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Gérard de Villiers

La panthère d’Hollywood

Chapitre premier

« Darling »

Jill Rickbell ôta doucement des mains du Navajo la coupe de Champagne qu’il tenait maladroitement et s’approcha de lui à le toucher. Le boléro et le pantalon de soie sauvage mauve, portés sans aucun dessous, dessinaient les détails les plus intimes du corps de la jeune femme.

— Venez, Zuni, souffla-t-elle.

L’Indien frémit comme un cheval qu’on flatte, mais il ne se rapprocha pas. L’alcool, auquel il n’était pas habitué, lui faisait tourner la tête, mais le monde des Blancs l’effrayait. De plus, il n’était qu’un domestique, dans cette maison si belle qu’il n’aurait pu l’imaginer lorsqu’il était encore dans sa réserve d’Arizona, dans le Désert Peint. Il n’aurait jamais dû se trouver là, derrière les colonnades de la piscine, avec cette femelle blanche qui s’offrait. « Darling » Jill passa la langue sur ses lèvres sèches. Le corps du jeune Indien, moulé étroitement dans le vieux blue-jean et le T-shirt blanc lui donnait envie de planter ses griffes dedans.

Dans le vaste échantillonnage de mâles qui avait jalonné sa jeune existence, il n’y avait pas encore eu d’Indiens.

Et celui-là, elle n’allait pas avoir le temps de beaucoup en profiter.

Un brouhaha de musique et de conversations s’échappait des grandes baies vitrées ouvertes sur le jardin et la piscine. L’air était tiède et les innombrables étoiles du ciel californien brillaient entre les hauts cocotiers de Beverly Drive, une des avenues les plus élégantes de Beverly Hills, Mecque des milliardaires californiens. Des projecteurs éclairaient la villa basse et blanche.

Dans cette ambiance paradisiaque, « Darling » Jill sentit qu’elle ne pourrait résister longtemps à son désir. Elle se rapprocha, avançant le bassin, effleurant la toile du blue-jean et noua ses longues mains sur la nuque du Navajo.

— Dansons, murmura-t-elle en secouant ses longs cheveux auburn.

Son visage de madone à l’ovale parfait, où la bouche large et pulpeuse détonnait, s’était figé d’une façon bizarre, avec une expression tendue et avide.

Le Navajo se remua maladroitement contre elle, le temps de quelques mesures, puis brutalement, avec la violence d’un piston de locomotive, attira la jeune femme contre lui à la casser en deux. Il tremblait littéralement de désir. La dernière coupe de Champagne avait catapulté ses inhibitions vers le ciel étoile.

« Darling » Jill, poussa un léger cri de douleur et s’écarta de l’Indien. L’étreinte brutale de ce dernier avait fait pénétrer douloureusement dans sa chair le minuscule bijou – une pierre de lune enchâssée dans une gangue d’or – dont elle avait décoré son nombril. Elle l’arracha et, n’ayant pas de poche, le glissa dans une de celles du blue-jean du Navajo. Inquiet, il la regardait de ses grands yeux noirs aux cils de fille.

Le sourire de Jill le rassura. Elle prit sa main droite dans ses doigts fuselés et l’entraîna.

— Ne restons pas ici, murmura-t-elle. Ce n’est pas bien. Ils contournèrent la piscine en L, passant devant les baies vitrées du living-room. « Darling » Jill jeta un coup d’œil à la grande porte. Les invités se pressaient autour du bar où une machine débitait la bière à la pression. D’autres jouaient au billard avec de bruyantes exclamations. Plusieurs couples s’étaient étendus à même la moquette blanche où l’on enfonçait jusqu’aux chevilles et flirtaient sans retenue.

Le Navajo jeta un regard effaré sur ce spectacle. Jardinier depuis deux semaines seulement au service de Gene Shirak il n’avait pas encore eu le temps d’apprécier les mœurs hollywoodiennes à leur juste valeur.

« Darling » Jill le tira dans l’ombre. Moins on les verrait, mieux cela vaudrait.

Au moment où ils allaient atteindre la petite porte donnant directement sur le garage, la voix de Gene Shirak, le maître de maison, fit sursauter « Darling » Jill.

