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Je suis un forgeron : ma femme est avec eux,

Folle ! Elle croit trouver du pain aux Tuileries !

— On ne veut pas de nous dans les boulangeries.

J’ai trois petits. Je suis crapule. — Je connais

Des vieilles qui s’en vont pleurant sous leurs bonnets

Parce qu’on leur a pris leur garçon ou leur fille :

C’est la crapule. — Un homme était à la Bastille,

Un autre était forçat : et, tous deux, citoyens

Honnêtes. Libérés, ils sont comme des chiens :

On les insulte ! Alors, ils ont là quelque chose

Qui leur fait mal, allez ! C’est terrible, et c’est cause

Que se sentant brisés, que, se sentant damnés,

Ils sont là, maintenant, hurlant sous votre nez !

Crapule. — Là-dedans sont des filles, infâmes

Parce que, — vous saviez que c’est faible, les femmes, —

Messeigneurs de la cour, — que ça veut toujours bien, —

Vous avez craché sur l’âme, comme rien !

Vos belles, aujourd’hui, sont là. C’est la crapule.

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« Oh ! tous les malheureux, tous ceux dont le dos brûle

Sous le soleil féroce, et qui vont, et qui vont,

Qui dans ce travail-là sentent crever leur front,

Chapeau bas, mes bourgeois ! Oh ! ceux-là, sont les Hommes !

Nous sommes Ouvriers, Sire ! Ouvriers ! Nous sommes

Pour les grands temps nouveaux où l’on voudra savoir,

Où l’Homme forgera du matin jusqu’au soir,

Chasseur des grands effets, chasseur des grandes causes

Où, lentement vainqueur, il domptera les choses

Et montera sur Tout, comme sur un cheval !

Oh ! splendides lueurs des forges ! Plus de mal,

Plus ! — Ce qu’on ne sait pas, c’est peut-être terrible :

Nous saurons ! — Nos marteaux en main ; passons au crible

Tout ce que nous savons : puis, Frères, en avant !

Nous faisons quelquefois ce grand rêve émouvant

De vivre simplement, ardemment, sans rien dire

De mauvais, travaillant sous l’auguste sourire

D’une femme qu’on aime avec un noble amour :

Et l’on travaillerait fièrement tout le jour,

Ecoutant le devoir comme un clairon qui sonne :

Et l’on se sentirait très heureux : et personne,

Oh ! personne, surtout, ne vous ferait ployer !

On aurait un fusil au-dessus du foyer…

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« Oh ! mais l’air est tout plein d’une odeur de bataille !

Que te disais-je donc ? Je suis de la canaille !

Il reste des mouchards et des accapareurs.

Nous sommes libres, nous ! Nous avons des terreurs

Où nous nous sentons grands, oh ! si grands ! Tout à l’heure

Je parlais de devoir calme, d’une demeure…

Regarde donc le ciel ! — C’est trop petit pour nous,

Nous crèverions de chaud, nous serions à genoux !

Regarde donc le ciel ! — Je rentre dans la foule

Dans la grande canaille effroyable qui roule,

Sire, tes vieux canons sur les sales pavés ;

— Oh ! quand nous serons morts, nous les aurons lavés !

— Et si, devant nos cris, devant notre vengeance,

Les pattes des vieux rois mordorés, sur la France

Poussent leurs régiments en habits de gala,

Eh bien, n’est-ce pas, vous tous ? — Merde à ces chiens-là ! »

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— Il reprit son marteau sur l’épaule.

La foule

Près de cet homme-là se sentait l’âme soûle,

Et, dans la grande cour, dans les appartements,

Où Paris haletait avec des hurlements,

Un frisson secoua l’immense populace.

Alors, de sa main large et superbe de crasse,

Bien que le roi ventru suât, le Forgeron,

Terrible, lui jeta le bonnet rouge au front !

Palais des Tuileries, vers le 10 août 92.

Ophélie

I

Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles

La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,

Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…

− On entend dans les bois lointains des hallalis.

Voici plus de mille ans que la triste Ophélie

Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir,

Voici plus de mille ans que sa douce folie

Murmure sa romance à la brise du soir.

Le vent baise ses seins et déploie en corolle

Ses grands voiles bercés mollement par les eaux ;

Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,

Sur son grand front rêveur s’inclinent les roseaux.

Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle ;

Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,

Quelque nid, d’où s’échappe un petit frisson d’aile :

− Un chant mystérieux tombe des astres d’or.

II

Ô pâle Ophélia ! belle comme la neige !

Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté !

− C’est que les vents tombant des grands monts de Norwège

T’avaient parlé tout bas de l’âpre liberté ;

C’est qu’un souffle, tordant ta grande chevelure,

À ton esprit rêveur portait d’étranges bruits ;

Que ton cœur écoutait le chant de la Nature

Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits ;

C’est que la voix des mers folles, immense râle,

Brisait ton sein d’enfant, trop humain et trop doux ;

C’est qu’un matin d’avril, un beau cavalier pâle,

Un pauvre fou, s’assit muet à tes genoux !

Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle !

Tu te fondais à lui comme une neige au feu :

Tes grandes visions étranglaient ta parole

− Et l’Infini terrible effara ton œil bleu !

III

− Et le Poète dit qu’aux rayons des étoiles

Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis,

Et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles,

La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.