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– Oui, j’ai apporté un petit Medikit, je vais avoir besoin d’un peu de votre sang et d’un échantillon de vos cellules de la couche cornée.

Elle continuait de me toiser, glaciale.

– Je présume qu’avec tout ça je peux espérer avoir la carte avant la fin de l’année?

– Vous l’aurez à la fin du siècle si vous continuez comme ça… Tendez-moi plutôt votre bras…

Son poing s’est détendu à une telle vitesse que j’ai rien vu. Il est venu s’immobiliser à un centimètre de mon nez.

J’ai ouvert le Medikit en silence, et j’en ai extirpé les instruments.

C’est en faisant les prélèvements que j’ai remarqué un détail qui m’avait jusque-là échappé. Il y avait un truc bizarre sous son épiderme. Ça courait sur toute la longueur des membres et ça s’étoilait en réseau aux articulations. C’était extrêmement fin, et translucide. Sous le faible éclairage du Centre, de loin, ça se confondait avec la peau, comme des reflets, mais là, juste sous mon nez, ça ressemblait foutrement à de la micro-fibre optique.

– Z’êtes câblée sur quelle chaîne? j’ai fait, pas très intelligemment, en insérant la seringue dans la veine voisine du drôle de réseau.

– Si vous le saviez, vous rigoleriez moins, m’a-t-elle vertement répondu. Et faites gaffe où vous plantez votre truc.

J’aurais presque pu entendre le mot “ connard ” qui devait ponctuer sa phrase, en pensée.

J’ai poussé un soupir et j’ai appuyé sur la gâchette de la sonde.

Ça a fait un bruit sec, puis un sifflement pneumatique et la capsule s’est remplie de quelques millimètres cubes de sang frais.

J’ai fait de même avec la petite micro-machine qui s’est occupée de prélever quelques particules de l’épiderme.

Quand j’en ai eu terminé, j’ai tout rangé et j’ai relevé les yeux.

Fallait que je rétablisse le courant.

– J’ai déjà vu ce genre d’exosquelettes, enfin des modèles moins performants, des trucs de l’armée, pour les combats en apesanteur c’est ça?… C’est quoi qu’on vous a mis, de la neurofibre artificielle?

Ça a fait un bruit mat, j’ai eu un flash rouge-noir avec plein d’étoiles, et, en même temps, je ressentais une violente douleur sur l’arête du nez. Je suis resté sonné quelques secondes.

Quand j’ai rouvert les yeux, Dakota me regardait, les bras croisés, un petit rictus aux lèvres. Je n’avais même pas vu son bras bouger.

Je me tenais le pif, en hochant la tête, pendant que ça pissait le sang.

Youri me refila d’urgence un Kleenex-Recyclo.

– Bon dieu, Dakota, mais qu’est-ce qui t’as pris? répétait-il sans discontinuer.

– Il me demandait c’était quoi comme genre de matériel, alors je lui ai fait une démo, a-t-elle répliqué. J’en ai marre de ses airs de Monsieur-Je-Sais-Tout-Faites-Moi-Confiance, je lui fais pas confiance, et il sait que dalle…

– Merde, Dakota…

– Ça fait bientôt deux mois que j’attends cette foutue carte, et lui il se ramène simplement ce soir pour faire les prélèvements, et il croit que je vais lui faire des sourires?

Putain, là, la moutarde m’est montée au nez.

Je me suis redressé et j’ai fait face à la môme. Elle ressemblait à un animal sauvage, et je me disais de plus en plus nettement que je me verrais bien la dompter.

Mais elle était d’une beauté tellement éclatante que ça n’a fait qu’amplifier ma colère.

Mes colères à moi c’est jamais très long, ni très spectaculaire. Je joue plutôt dans le registre azote liquide que lave éruptive.

J’ai d’abord pensé à lui afficher le nombre de zéros que son histoire m’avait coûté jusque-là, mais elle aurait trouvé ça mesquin. J’aurais pu lui raconter les nuits d’enfer à programmer la carte Zinovsky, avant d’attaquer la sienne, mais je me suis douté que ça ne l’émeuvrait que moyennement.

Je reniflais un mélange de morve et de sang, ça me dégoulinait jusque dans la bouche.

Je sais pas, l’idée m’est venue tout à coup, et en fait c’était pas une idée, juste une conclusion logique, mon cerveau l’a assimilée à une telle vitesse que je crois pouvoir dire maintenant qu’il y était préparé.

Ses yeux ont marqué un étonnement à peine réprobateur.

