaient aucun achat dans le pays et qu’elles vivaient des produits de leur potager et de la basse-cour… Les volets n’étaient jamais ouverts. On restait des semaines sans les apercevoir… La fille aînée s’est cassé la jambe et on ne l’a su que quand elle a été morte… Une drôle d’histoire !… Depuis longtemps, on n’entendait plus le moindre bruit autour de la maison des Trois-Veuves… Alors les gens jasent… Le maire d’Avrainville se décide à venir faire un tour… Il les trouve mortes toutes les trois, mortes depuis dix jours au moins !… On m’a dit qu’à l’époque les journaux en ont beaucoup parlé… Un instituteur du pays, que ce mystère a passionné, a même écrit une brochure, dans laquelle il prétend que la fille à la jambe cassée, par haine pour sa sœur encore alerte, a empoisonné celle-ci et que la mère a été empoisonnée du même coup… Elle serait morte ensuite à proximité des deux cadavres, faute de pouvoir bouger pour se nourrir !…

Maigret fixait la maison, dont il ne voyait que le haut, puis regardait le pavillon neuf des Michonnet, le garage plus neuf encore, les voitures qui passaient à quatre-vingts à l’heure sur la route nationale.

— Va retenir les chambres… Viens ensuite me retrouver…

— Qu’allez-vous faire ?

Le commissaire haussa les épaules, marcha d’abord jusqu’à la grille de la maison des Trois-Veuves. La construction était spacieuse, entourée d’un parc de trois à quatre hectares, orné de quelques arbres magnifiques.

Une allée en pente contournait une pelouse, donnait accès au perron d’une part, de l’autre à un garage aménagé dans une ancienne écurie au toit encore garni d’une poulie.