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C’est à ce moment-là que le type à la capuche noire s’est avancé d’un ou deux pas dans notre direction, il a écarté Clando du bras et il s’est planté devant moi.

J’entendais son souffle métallique par le micro buccal de sa combinaison.

– Ça va comme ça, HG.

Il a dézippé d’un coup sec le masque facial de sa capuche et j’ai dévisagé une tête que j’avais pas vue depuis plus de douze ans.

– Djamel? j’ai fait, abasourdi.

Le visage de mon ancien complice s’encadrait dans le capuchon noir, en lame de couteau, ses yeux bleus de Kabyle me fixaient comme deux armes séduisantes.

L’avait fait du chemin, le Djamel, depuis qu’il était tombé. Il m’a vite expliqué qu’il était lieutenant de Brigade chez les Zombies, Officier de liaison International, l’élite, et que j’avais intérêt à arrêter de débiter mes conneries. Ils avaient pas de temps à perdre.

C’est à ce moment que les deux autres zigues se sont ramenés, mais sans dézipper leur masque.

– Ecoute, il m’a froidement expliqué, on sait tout, et tout est consigné dans le mandat légal dont Clando t’a parlé, t’as droit à une synthèse de ton dossier, comme tes droits l’exigent, alors si tu veux, on te laisse lire… Par quoi tu veux qu’on commence, par la carte Zinovsky? Là, je me la suis bouclée. Mon cas s’aggravait de minute en minute.

– Ecoute (je me souvenais brusquement de ce tic verbal, des souvenirs venaient se mêler au réel, comme dans un drôle de rêve éveillé)… On va pas t’asticoter plus longtemps sur le coup de l’EDF, ce qu’on cherche est plus important.

Je voyais le truc venir, comme un bulldozer.

– Qu’est-ce qu’il y a de plus important que le disjonctage du réseau de l’EDF? j’ai craché, entre mes dents cassées, et mes gencives pleines de sang.

Djamel me regardait de ses yeux bleus à l’insondable densité.

– Il y a Dakota Novotny-Burroughs, HG, voilà ce qu’il y a de plus important.

J’essayais de soutenir son regard en me demandant très fort qui était cette parfaite étrangère. On est pas télépathe dans la TechnoPol, mais on suit des cours de décodages comportementaux, et ça suffit pour détecter si quelqu’un ment.

– Vois pas… j’ai commencé.

– Ta gueule… (je me la suis bouclée). Ecoute, je vais rapidement te présenter les deux messieurs qui m’accompagnent… A la différence des simples flics comme nous autres, ils agissent directement sous l’autorité d’un département de l’ONU (oh! putain de Dieu, je me suis dit, tout en soutenant froidement le regard de Djamel)… Donc, ils sont protégés par le secret absolu et ils sont pas obligés de te dévoiler leur identité, ni te dire pourquoi ils enquêtent, ni quelles charges pèsent contre toi, ni rien du tout. Toi, par contre, tu vas être obligé de tout déballer. Tu risques la perpèt’ sinon.

J’ai hoché la tête, en crachant un morceau de dent.

– Vous auriez dû commencer par là, ça vous aurait évité un constat médical.

– On était obligés d’agir en priorité sous notre juridiction, et tu connais les méthodes de Clando. En cas d’échec, et, de toute façon, en deuxième vague, ces messieurs ont pour mission de t’interroger au sujet de cette terroriste.

– C’est pas une terror…

Je me suis coupé, c’est sûr, mais bien trop tard. Pas besoin de ParanoMétanol. Une micro-seconde d’inattention, le don inné de Djamel pour vous emballer le morceau, et vous faire avouer l’inavouable, comme entre potes, plus les coups, le Tchernovik, et le stress, ça a suffit…

J’ai plongé. Bien sûr, j’ ai dû avouer que je connaissais Dakota, mais quand les deux types anonymes et sans visage m’ont questionné, avec un drôle d’accent, j’ai passé sous silence le plus important, le fait que je connaissais toute l’étendue de ses facultés, et surtout qu’elle attendait une môme de moi.

J’ai essayé de résister le plus finement possible à leur assauts répétés mais ils abbattent carte sur carte. Le summum a été atteint quand Djamel m’a expliqué comment ils étaient remontés jusqu’à moi.

