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— Le stupide animal !

— Certes. Seulement, il représente la science officielle et il est puissant. C’est une des plus hautes autorités de l’Institut et tous mes rapports doivent passer par lui. J’ai acquis la conviction qu’il m’accuserait d’hérésie scientifique si j’essayais de révéler la vérité sur ton cas, comme tu le désires. Je serais renvoyée. Cela n’est rien, mais sais-tu alors ce qui pourrait t’advenir ?

— Quel sort est plus pitoyable que la vie dans une cage ?

— Ingrat ! Tu ne sais donc pas que j’ai dû déployer toute ma ruse pour l’empêcher de te faire transférer à la section encéphalique ? Rien ne pourrait le retenir si tu t’obstinais à prétendre être une créature consciente.

— Qu’est-ce que la section encéphalique ? demandai-je, alarmé.

— C’est là que nous pratiquons certaines opérations très délicates sur le cerveau : greffes ; recherche et altération des centres nerveux ; ablation partielle et même totale.

— Et vous faites ces expériences sur des hommes !

— Bien entendu. Le cerveau de l’homme, comme toute son anatomie, est celui qui se rapproche le plus du nôtre. C’est une chance que la nature ait mis à notre disposition un animal sur lequel nous pouvons étudier notre propre corps. L’homme nous sert à bien d’autres recherches, que tu connaîtras peu à peu… En ce moment même, nous exécutons une série extrêmement importante.

— Et qui nécessite un matériel humain considérable.

— Considérable. Cela explique ces battues que nous faisons faire dans la jungle pour nous réapprovisionner. Ce sont malheureusement des gorilles qui les organisent et nous ne pouvons les empêcher de se livrer à leur divertissement favori, qui est le tir au fusil. Un grand nombre de sujets sont ainsi perdus pour la science.

— Vraiment très regrettable, admis-je en pinçant les lèvres. Mais, pour en revenir à moi…

— Comprends-tu pourquoi j’ai tenu à garder le secret ?

— Suis-je donc condamné à passer le reste de ma vie dans une cage ?

— Non, si le plan que j’ai formé réussit. Mais il ne faut te démasquer qu’à bon escient et avec des atouts puissants. Voici ce que je te propose : dans un mois, se tiendra le congrès annuel des savants biologistes. C’est un événement considérable. Un large public y est admis et tous les représentants des grands journaux y assistent. Or l’opinion publique est chez nous un élément plus puissant que Zaïus, plus puissant que tous les orangs-outans réunis, plus puissant même que les gorilles. Ce sera là ta chance. C’est devant ce congrès, en pleine séance, qu’il te faut lever le voile ; car tu y seras présenté par Zaïus qui, je te l’ai dit, a préparé un long rapport sur toi et ton fameux instinct. Le mieux est alors que tu prennes la parole toi-même pour expliquer ton cas. La sensation créée sera telle que Zaïus ne pourra t’en empêcher. A toi de t’exprimer clairement devant l’assemblée et de convaincre la foule ainsi que les journalistes, comme tu m’as convaincue moi-même.

— Et si Zaïus et les orangs-outans s’entêtent ?

— Les gorilles, obligés de s’incliner devant l’opinion, feront entendre raison à ces imbéciles. Beaucoup sont tout de même un peu moins stupides que Zaïus ; et il y a aussi, parmi les savants, quelques rares chimpanzés que l’Académie a été obligée d’admettre à cause de leurs sensationnelles découvertes. L’un d’eux est Cornélius, mon fiancé. A lui, et à lui seul, j’ai déjà parlé de toi. Il m’a promis de s’employer en ta faveur. Bien entendu, il veut te voir auparavant et vérifier par lui-même le récit incroyable que je lui ai fait. C’est un peu pour cela que je t’ai amené ici aujourd’hui. J’ai rendez-vous avec lui et il ne devrait plus tarder. »

Cornélius nous attendait près d’un massif de fougères géantes. C’était un chimpanzé de belle allure, certainement plus âgé que Zira, mais extrêmement jeune pour un savant académicien. Dès que je l’aperçus, je fus frappé par un regard profond, d’une intensité et d’une vivacité exceptionnelles.

« Comment le trouves-tu ? » me demanda Zira en français, à voix basse.

Je connus à cette question que j’avais définitivement capté la confiance de cette guenon. Je murmurai une appréciation élogieuse et nous nous approchâmes.

Les deux fiancés s’étreignirent à la façon des amoureux du parc. Il lui avait ouvert ses bras sans m’accorder un regard. Malgré ce qu’elle lui avait dit de moi, il était évident que ma présence ne comptait pas davantage pour lui que celle d’un animal familier. Zira, elle-même, m’oublia un instant et ils échangèrent de longs baisers sur le museau. Puis elle tressaillit, se détacha vivement de lui et regarda de côté d’un air penaud.

« Chérie, nous sommes seuls.

— Je suis là, dis-je avec dignité, dans mon meilleur langage simien.

— Eh ! s’écria le chimpanzé en sursautant.

— Je dis : je suis là. Je me vois navré d’être obligé de vous le rappeler. Vos démonstrations ne me gênent pas, mais vous pourriez m’en vouloir par la suite.

— Par le diable !…» clama le savant chimpanzé. Zira prit le parti de rire et nous présenta.

« Le docteur Cornélius, de l’Académie, dit-elle, Ulysse Mérou, un habitant du système solaire, de la Terre, plus précisément.

— Je suis enchanté de faire votre connaissance, dis-je. Zira m’a parlé de vous. Je vous félicite d’avoir une fiancée aussi charmante. »

Et je lui tendis la main. Il fit un bond en arrière, comme si un serpent s’était dressé devant lui.

« C’était vrai ? murmura-t-il en regardant Zira d’un air égaré.

— Chéri, est-ce que j’ai l’habitude de te raconter des mensonges ? »

Il se ressaisit. C’était un homme de science. Après une hésitation, il me serra la main.

« Comment allez-vous ?

— Pas mal, dis-je. Encore une fois, je m’excuse d’être présenté dans cette tenue.

— Il ne pense qu’à cela, fit Zira en riant. C’est un complexe chez lui. Il ne se rend pas compte de l’effet qu’il produirait s’il était habillé.

— Et vous venez vraiment de… de… ?

— De la Terre, une planète du Soleil. »

Il n’avait certainement accordé que peu de crédit, jusqu’ici, aux confidences de Zira, préférant croire à quelque mystification. Il commença à me harceler de questions. Nous nous promenions à petits pas, eux marchant devant, bras dessus bras dessous, moi, suivant au bout de ma chaîne, pour ne pas attirer l’attention des quelques passants qui nous croisaient. Mais mes réponses excitaient sa curiosité scientifique à un degré tel qu’il s’arrêtait souvent, lâchait sa fiancée et nous nous mettions à discuter face à face avec de grands gestes, traçant des figures sur le sable de l’allée. Zira ne se fâchait pas. Elle paraissait au contraire enchantée de l’impression produite.

Cornélius se passionnait particulièrement, bien entendu, pour l’émergence de l’homo sapiens sur la Terre et il me fit répéter cent fois tout ce que je savais à ce sujet. Ensuite, il resta longtemps songeur. Il me dit que mes révélations constituaient sans doute un document d’une importance capitale pour la science et en particulier pour lui, à une époque où il entreprenait des recherches extrêmement ardues sur le phénomène simien. D’après ce que je compris, celui-ci n’était pas pour lui un problème résolu et il n’était pas d’accord sur les théories généralement admises. Mais il devint réticent sur ce sujet et ne me dévoila pas toute sa pensée lors de cette première rencontre.