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— Qu’est-ce que c’est que ça, Julie ?

— Une clef !

— Bravo, mon amour, vas-y, refais-moi la clef.

* * *

Le moteur de la Giulietta tourne en silence. Miranda Skoulatou, la Grecque, a repéré le secrétaire Gauthier. Celui qui figurait, en retrait, sur les photos de J.L.B. Malaussène. C’est lui qui a remis à Laure Kneppel le modèle de l’interview idéale. C’est lui qui a veillé à ce que le texte fût rétabli dans sa version originale. C’est lui qui a fait sèchement punir Benjamin.

— C’est Gauthier, oui, avait avoué le ministre Chabotte, une bouche de revolver posée sur la nuque.

Il avait ajouté :

— Un garçon expéditif, bien qu’il n’y paraisse pas.

Gauthier habile rue Henri-Barbusse, dans le cinquième arrondissement, face au lycée Lavoisier. Il a des horaires précis. Il sort de chez lui et y rentre comme un oiseau mécanique. Une mine d’étudiant sur un duffel-coat de rêveur.

Miranda la Grecque vérifie une dernière fois le barillet du revolver.

Elle voit Gauthier s’approcher dans son rétroviseur.

Il a le visage poupin.

Il porte à la main un cartable d’écolier.

Miranda Skoulatou arme le chien du revolver.

Le moteur de la voiture est silencieux comme un souffle du matin.

25

— Severina Boccaldi. Italienne.

— Elle portait une perruque ?

— Quoi ?

— D’après vous, c’étaient ses cheveux naturels ou une perruque ?

— Moi, j’ai vu que ses dents.

— Vous pourriez peut-être me dire la couleur de ses cheveux ?

— Non, je ne voyais que ses dents. Même sur le passeport, il y avait que des dents.

Boussier, le loueur de voitures, était un marrant Caregga, l’inspecteur de police, un inspecteur patient. Tenace, même.

— Blonde ou brune ?

— Franchement, je saurais pas vous dire. Un truc dont je me souviens : elle a fait hurler l’embrayage en démarrant.

— Ni très blonde, ni très brune, alors ?

— Me semble pas, non… On devrait jamais louer de bagnoles aux bonnes femmes. Aux Ritales moins qu’aux autres.

— Rousse ?

— Ah non ! celles-là, je les repère les yeux fermés.

— Cheveux très longs ?

— Non.

— Très courts ?

— Non plus. Elle était coiffée, il me semble, vous voyez ce que je veux dire ? Elle avait une coiffure, quoi, comme les femmes…

« Perruque », supposa l’inspecteur Caregga. *

* * *

La deuxième cliente était autrichienne. Elle s’était adressée à une agence de la place Gambetta, là-haut, dans le vingtième.

— Son nom ?

— Almut Bernhardt.

— Helmut ?

— Almut.

— Almut ?

— Almut, avec un « A », c’est un prénom féminin, à ce qui semble.

L’inspecteur Caregga notait. C’était un flic taciturne. Ou peut-être timide. Été comme hiver, il portait un blouson d’aviateur, au col fourré.

— Elle était grande ?

— Difficile à dire.

— Comment ça ?

— Elle semblait tassée. C’est comme pour son visage…

— Son visage ?

— D’après sa carte d’identité, elle est née en 54, ce n’est pas si vieux, et pourtant son visage est marqué.

— Des cicatrices ?

— Non, la vie, marqué par la vie… les cicatrices de la vie.

« Ce type ne fera pas fortune dans la location de voitures », pensa fugitivement l’inspecteur Caregga.

— Profession ?

— Enseignante. Professeur d’histoire. C’est que les Autrichiens ont beaucoup à faire avec leur histoire, expliqua le loueur : l’éclatement de leur Empire, d’abord, le nazisme ensuite, et aujourd’hui la menace de finlandisation…

« Devrait changer de boulot », se dit l’inspecteur Caregga.

* * *

— Ouais, qu’est-ce qu’il y a ? demanda d’entrée de jeu le troisième loueur.

C’était un petit mec que les balaises avaient toujours rendu agressif, mais Caregga était un balaise qui avait toujours été patient avec les petits mecs — ce qui les rendait d’autant plus agressifs.

— « Une Audi immatriculée 246 FM 75, il semble qu’elle soit de chez vous.

— Possible. Et alors ?

— Pourriez-vous vérifier, je vous prie ?

— Pourquoi, qu’est-ce qu’elle a ?

— Nous aimerions savoir à qui vous l’avez louée.

— Ça regarde pas la poulaille, ce genre de truc, c’est secret professionnel.

— Nous l’avons trouvée sur le lieu d’un meurtre.

— Elle a morflé ?

— Vous dites ?

— La bagnole, elle est baisée ?

— Non, elle n’a rien.

— Alors, je peux la récupérer ?

— Dès que le labo en aura fini avec elle, oui.

— Et ça va me manger combien de temps, ces conneries ?

— À qui avez-vous loué cette voiture ?

— Vous savez combien ça va me coûter par jour ?

— Il s’agit d’un meurtre, ce sera rapide.

— Rapide, rapide…

— À qui avez-vous loué cette voiture ?

— Avec vous, il n’y a que les emmerdes qui soient rapides.

L’inspecteur Caregga changea de conversation :

— Alexandre Padovani, trafic de plaques, recel de voitures volées, port d’arme illégal, trois ans à Fresnes, deux ans d’interdiction de séjour.

C’était le pedigree du loueur.

— Bêtises de jeunesse, je me suis rangé.

— Peut-être, Padovani, mais si tu continues à me baver sur les rouleaux, je vais te déranger un peu.

L’inspecteur Caregga savait parfois trouver les mots.

— Skoulatou, dit le loueur, Miranda Skoulatou. Une Grecque.

* * *

COUDRIER : Si je calcule bien, depuis qu’on a tiré sur Malaussène, nous avons cinq morts sur les bras.

VAN THIAN : Beaucoup d’amis, Malaussène…

COUDRIER : Selon toute vraisemblance, les trois cadavres de Bercy sont signés Belleville.

VAN THIAN : Soude caustique… Probable, oui.

COUDRIER : Mais le ministre Chabotte, et le jeune Gauthier ?

VAN THIAN : …

COUDRIER : Je peux vous demander un service, Thian ?

VAN THIAN : …

COUDRIER : Soyez gentil, braquez ce bébé dans une autre direction.

VAN THIAN : C’est une fille, monsieur le Divisionnaire, elle s’appelle Verdun.

COUDRIER : Raison de plus.

(Le vieux Thian retourne la petite Verdun sur ses genoux. Les yeux de l’enfant lâchent ceux du commissaire Coudrier pour harponner le regard d’un Napoléon de bronze en exil sur la cheminée, là-bas, derrière Thian.)

COUDRIER : Je vous remercie.

VAN THIAN : …

COUDRIER : …

VAN THIAN : …

COUDRIER : Vous ne buvez toujours pas de café ?

VAN THIAN : Je ne bois plus rien depuis que je m’occupe de Verdun.

COUDRIER : …