Lorsque j’avais opéré pour la Triade de Tchou, avec la fausse carte Zinovsky, je ne savais évidemment pas que le même Zinovsky était surveillé de très près par la TechnoPol, à cause d’un trafic de biotechnologies auquel il se livrait. Les réseaux de la police avaient intercepté mes mouvements bancaires, et ils y avaient décrypté ma “ signature ” particulière.

C’est là que ça devenait gratiné. Quand elle avait mis le feu dans le réseau de la conurb, Dakota s’était servie de la carte Zinovsky.

Et ma “ signature ” fut détectée sur un terminal bancaire du coin.

– Mais comment ça? j’avais hurlé, la carte Zinovsky j’lai détruite après usage, merde j’en suis sûr, avouant en une seule phrase de quoi m’envoyer à l’ombre pour une demi-vie de carbone 14.

Ouais, sauf que ce dont j’aurais dû me douter me fut clairement expliqué par un des types sans visage: Dakota s’était démerdée pour copier tout le contenu de la carte au moment où elle résidait dans la mémoire centrale de ma neuromatrice. C’est un truc qu’elle maîtrise, saviez ça, non? m’avait-il négligemment demandé, avec son accent germanique, ou nordique, métallisé par le micro buccal. Et voilà, grâce au code d’accès de la carte Zinovsky qu’elle avait copiée dans sa mémoire vive personnelle, biologique, Dakota avait eu un point d’entrée tranquille sur le réseau.

Trois jours de panne généralisée, quinze jours de bordel, un mois pour tout remettre en état, six semaines en comptant les fignolages, m’avait dit Djamel, la perte du PIB régional suffirait à financer un programme spatial. J’avais gravement merdé, me faisait-il. Ecoute, t’as vraiment merdé.

J’ai pas craché le morceau concernant sa nouvelle identité, mais je me suis maudit de ne pas avoir pensé à me l’effacer de la mémoire, comme je l’avais fait dans celle de la neuromatrice. Une connerie de débutant. Si ces enculés m’avaient injecté le shoot d’hallucinogène désinhibiteur, elle aurait été grillée.

On a pris bonne note de mon esprit coopératif, lors de l’investigation judiciaire. J’en ai pris pour douze ans, dont dix fermes. Récidive. Faux et usage de faux systèmes de crédit et d’identité. Complicité d’actes criminels accomplis dans le cadre d’une entreprise terroriste. Avec les remises de peine, mais j’en aurais pas des masses vu mon statut de récidiviste, il me reste encore sept ou huit ans à tirer. Je suis arrivé à décrocher du Tchernovik, mais, vu le régime médical et alimentaire local, j’ai passé trois semaines d’enfer, à nager dans mon vomi. Quant à l’enculé qui m’avait fait ça, si c’est bien celui auquel je pense, alors je peux vous dire qu’il a commis cinq nouveaux meurtres d’adolescentes depuis que je suis au ballon.

J’ai pas de nouvelles de Dakota, et j’attends pas de miracles dans l’immédiat, de ce point de vue-là.

On se fait vite chier à Viroflay. Je connaissais déjà les matons, qui m’ont reconnu eux aussi. Avec les détenus à l’ombre depuis ma première époque, c’est pratiquement un club de retraités, maintenant.

Je me suis dit que, quitte perdre mon temps entre quatre murs, autant faire de la littérature, pourquoi pas?

C’est un type du bloc d’à côté qui m’a raconté qu’un visiteur de la prison lui avait parlé d’un grand quotidien francophone, qui cherchait des histoires noires à l’occasion d’un numéro spécial sur la criminalité contemporaine. Comme j’avais dit à Spot, le détenu en question, sûr que c’est à la porte qu’y-z-ont frappé.

Des histoires noires? Des histoires d’ascension, de chute, de manipulations, de crimes, de rédemption, de combats désespérés contre des pouvoirs plus forts et plus secrets? Des histoires de technologies devenues le théâtre de la transparence du mal? Des histoires de conurbations de trente-cinq millions d’habitants, où parfois les anges tombent du ciel, pour venir se brûler les ailes sur les enseignes électriques du Grand Néon Universel, et vous brûler avec? Et, au passage, apporter chaos et destruction, tout autant que la vie?

Attendez voir, j’ai peut-être une idée, j’avais dit au visiteur de la Prison…