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Tout ça pour dire que les Triades payaient rudement bien, elles auraient pu racheter la Compagnie de Mickey Mouse et la ville de Paris, cash, si elles n’avaient pas intelligemment préféré les racketter.

Pour nous, ça a bien marché pendant cinq ans. On se faisait du pognon, on commençait à fréquenter les célébrités du “ sub-monde ”, on vivait comme des rock-stars, harcelés de groupies en chaleur, qu’on retrouvait jusque dans nos plumards, après une nuit passée à se faire vider dans un HyperDôme quelconque, par d’autres créatures au sexe indéterminé. Ce fut la grande époque des premiers hallucinogènes à dimension neurofractale, les premières neuronexions avec des cerveaux artificiels, les expériences “ cyberdéliques ”, où plusieurs esprits humains se partageaient les ressources d’une intelligence artificielle, tout ça on se le prit de plein fouet, en pleine ascension. On parlait de rupture épistémologigue majeure, des sociologues, des éco-ethnologues proclamèrent la venue d’un nouvel âge. Nous, on se tapait des gonzesses, on se neurobranchait sur des univers virtuels qu’on créait à plusieurs, ou en solitaire, on avalait toutes les molécules disponibles d’un bout à l’autre de la planète, et on vidait des comptes pour alimenter la machine.

Ça pouvait pas durer éternellement, c’est sûr.

*

Le premier à s’être fait serrer, c’est Djamel. Au printemps 2032, les flics de la Ceinture l’ont chopé pour une obscure histoire de sexe et de drogue illicite avec une mineure, et lors d’une perquise ils sont tombés sur ses disques “ secrets ”, bourrés de neurovirus dernière génération, des trucs qu’il achetait régulièrement à une Triade d’Ivry. C’est passé au ras de nos fesses, à Zlatko et à moi. On s’est évanouis dans la nature, chacun de son côté, en se demandant si Djamel respecterait notre code d’honneur, celui de ne trahir en aucun cas ses associés, et de porter le chapeau, seul, en cas de problème. Zlatko s’est cassé pour le Brésil, où je crois qu’il est encore, moi j’ai commis l’erreur de rester dans le coin, en Europe, pas trop loin.

Je suis allé en Tchécoslovaquie, sous une fausse identité, puis en Hongrie, sous une autre. Je suis resté deux ans à Budapest, avec une émigrée néo-zélandaise. Quand elle m’a plaqué pour un “ type qui essayait vraiment de faire quelque chose de sa vie ”, un jeune peintre américain qui faisait beaucoup d’efforts pour ressembler à Warhol, j’ai zoné en Allemagne, vidant ce qui me restait de pognon, et un beau matin je me suis retrouvé dans une bagnole qui partait pour Paris, avec un Danois et deux Allemandes de Berlin. J’y grillais ma dernière identité factice, ainsi que plusieurs millions de neurones, dans une dérive qui dura près d’une semaine. Une semaine de dinguerie pure, faite de sexe dans toutes les positions et tous les endroits possibles, de jour, de nuit, à l’arrêt, en roulant, le tout avec un stock de drogues neurofractales illicites que j’avais déniché dans un cyberbazar à moitié clando, près de l’ancien Mur.

En arrivant, il me restait de quoi survivre un mois ou deux dans un hôtel de seconde zone. J’ai même pas pensé qu’un autre choix était possible.

Trois mois plus tard, j’avais déjà détourné un bon paquet de comptes bancaires, en me servant d’un Personal neuroComputer dernier cri, dopé par une volumineuse panoplie de logiciels interdits, une association avec Youri Krevtchenko, le seul vrai pote que j’ai jamais eu dans la conurb sud, à part Zlatko et Djamel.

Les choses étaient déjà en train de changer à l’époque.

L’armée américaine avait, paraît-il, doté ses intelligences artificielles de neurotoxines mortelles, pour tout visiteur intempestif à l’intérieur de ses bases de données stratégiques. Le sujet était en discussion dans plusieurs Forums de l’ONU à l’époque, mais un agent des services secrets américains, qui désirait garder son incognito, avait fait savoir surle Net que “ peu importe la décision que prendra l’ONU en la matière, nous savons fabriquer ces programmes, nous possédons la technologie nécessaire, cela veut dire qu’ils pouront être réactivés à tout moment, et dans le plus grand secret bien entendu ”.