— Ne traînez pas trop en route. Vous devez être à Ensenada avant demain matin.

Il sortit de l’ombre. Sa chemise rose et son pantalon blanc l’affinaient. Il ressemblait vaguement à Kirk Douglas, avec un visage plat et dur, des yeux bleus froids et une bouche mince. Une petite verrue, posée curieusement sur le bout de son nez, donnait, parfois, à son visage, une expression comique. Croisant le regard de Zuni, il sourit avec bienveillance.

— Amuse-toi, Zuni, dit-il. Fais un beau voyage.

Pétrifié de timidité, le Navajo bafouilla quelques mots inintelligibles.

Gene Shirak regarda Jill et le Navajo disparaître par la petite porte avec une grimace de mépris. Un vieux fond de puritanisme tenant à ses origines ferait qu’il n’appartiendrait jamais complètement à Hollywood. Par moments, il se maudissait d’avoir comme amie Darling Jill Rickbell, nymphomane et droguée, dont la morale aurait fait honte à une guenon en rut.

Mais, avant tout, il s’agissait de sauver sa peau. Dans la lutte à mort où il se trouvait précipité, Gene Shirak avait besoin de « Darling » Jill. Et de sa nymphomanie. De toutes ses amies elle était la seule à avoir pu accepter sans poser de questions, l’étrange mission dont il l’avait chargée. Poussée justement par son goût immodéré de l’homme. Pour avoir un Indien, Darling Jill aurait été beaucoup plus loin qu’Ensenada…

Gene Shirak espérait que les caprices de Jill ne dérangeraient pas son plan bien établi.

Il rentra dans le living-room. Plusieurs longues Cadillac noires attendaient devant la maison. Gene Shirak savait recevoir. Il envoyait à chacun de ses invités de marque une limousine avec chauffeur afin que ses hôtes puissent se saouler à mort sans souci du retour.

La Cadillac blanche de Jill était garée un peu plus loin dans Beverly Drive, au mépris des contraventions. Elle appuya sur l’ouverture électrique des portières et le Navajo se laissa tomber sur les coussins de cuir. La voiture tout entière était imprégnée du parfum de la jeune femme. Elle s’assit à son tour, enfonça au maximum le volant télescopique, brancha la stéréo, repoussa l’accoudoir central et démarra. Aussitôt, le Navajo, dont le désir venait d’être ravivé par l’odeur capiteuse qui émanait des sièges se rapprocha d’elle et posa la main sur sa cuisse.

Le feu était au rouge, au croisement de Sunset Boulevard. « Darling » Jill lâcha le volant et colla sa bouche à celle de l’Indien. Malgré elle, son bassin se soulevait à sa rencontre. Elle ne pourrait jamais attendre Ensenada. Elle tourna enfin dans Sunset et appuya sur l’accélérateur. L’Indien pétrissait à pleines mains le ventre de « Darling » Jill avec des grognements de fauve.

Un long gémissement filtra entre ses lèvres et elle serra le volant à le briser. Il fallait qu’elle tienne jusqu’à Belagio Road, dans Bel-Air, le super-Beverly Hills où le moindre brin d’herbe valait son poids d’or. La Cadillac jouait les bateaux ivres sur Sunset Boulevard. Quand « Darling » Jill sentit la bouche chaude du Navajo sur son ventre elle cria et manqua emboutir le terre-plein central. Il fallait absolument qu’elle se reprenne. Tant qu’elle n’était pas dans Bel-Air, elle risquait l’arrestation bête par une des innombrables voitures de patrouille qui sillonnaient nuit et jour Beverly Hills, guettant la plus minuscule infraction.

Les grilles de Bel-Air franchies, plus de problème. Les intègres policiers de la « Bel Air Patrol » avaient pour « Darling » Jill Rickbell la plus grande indulgence. Moitié pour sa générosité, moitié pour ses goûts passagers de l’uniforme.

La Cadillac abordait la série de virages très secs qui précède l’entrée de Bel-Air. Ignorant délibérément la limite des 25 miles, « Darling » Jill accéléra encore. Aussi bien pour gagner du temps que pour empêcher le Navajo de lui faire perdre complètement la tête.