La beigne lui est arrivée pile poil au coin de la mâchoire. J’y suis allé sans complexe. Ça l’a sonnée et elle a vacillé sur le côté, mais s’est rétablie aussitôt, comme un tube de caoutchouc.

– Vous n’auriez jamais dû faire ça, qu’elle m’ a lâché, menaçante, et je me suis dit “ ça y est mec, maintenant tu vas morfler pour de bon ”.

– C’est une certitude absolue, en effet, elle a lâché, entre ses dents.

– Quoi? j’ ai fait.

– Vous allez morfler.

Y avait comme un arc électrique invisible entre nous.

Je m’attendais à une dérouillée sévère, me doutant que son réseau neuromusculaire artificiel lui avait pas été greffé pour qu’elle chante des berceuses. Et l’Ecole de l’ONU, ça devait cacher une agence illégale liée au Pentagone, pour entraîner les mômes comme elle à devenir de bons petits soldats d’ élite…

Puis j’ai tilté.

Comment qu’elle avait fait pour savoir que j’avais pensé que j’allais morfl…

Nos yeux étaient rivés comme les modules de connexion entre deux stations, rien n’aurait pu les dessouder, même pas, j’en suis sûr, l’explosion d’une bombe atomique sur la ville voisine.

Ça a fait comme une boucle neurofractale, quand vous vous retrouvez piégé dans un univer-gigogne. En même temps que je comprenais, je voyais son propre regard s’éclairer en retour, et évidemment je comprenais ça d’autant mieux que j’étais en train de piger, et qu’elle s’en rendait compte, etc.

J’ai senti une grosse boule de granit descendre mon oesophage. L’univers entier en était réduit à cette paire d’yeux.

J’ai essayé de ralentir mon rythme cardiaque, et je me suis demandé comment interrompre la suée qui me dégoulinait de partout.

Je me suis concentré pour faire de mon esprit un tableau blanc, et j’ai énoncé mentalement;

“ Vous êtes télépathe? ”

Bam!

Un choc, énorme. Le voile noir. Je suis tombé en arrière dans une nuée d’étoiles rouges, et avec la sensation que quelqu’un venait de me lâcher un train de marchandises sur le coin de la gueule.

Il me semblait me souvenir qu’elle avait accompli une rotation complète sur elle-même avant de détendre son pied. J’avais rien pu faire.

Après, j’sais plus.

Lorsque je me suis réveillé, j’avais la tête soutenue par Youri, c’était flou.

J’ai mis une bonne minute pour voir net. Elle se tenait derrière Youri. Quand j’ai pu discerner son expression, j’y ai vu un mélange de gêne et d’assurance de son bon droit, du genre: vraiment désolé, mais vous l’avez bien cherché.

Sans que rien ne soit dit.

J’ai laissé retomber ma tête en arrière et je me suis marré, “ Putain, vous avez le don de faire tomber des pianos du ciel, vous venez de Toon-Ville, c’est ça? ”, j’ai pensé très fort.

Il y a eu de longues secondes de latence. Il subsistait comme une lumière d’orage dans ses yeux. Mais toute sa structure s’est détendue.

“ J’ai dosé le coup juste assez pour vous sonner, j’aurais pu vous fracasser la mâchoire… ”

Ça m’a foudroyé, cette simple phrase.

Je l’ai “ entendue ”, clairement énoncée par mon cerveau, mais sans que ma volonté y soit pour quelque chose. C’était même pas ma voix intérieure habituelle, c’était féminin, et, surtout, le message fut accompagné d’une symphonie de molécules. Une montée émotionnelle, à la limite de la transe, je pouvais pratiquement reconnaître certaines substances neurochimiques auxquelles j’étais habitué. Ça ressemblait pas un peu au quasar XPress? Ou à ce truc, là, l’hyperplane?

“ Si vous parlez de l’alpha 9-logo-métaendorphine, alors oui, c’est ça.

– Je connais pas cette molécule, j’ai répondu mentalement.

– C’est normal, a fait la voix à l’intérieur de ma tête, il n’y a que nous qui savons la synthétiser. ”

Fizz! jets de molécules.

J’arrivais à réfléchir, l’habitude des drogues, mais pour la première fois de ma vie je savais que je faisais ça sans l’intimité de ma boîte crânienne.

“ Vous manipulez à distance mes centres neuroverbaux grâce à la synthèse de molécules spéciales qui permettent la neuroconnexion entre nos deux consciences, c’est un truc comme ça? ” j’ai énoncé, mentalement.