Ça avait le mérite d’être clair.

Et ça provoqua la mort de Dixon Orbit, un de mes potes du “ sub-monde ”, un type d’Autobahn-City, dans la Ruhr. Il commit l’erreur de s’attaquer à une entreprise qui servait de couverture à la CIA, ou un de ses dérivés, on ne sut jamais vraiment. Lorsqu’il ressortit de l’univers neurovirtuel, qu’il retira son casque-interface et décida de se taper une virée dans un bar, pour boire une bière, se lever une pute et fêter ça dignement toute la nuit, il était juste en descente de neurofractales, un état normal pour tout pirate techno, à la longue.

Il s’est allongé sur le lit, s’est endormi et ne s’est jamais réveillé.

On l’a retrouvé dix jours plus tard. C’était l’été. Un été, hyper-chaud, un des premiers grands étés tropicaux, en Europe. Le voisin qui avait un double des clés et qui a pénétré dans l’appartement pensait avoir affaire à une simple panne de courant, et à des steaks de cloneviande qui auraient pourri dans le bac d’un congélo.

Les toubibs conclurent à une rupture d’anévrisme, tout en indiquant la présence de protéines bizarres et des traces résiduelles de drogues qui pourraient les expliquer.

En un an, une dizaine de cas analogues se produisirent, rien que dans mon secteur, la conurb Parisud.

Pour Kader “ Speed17 ”, de Créteil, la chose se passa ainsi: un jour il se brancha sur un univers virtuel de sa confection, à l’intérieur, de son propre neuromonde. ll le fit sans savoir que, lors de sa dernière neuronexion avec l’extérieur, les flics de la TechnoPol y avait infiltré un virus militaire très puissant. Son IA personnelle lui paraissait toujours dévouée, mais n’était plus qu’un clone qui travaillait pour l’ennemi, une brigade spécialisée de la Ceinture Sud. En trois mois, la neuromatrice enregistra assez de délits pour que les flics l’envoient au frais une bonne dizaine d’années. ll y est mort au bout de cinq, lors de l’épidémie de méningite mutante.

Pour moi, ce fut encore différent.

Un soir, après m’être gentiment branché sur un SexNet japonais, j’avais dérivé dans quelques banques d’informations sévèrement protégées, en compagnie d’une jeune Chinoise à qui je faisais mon numéro alors qu’elle était physiquement à douze mille kilomètres de là. La fille proposa de me “ neurocharger ” un nouvel hallucinogène fractal que les étudiants de l’université de Shanghaï fabriquaient sous le manteau. J’ai accepté.

Ce soir-là, la nuit était belle, je m’en souviens clairement. La fille de Shanghaï m’a vampé, on a fait l’amour via le réseau, en état “ neurotronique ”, comme d’autres millions d’êtres humains, puis je me suis couché, sombrant dans le sommeil alors que le soleil se levait.

J’ai fait un drôle de rêve cette “ nuit ”-là. Je me suis retrouvé avec la Chinoise dans une cabine spatiale, où on a testé chaque cloison, chaque recoin, un Kama-Sutra complet en gravité zéro. Ça me sembla durer des heures à chaque fois, et entre chaque coup on discutait, en état d’apesanteur. Je savais pas ce que je lui racontais au rêve de Chinoise, mais j’arrêtais pas, et je sais pas combien de temps ça a duré. Un matin je me suis réveillé, avec une solide gueule de bois, et l’impression très nette de la non-gravité dans toute ma charpente, je me suis dit que les biochimistes de l’université de Shanghaï étaient de sacrés petits rigolos. J’étais en train de me diriger vers la salle de bains d’un pas hésitant, quand mon IA personnelle m’a prévenu qu’un code de perquisition judiciaire venait de lui arriver, et qu’une dizaine de flics sortaient à l’instant de l’ascenseur. Moins de trente secondes plus tard, un type de cent kilos me lisait mes droits assis sur mon dos, en me passant sans ménagement une paire de menottes magnétiques à radioémission. Ma tête était coincée de telle manière que je pouvais voir les restes de la porte encore fumants, là où les microbilles d’exogène avaient fait exploser les gonds.